La folie des glandeurs

Salammbovary

— Georgie de Saint-Maur, la France s’inquiète de voir, petit à petit, disparaitre du fronton de la République, les mots « Liberté, Égalité et Fraternité ». Qu’en pensez-vous ?

— Qu’on pourra toujours leur substituer « Bonne chance, démerdez-vous ».

Mon père me disait :

— Tu as toujours l’air de partir en croisade. Tu voles trop haut. Plus tu monteras, moins il y aura d’air à respirer.

Mon brave papa… Parti à 86 ans…

Qui sait, peut-être le plus long suicide du monde ?

Il n’était pas doué.

Non, je ne peux absolument pas écrire des horreurs pareilles.

C’est presqu’aussi monstrueux que les répliques inaudibles de Harry Block [1].

Quoique, franchement, je pense qu’il ne m’en aurait pas vraiment voulu.

Il avait tant d’humour.

Mais bon, justement, peut-on vraiment rire de toux [sic] ?

Je veux dire : rire en toussant, comme le tonton de Fernand Raynaud ?

Cela dépend essentiellement de notre lectorat.

Ma Folie précédente sur les « Naufragés perpétuels » a fait couler beaucoup d’encre et (à mon corps défendant) étayé au moins deux séparations [2].

Comme le faisait remarquer Vincent, un de mes correspondants, dans un de ses mails sur Messenger :

« Tout comme le plaisir étouffe le désir (seul vrai bonheur), porter secours à des naufragés perpétuels leur retirerait leur principale qualité. Dans un monde rhétorique.

Ceci dit… S’ils veulent un coup de main… La solennité est plus dans le coup de pinceau [3] que dans les grognements de leurs intestins. »

J’en profite pour le remercier (en le citant) de cet intéressant retour de lecture.

À présent, comme il semblerait que le savoir isole comme de la toile (c’est ce qu’on m’a dit), je tiens à préciser que mes douloureuses crises d’intelligence ont débuté très tôt, lorsque j’étais encore tout jeune.

Ma mère craignait la méningite.

Ces crises ne furent pas sans conséquences d’ailleurs : plus question d’écouter de la variété française ou de regarder des émissions comme L’amour est dans le pré ou Le meilleur pâtissier.

Zut !

Alors voilà, j’ai décidé de redevenir marrant.

Commençons tout de suite…

Avant de mourir à Canteloup (ça promet), Gustave Laubert a rédigé, en quelques jours, son ultime roman : Salammbovary.

Avec le testament de ces dernières lignes, il s’est distingué pour toujours par son sarcasme romanesque.

Je l’évoque parce qu’il a passionné bon nombre de mes confrères, tous conquis par son humour psychologique.

Son souci de subréalisme [sic] et son regard de scribe borné sur la vanité de son héroïne, en font plus un cynique qu’un saint-bernard.

Atteinte d’une misandrie forcenée, Salammbovary est l’archétype de la Vamp mangeuse d’hommes.
Obstinée, avide d’autonomie, suppôt d’une Mégara déguisée en Abydos [4] et adepte de l’échec et Maât [5].

Salammbovary est une princesse qui s’emmerde.

Elle annonce, avec fracas, le moderne défilé de cocus que nous connaissons bien.

Delenda Carthago est paradoxalement son destin tout tracé.

Car, même si Caton fait parfois semblant de soutenir la libération de la femme [6], Delenda Salammbovary traduit bien un machisme intemporel.

Je suppose (je m’attends à tout de votre part, vous me connaissez) qu’on va souligner le fait que son épanalepse semble faire écho aux préoccupations actuelles.

C’est possible, mais je n’y suis pour rien.

Laissez-moi tranquille, à la fin.

Comme on le voit, Laubert ne mâche pas les mots des autres.

Mais il faut noter qu’en ce qui concerne la mutation inéluctable de notre société, jamais personne n’a songé à lui jeter postérieurement une pierre mousseuse.

Il nous préparait.

C’était du drill.
Notre intelligence collective du monde en avait besoin.

Eh oui, notre cerveau est un organe qui sait, par avance, tout ce que nous allons faire (enfin presque, je nuance ce propos).

Notre estomac, lui (par exemple), ne sait pas ce que nous allons manger.

Il le découvre au moment où la nourriture lui parvient.

C’est la surprise !

Mais notre cerveau, lui, le savait bien.

Il avait une longueur d’avance sur l’estomac.

Nous, de la même façon, nous ne sommes pas au courant de toutes les fonctions de notre cerveau.

Il fait des tas de trucs sans que nous en ayons conscience.

Et si il jouait contre nous, en fait ?

Bon sang !

Une preuve ?

Je ne sais pas pourquoi, mais je me souviens subitement, comme ça sans la moindre raison, de la croisade de 1204.

Et je nous revois encore, tous réunis à Jérusalem, mélangés à des niqueurs de dromadaires avec leur torchon à vaisselle sur la tête [7], qui essayaient de nous vendre des tapis volants.

Qu’est-ce qu’on s’était bien marré !

Butin ! Avec tous nos potes crucesignati, on avait pris illégalement nos pieds dans des babouches exotiques.

Et pas un merci !

Voilà, voilà…

Bon, blague dans le coin, comme disait l’Œuf, mon antipathique prof de grec (qu’il brûle en enfer pour m’avoir méconnu), nous allons nous quitter à présent.

Cette fois, ce sera avec une chanson inégale de l’album La vie Théodore du (finalement) bien courageux Alain Souchon, probablement un peu trop intelligent pour la variété française :

Putain, ça penche !
On voit le vide à travers les planches.

À bientôt pour de nouvelles singeries, comme aurait dit Audiard.

Merci pour vos like, pour vos très nombreux messages sur Messenger (je les lis tous, mais ils ne sont pas publiés ici) et, bien sûr, pour vos abonnements à ma chronique (ça fait plaisir à mes éditeurs).

Georgie de Saint-Maur

[1] Deconstructing Harry (Harry dans tous ses états) est une comédie noire réalisée par Woody Allen en 1997.

[2] Authentique. Mais ces deux séparations avaient eu lieu avant la lecture, ouf !

[3] Ce « coup de pinceau », évoqué par Vincent, trouve son origine dans le tableau illustrant mon article précédent : Les naufragés de la Méduse, de Géricault (1818–1819)

[4] Pour de mystérieuses raisons, l’auteur de cette Folie associe la fiction carthaginoise de Mégara à Abydos, une ville de l’Égypte antique, lieu principal du culte d’Osiris.

[5] Jeu de mots, utile ou non (le lecteur en décidera), basé sur la formule ludique « Échec et mat » acoquinée avec la Maât égyptienne, une entité symbolisant un ordre universel.

[6] En 195 av. J.-C., il se produisit à Rome un événement inouï : les femmes envahirent la rue pour défendre leurs droits. Défiant la répartition Hestia/Hermès de Vernant : « À Hestia le dedans, le clos, le fixe, le repli du groupe humain sur lui-même ; à Hermès le dehors, l’ouverture, la mobilité, le contact avec l’autre que soi. »

[7] Formule finalement assez irrespectueuse du personnage de Walter Sobchak, dans le film Big Lebowski réalisé par les frères Coen en 1998.

10 réflexions sur “Salammbovary

    • Georgie de Saint-Maur

      Merci d’avoir lu et… merci pour le compliment.

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  • Intéressant ce que vous disait votre cher papa, tout comme le mien, parti à 86 ans. Depuis son départ je me suis dit que cela devait être un âge normal pour un homme de s’en aller…
    Par contre, je trouverais assez normal de m’en aller à 94 ans comme Denise Grey… J’aurais voulu tenir son rôle dans la Boum ! Pétillante, farceuse, la grand- mère dont tout le monde aurait rêvé d’avoir eu !
    Elle au moins n’avait rien d’une SalammBovary, la princesse qui s’emmerde 😉
    Très chouette chronique ! Merci l’artiste !

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    • Georgie de Saint-Maur

      Très gentil d’avoir pris le temps de lire, Françoise.
      Je n’ai aucune influence sur les sabliers, mais je ne trouve pas si idiot d’avoir pris Denise Grey pour modèle.
      Content que mon article vous ait plu.

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  • JacPé

    « Peut-on rire de toux ? » – J’adore 🙂 !!!!!

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    • Georgie de Saint-Maur

      Merci d’avoir lu, Jac.
      Content que ça vous ait plu.

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  • Benoît

    Encore un billet de très haute volée, Georgie. Il faudra que je demande aux lobes de mon cerveau ce qu’ils en ont pensé (c’est dommage que ces lobes prennent un e, sinon la métaphore tennistique eût été parfaite).
    Restons sur les voyelles.
    Je me suis longtemps demandé pourquoi Gustave Laubert n’avait pas mis d’accent sur l’o de son mythique Salammbovary (Salammbóvary, ou Salammbòvary).
    Je viens de comprendre : c’est car l’accent semi-circonflexe (nommé « accent cirflexe » par les experts en diacritologie moderne) n’existait pas encore à l’époque…
    Dernière réflexion avant de vous quitter : si Alain Souchon est « probablement un peu trop intelligent pour la variété française », alors je propose de l’appeler dorénavant Malain Souchon.
    A bientôt cher Georgie

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    • Georgie de Saint-Maur

      Cher Benoît ,
      faut-il vraiment, encore une fois, vous remercier d’avoir pris le temps de lire ?
      Ma tendance naturelle à la politesse me souffle : « oui » dans le lobe de l’oreille, mais je sais que (comme le disait si bien Gilbert Bécaud) nous n’en sommes plus là, maintenant.
      Oui, vous lisez (et vous lisez bien) mais, surtout, vous êtes un écrivain.
      La preuve ? Votre proposition d’accent « cirflexe » est excellente, puisqu’elle élimine le « con ».
      Et vous avez entièrement raison, puisque, dans un diagramme de Venn, « bo » ne pourrait pas figurer à l’intersection des deux ensembles.
      Votre normalisation et restitution chronologique de Gustave Laubert sont, elles aussi, bienfaisantes.
      Quant au jeu de mot final je ne pense pas qu’Alain Souchon (de son vrai nom : Alain Bouchon), vous en voudra le moins du monde.
      C’est loin d’être mon idole, mais j’ai l’impression que c’est un brave type.

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  • strauven

    Comme à mon habitude c’est toujour avec bohneur et parfois un peu de peur de la compréhension (ma culture ne vole pas aussi haut , le complexe d’Icare peut être 🤔😊) que je lis vos chroniques ( parfois deux fois)
    Je vous dis tout simplement merci pour cet évasion momentanée et toujours agréable.

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    • Georgie de Saint-Maur

      Évidemment, voilà un commentaire qui fait plaisir, Murielle.
      Prendre le temps de me lire est déjà un beau cadeau, mais le faire deux fois c’est magnifique.
      Le mot « évasion » me touche beaucoup, bien qu’avec votre nature d’artiste, vous ne m’avez certainement pas attendu pour y parvenir.
      Encore merci.

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