Le Diamètre de l’Ipsikiff (seconde partie)
Seconde partie : le diamètre
« La vérité c’est ce qu’on croit. »
(George Sand)
Le diamètre de l’Ipsikiff est la capacité de limiter le monde aux humains, en dépit de l’immensité de l’Univers.
C’est se contenter de rester entre humains.
Bon sang, avec cette simple phrase je viens de perdre 33 % de mes lecteurs.
Et les 67 % restants n’ont pas vraiment de temps à perdre.
Ils veulent des explications le plus vite possible.
Je recommence :
Le réel est le même pour tous, mais il y a des milliers d’interprètes.
Un exemple ?
— Vous venez pleurnicher chez moi en me disant : Don Giorgio, aidez-moi ! Don Giorgio, rendez-moi la justice… mais est-ce que je sens un peu d’amitié ? Est-ce que je sens un peu de respect ? Est-ce qu’il vous est venu à l’idée de m’appeler « Amiral » ?
(Célèbre réplique de Marlon Brando dans le film Le Marin, de Francis Ford Coppola, 1972.)
Voilà, tout est devenu plus clair.
Et pour ce qui est du calcul de la mesure de l’Ipsikiff, un compas et une simple formation par correspondance vous permettront de relever fièrement la tête, tel Faust toisant Méphistophélès.
Vous vous sentirez en parfaite adéquation avec le fameux In media stat virtus [1].
Je vous vois tiquer… boudiner vos lèvres… froncer vos sourcils… tapoter, de vos doigts, le bord de votre clavier…
Encore des notes de bas de page !?
Il avait pourtant promis…
Ne vous laissez jamais impressionner par des citations savantes, amis lecteurs.
Ça veut tout simplement dire qu’il vaut mieux lire la première partie [2] avant la seconde.
Alors, prenez un quart de feuille, nous allons faire une interro- surprise.
Que sont « l’Ipsikiff » et son diamètre ?
L’Ipsikiff (comme nous l’a rappelé Numa Sadoul [3] dans un commentaire éclairant) est une nécessité élémentaire de toute espèce à « vouloir vivre ».
Quant à son diamètre…
Eh bien, chez les humains, l’Ipsikiff est une option mesurable (allez savoir pourquoi).
Elle est non seulement adaptée à l’espèce mais également à l’individu.
Elle est, pour ainsi dire, corollaire à son rayon d’action.
On parle alors du diamètre ou du « spectre » de l’Ipsikiff.
Je vous avais bien dit que ce serait simple comme bonjour.
À proprement parler, c’est grâce à cette mesure, que des individus peuvent modifier leur implication dans l’immédiateté.
Ici aussi, pas de panique ! ce charabia signifie simplement qu’ils bénéficient d’un recul suffisant pour s’observer eux-mêmes.
Pour encore mieux comprendre toutes ces conneries, on pourrait comparer le diamètre de l’Ipsikiff à la hauteur des paniers de basket vis-à-vis de la taille de certains joueurs.
Pour varier un peu, citons donc John Culard [4] :
— La plupart des gens (mais pas tous) sont naturellement des égoïstes.
Et, bien sûr, ne se remettent jamais en question, car ils présentent un diamètre Ipsikiff mesquin.
Et ici, il me faut introduire une note importante.
En réalité ils présentent un diamètre large ; c’est-à-dire une obligation de se croire les personnes les plus importantes, sous peine de dissolution de tout ce qui les constitue.
Conscient du paradoxe, Culard expliquait qu’il avait volontairement choisi d’utiliser le mot « mesquin » en lieu et place du mot « large », car employer le mot « large » pouvait laisser sous-entendre une grande capacité d’empathie.
Or dans le domaine de l’Ipsikiff, c’est exactement l’inverse.
Plus le diamètre est petit, plus on a tendance à s’occuper d’autrui.
Le diamètre zéro étant, par ailleurs, la possibilité de se sacrifier pour les autres ou pour une noble cause (la protection indispensable de l’environnement naturel, par exemple).
Eh oui, même si ça nous emmerde un peu, nous retombons invariablement sur John car nous lui devons, en sus, l’invnetion du « Roque Ipsikiff [5] ».
Si l’on ne croit pas que l’on est important, la perspective glaçante et terrifiante du nihilisme s’impose.
Aussi effrayante qu’une caricature communiste qui se profilerait dans une caricature capitaliste.
Plus le diamètre est large, plus on s’y croit.
Plus le diamètre est petit plus on croit aux autres.
En résumé : Culard applique la capacité de « roque » du jeu d’échecs (la possibilité de changer le roi de place) au centre de gravité natif de la compréhension de l’Univers.
Ce changement prédispose à une vision salutairement égocentrique.
Hum.
Est-ce que je ne suis pas en train de dire exactement le contraire de ce que j’avais écrit précédemment ?
Après tout, la maïeutique de Socrate n’est peut-être pas si idiote [6] ?
John Culard dit : « salutaire », puisque le centre de gravité précédent mettait en évidence notre insignifiance, ce qui était scandaleusement générateur de désespoir.
Selon John, cette dichotomie serait à l’origine de la capacité inestimable de générer l’amour.
— L’amour n’est-il pas un mirage façonné par nos attentes ?
Interroge magnifiquement Valérie Quanten dans le courrier des lecteurs.
Voilà, c’est avec elle que nous allons clore la seconde partie de ce passionnant article consacré à l’Ipsikiff et à son diamètre.
Voici les vacances fourrées de canicule.
— Et notre chanson ? Me direz-vous (oui, je sais que certains d’entre vous ne lisent ma chronique que pour la chanson finale).
Vous avez raison de rouspéter.
Pour moi, le sol se rapproche.
Comme les bateaux américains de Pearl Harbour se rapprochaient des avions zéros japonais.
Remain in light est une incantation qui m’émeut, mais est-ce une raison suffisante pour vous infliger l’album des Talking Heads (excellent au demeurant) ?
Non, pour changer un peu, je vais plutôt vous citer Quite smart, un couplet que j’avais composé pour ma revue à Broadway en 1903 (comme le temps tasse).
I love being sure of myself,
It’s part of my look.
’Cause I’m quite smart,
As proven by this song [7].
De grâce, gardez vos tomates pour faire une bonne soupe, je sais très bien qu’en matière d’humour, le public confond parfois le premier degré Celsius avec le second degré Fahrenheit.
Et que je récolte toujours le même mépris lorsque j’annonce que ma chemise à carreaux est fragile [8].
Quoi qu’il en soit, merci de votre intérêt.
Merci aussi pour vos commentaires et votre abondant courrier.
Ça fait vraiment plaisir, je vous le jure.
Merci également de me soutenir à travers vos abonnements et l’achat de mes livres.
À part celui donné par les Monty Python, est-ce que la vie a vraiment un sens ?
Oui, bien sûr, c’est même certain. Mais à condition de savoir qui est venu en premier ? L’œuf à la coque ? Comme le prétend Colomb ; ou la poule au pot ? Comme le soutient Henri IV.
— Bon, ça ira comme ça, je ne suis pas un hôpital.
(Jacques François, pharmacien dans Le Père Noël est une ordure.)
Georgie de Saint-Maur
[1] In media stat virtus est le titre donné aux célèbres mémoires apocryphes de l’empereur Néron (écrites par un soi-disant médium qui aurait été en contact avec son fantôme).
[2] La première partie a été publiée le mois passé. Une flèche située sous le présent article vous permet d’y accéder directement.
[3] Numa Sadoul est l’auteur (entre autres) de Tintin et moi, entretiens avec Hergé, paru en 1975 chez Casterman, et de Franquin et moi, entretiens avec Numa Sadoul, paru en 2024 chez Glénat.
[4] John Culard (de son vrai nom Jean Culard) est un artiste français, fondateur du Subréalisme. Un jour viendra, j’en suis sûr, où je n’aurai plus besoin de mettre de note de bas de page à son sujet.
[5] Le roque est une figure classique du jeu des échecs qui permet, dans des conditions strictes, de permuter le roi et la tour.
[6] Socrate disait : « Je ne peux rien enseigner aux hommes mais je peux les amener à réfléchir. »
[7] (+ ou -) J’adore avoir l’air sûr de moi,
Ça fait partie de mon look.
Et je suis très intelligent,
Cette chanson en est la preuve.
[8] Copyright © Vitro Clean 2015.
J’aime le premier paragraphe, il est clair et net ! Tout, à la base, part de la géométrie cosmique variable des éléments. Les Ipsikiffs sont les points d’insertion de deux ensembles universels unis par le Big Bang. L’immensité universelle ne peut assouvir toutes nos curiosités métaphysiques. Nous sommes poussières d’étoile et déjà étudier la nôtre est une tâche ardue pour toute l’humanité jusqu’à la fin des temps
Zaza,
les points que tu soulèves sont essentiels.
Mais voilà, il n’est pas possible de les traiter dans cet espace-commentaires car, au vu de leur importance et de leur complexité, ce serait bâcler.
Je te promets toutefois de les aborder et même de tenter d’y répondre (modestement, tu ne t’en étonneras pas) dans mes billets mensuels « Stratégies subréalistes » [sic].
Je t’annoncerai régulièrement leur sortie par e-mail en te donnant ma parole de ne pas t’oublier.
Merci, en tout cas, d’avoir lu et d’avoir fait ce commentaire.
« Plus le diamètre est large, plus on s’y croit.
Plus le diamètre est petit plus on croit aux autres. »
Là, tout est dit. Que vive l’Ipsikiff !
Content que la formule ait fait mouche, Numa.
Et encore merci de me lire.
Ce brave John, toujours aussi futé dans ses interventions.
On ne « s’enlace » pas ! car selon lui, la plupart des gens sont naturellement des égoïstes, présentant, dès lors un diamètre large ne permettant pas cette promiscuité.
Et j’en suis ! J’en veux pour preuve que je revendique mon espace vital, ma bulle, ma respiration.
Lorsque l’on se protège de la sorte, empêchant les autres d’entrer dans son cercle, ne se croit-on pas important ? Comme un bijou que l’on s’empresse de ranger dans sa boîte à l’abri des regards et des convoitises ?
Et pourtant, le diamètre ne devient il pas tout petit lorsque l’on regarde son enfant ou tous ceux que l’on aime sincèrement ? N’a-t-on pas tous en soi le miel d’un pseudo sacrifice ?
Cette propension à changer de diamètre, parfois très rapidement, ne fait-il pas penser au « Roque Ipsikiff » ?
Des réflexions bien intéressantes, ou bien sont-ce de douces « réflections » ?
— Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais, ils n’ont qu’un taudis.
C’est la canaille ?
Eh bien, j’en suis !
(Alexis Bouvier)
Oui, diamètre variable selon les individus mais aussi selon les circonstances qu’ils traversent. C’est finement observé et cela augmente la portée du texte.
Idem pour la figure échiquéenne du roque, où nous rejoignons la dimension donnée à l’Art par Marcel Duchamp, ennemi des écoles et des groupes, farouchement épris de sa liberté et n’ayant de comptes à rendre à personne.
Le problème avec l’avant-garde, c’est qu’il n’y a personne devant.
Merci pour tes encouragements, Mini.
L’écriture, tu le sais, est un métier de passion.
Il est relativement difficile de l’exercer face à ce qu’on appelle les « goûts et les couleurs » des autres.
Je me demande si on peut vraiment faire dépendre ce qu’on écrit de leur niveau ou de leurs attentes?
Avoir ton avis renforce alors d’autant plus mon moral que certains lecteurs me donnent l’impression que je leur extorque des compliments.
Pensons-y pour notre prochain livre.
hello, quand je te lis de bas en haut, tout devient clair… Françoise
Excellent, Françoise.
C’est au lecteur de choisir le sens de sa lecture.
Le lecteur y est pour beaucoup dans l’interprétation d’un texte. Il peut choisir l’option « bœuf pour vache » ; ou « vache espagnole » ou même émoticône…
L’important c’est de considérer l’humour avec sérieux.
Merci d’avoir pris le temps de lire et de laisser ce commentaire bien spirituel.
Un peu compliqué pour moi mais j’adhère entièrement 🙂 !! Et toujours une plume très alerte et pleine d’humour !!
Merci d’apprécier mon travail, Jac.
Lorsque je vois le vôtre, je suis un peu surpris de vous déconcerter par la sophistication absurde et volontaire de la Psychanalyse sans Frontières.
Je profite de cet espace-commentaire pour rappeler à tout un chacun que j’en suis l’inventeur et qu’elle poursuit presque uniquement un but clownesque !
Comme je vous sais dessinateur en lisant régulièrement vos strips de BD « Le Chien », je pense que vous serez peut-être également conquis par ma nouvelle chronique sur l’Art.
Je vous tiens au courant dès sa sortie prochaine.
Merci encore pour ce retour de lecture.
Décidément, votre « Diamètre de l’Ipsikiff » fait de vous un représentant éminent de l’Association des Amis Présents, Passés et Futurs d’Isidore Ducasse! La même irrévérence poétique! Le même élan supraréel! La même créativité libérée de toutes les barrières et entraves de la sacrosainte vraisemblance logico-castratrice!
Bigre ! c’est bien la première fois qu’on me dit marcher dans les traces du bel Isidore.
Son décès juvénile nous a laissé peu d’ouvrages, certes, mais quels ouvrages !
Je pense que je ne peux pas soutenir la comparaison (je n’essaierai même pas du reste).
Par contre, citer Lautréamont nous renseigne sur votre niveau de savoir et sur la belle nature de votre chemin.
Aussi, comme je vous l’ai déjà écrit sur Messenger, je suis sincèrement fier de vous compter au nombre de mes lecteurs.
Merci beaucoup.
j’aime : »Plus le diamètre est large, plus on s’y croit.
Plus le diamètre est petit plus on croit aux autres. »
exercice que j’ai aimé .
merci Georgie
C’est moi qui vous remercie d’avoir pris le temps de lire, Claire.
Mais également d’avoir laissé ici un commentaire qui (je dois le confesser) étaye une communauté d’esprit.
J’espère retrouver cette fraternité spirituelle au sein du monde anglo-saxon.
En effet, je profite des vacances pour traduire un de mes romans (qui portera le titre « The Yellow Dwarf paradigm ») avec la collaboration de Marcus Degraeve qui a vécu 10 ans à new-York.
Harry Potter tremble déjà !
Blague dans le coin, encore merci.