A paraîtreNon classé

Rencontre avec Rachel Adalbald

Capitule, mirage ! nous plonge dans le monde parallèle des réseaux, tweets, blogs, chaînes et autres « dramas », où tous les points de vue se chevauchent et entrent en crise. Capitule, mirage ! raconte, de l’intérieur, à travers une multitude de voix, les exaltations, espoirs et désarrois d’une génération hyper-connectée.
Rencontre avec une jeune autrice audacieuse pour la parution de son premier roman le 17 octobre 2023. 

Le désir d’écrire comme un déclic ? 

Rachel Adalbald : Je crois que l’envie d’écrire vient d’abord de cette sensation que le monde, avec tous ses événements, ses flux, ses multiplicités de rapports, m’échappe ; ce qui est très beau et très déstabilisant à la fois. J’ai toujours eu beaucoup de mal à me situer dans ce grand bazar, alors l’écriture est une manière de me tenir un peu droite dans le monde, de tenir tête, aussi. Dans Mille plateaux, Deleuze et Guattari écrivent : « Être en plein dans la foule, et en même temps complètement en dehors, très loin » — voilà, écrire, pour moi, c’est cette manière de jouer avec les distances, d’être complètement impliquée et complètement à côté. Ça, c’est pour la partie existentielle de la réponse. Quant à la partie pratique, il y a eu, de façon très banale, la déflagration de la poésie de Rimbaud quand j’avais 17 ans. En le lisant, j’avais l’impression qu’il me disait : « Tu peux tout renverser. », et puis quelques années plus tard, la grande plongée dans les romans de Céline qui m’a flanqué une magistrale leçon de rythme. Il faut que ça palpite. Je n’ai plus jamais écrit pareil après ça. 

Ton roman allie une grande maîtrise de la langue et une structure polyphonique poussée à l’extrême. Est-ce cette aisance qui te pousse à explorer ce type de narration atypique ?

R.A. : J’ai longtemps eu une position très étrange par rapport à la narration en littérature. Probablement, en partie, parce que j’ai été très marquée et très touchée par des auteurs et des autrices qui m’ont terrassé par leur style. Disons qu’aujourd’hui, je suis toujours convaincue de la primauté du travail du style en littérature, mais que j’ai un rapport beaucoup plus nuancé au texte narratif. En fait, la narration me paraissait être un carcan terrible, avec une série d’étapes obligatoires à suivre (un déroulé chronologique, des péripéties, une façon de présenter des personnages, et le tout très limpide), et ça ne m’intéressait pas du tout de me plier à ce genre de règles pour écrire. D’autant plus qu’en tant que lectrice, lire des textes respectant scrupuleusement un cahier des charges, sous prétexte que « c’est comme cela que l’on doit faire si on veut écrire une histoire », m’ennuie. Ce qui m’a profondément fait changer d’avis, c’est lorsque j’ai repris très avidement la lecture de mangas et le visionnage d’animes. Je me suis aperçue qu’on me racontait des histoires et que ça me passionnait, j’étais à fond. Ce qui m’intéresse, c’est la manière avec laquelle certains mangas ou animes (je pense à des mangas comme L’attaque des titans ou L’ère des cristaux, et à des animes comme Neon Genesis Evangelion ou Boogiepop Phantom) vont venir fissurer les lignes  narratives sagement mises en place en travaillant en profondeur plusieurs types de rapports : le rapport des personnages entre eux, le rapport des personnages avec leur environnement et le rapport des personnages à eux-mêmes. La question est comment faire des trous, comment faire fuir ce qu’on nous a appris à considérer comme un développement narratif « normal ». Et puis, il y a eu la lecture de deux romans merveilleux que sont Blanche ou l’oubli d’Aragon et Un bref instant de splendeur d’Ocean Vuong, qui, chacun à leur manière, disloquent la continuité classique de la narration, désamorcent le déroulé chronologique — ça ne cesse de bifurquer, de se retourner, de sortir et de revenir. C’est fabuleux. A partir de là, j’ai regardé la narration bien en face et je me suis dit : allons-y !

Plus j’écris, et plus je m’aperçois qu’on ne doit rien du tout, que l’on peut jouer avec toutes les normes, qu’aucune méthode n’est bonne à suivre, si ce n’est celle que l’on élabore pour soi-même. Donc, cette longue litanie pour dire qu’à partir du moment où j’ai compris que je n’étais pas obligée de décrire mes personnages, que je pouvais leur donner des noms absurdes, que je pouvais m’octroyer le droit de torpiller la continuité narrative, que je pouvais désarticuler les voix jusqu’au point où on ne sait plus qui parle, alors j’ai commencé à m’amuser.  

La poésie semble omniprésente et comme en filigrane sous ta prose, je me trompe ?

R.A. : Oui, la poésie a été une vaste terre de travail ces dernières années. C’était le genre dans lequel, jusqu’à présent, je me sentais la plus libre, justement parce qu’il n’y avait aucune exigence de narration, et qu’il est globalement admis qu’en poésie, on peut jouer avec la forme. Capitule, Mirage ! se voulait donc aussi une rupture avec une écriture poétique dans laquelle j’avais la sensation de finir par tourner en rond. Ma prose est fatalement issue de ces multiples expérimentations poétiques ; d’ailleurs, sans forcément le vouloir, il y a des moments dans Capitule, Mirage ! où je reviens à des passages de poésie plus « pure ».

Dans ta note d’intention, tu évoques une sorte de mystique qui, selon toi, traverserait le web et les réseaux… Qu’entends-tu exactement par là ?

R.A. : Le web et les réseaux sont des canaux faramineux de diffusion d’une grande multiplicité de discours. On entend parfois que notre époque est extrêmement rationnelle, que c’est une époque de raison, de calcul, de science. Ce qui me fascine, c’est qu’on fait surtout face à une profusion de discours, lesquels tantôt entrent en contradiction, tantôt se complètent, tantôt convergent, et tous – qu’ils soient scientifiques, historiques, littéraires, économiques, religieux, etc. – élaborent des fictions qui sont autant de façons d’appréhender le monde dans lequel nous baignons. J’ai l’impression qu’il y a tout un champ de ces pratiques discursives qui établit un rapport tout à fait mystique au réel. Par exemple, les discours sur les bienfaits d’être « healthy », ou sur les bénéfices de faire de la musculation, ou sur le fait de devoir s’accomplir dans son travail. Ça instaure un rapport assez particulier à la réalité, pris dans l’étreinte d’un élan « d’amélioration » constante de soi-même. Nous ne sommes  jamais « assez », il faut se produire « mieux ». Conséquemment, pour atteindre la « meilleure version de soi », il faudrait faire ci ou ça. C’est à la fois très prosaïque, très codé, et d’un autre côté, je ne peux pas m’empêcher de penser que cela tient aussi à une croyance en quelque chose au-dessus de nous, une sorte de transcendance, et cette transcendance, on ne l’atteindra qu’en travaillant, en se musclant et en calculant les calories qu’on ingère. Attention, je ne suis pas en train de dire que c’est idiot, en revanche, je trouve que ce sont des façons d’appréhender le réel qui sont beaucoup plus spirituelles qu’on ne le présume. Je ne suis pas non plus en train de dire que tous les discours se valent, qu’ils offrent tous un même degré de pertinence, mais je crois qu’il faut rester attentif à ce qui se fomente. 

Dans un monde noyé sous un Niagara de paroles, de blablas et d’injonctions en tous genres, la nécessité de « trouver une langue » ne se fait-elle pas plus pressante et plus impérieuse que jamais ?

R.A. : Bien sûr ! Et je dirais même plutôt que « trouver une langue », « chercher une langue », toujours et encore, avec la joie et l’angoisse qui font sauter le cœur et la tête, avec les deux mains brandies en l’air et le feu du dragon dans la voix. D’autant plus dans une période où tout un champ du paysage éditorial produit une littérature très standardisée, où on assiste à des récupérations inquiétantes de certains éléments de langage, où on martèle beaucoup, on corsète, on étouffe. Contre ça, s’efforcer de tendre les cornes, d’expérimenter à tous les endroits et de ne pas lâcher prise. 

D’autres projets littéraires  en cours ? 

R.A. : Tout est encore assez flou, mais j’ai plusieurs idées qui me trottent dans la tête. J’aimerais bien réussir à concrétiser l’envie (de longue date) de foutre un peu de mon bordel du côté du genre théâtral ; en parallèle, j’ai la question du rapport à l’image qui me travaille pas mal en ce moment, et puis m’interroge aussi le rapport à l’enfance, et puis j’ai un regain d’intérêt soudain pour les Super Sentai. Ce sont des choses qui, pour l’heure, sont très disparates, très éclatées, j’ignore encore ce que je vais faire de tout ça, ce dont je suis sûre, en revanche, c’est que je n’ai pas fini de me laisser surprendre. 

 


Capitule, mirage !
Rachel Adalbald
169 pages
Format : 14 x 19 cm
ISBN : 978-2-931067-17-8
21 euros
À paraître le 17/10/2023

2 réflexions sur “Rencontre avec Rachel Adalbald

  • Eric Brouet

    Voilà qui donne très envie de saisir ce mirage.

    Répondre
  • Eric Brouet

    Voilà qui donne envie de saisir ce mirage.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.