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Trois fois Solaris

Voici trois tentatives, dans l’ordre où je les ai vécues, de rendre compte d’un voyage effectué durant l’été 2023, par trois fois donc, à une même destination : Solaris.

Dans les faits, en plus d’un roman et de deux films, Solaris c’est aussi un téléfilm soviétique, une pièce de théâtre, un opéra, un opéra de chambre, puis un opéra-ballet. Partiale, mon approche est donc aussi partielle. J’espère qu’il me sera beaucoup pardonné.

1. Solaris. Film d’Andreï Tarkovski, de 1972

Ce fut ma première destination. J’avais confiance en Tarkovski ayant précédemment voyagé dans son adaptation du roman Stalker : Pique-nique au bord du chemin des frères Arcadi et Boris Strougatski.

L’histoire de Solaris est simple en apparence. Un homme est envoyé en mission spatiale dans une station soumise à d’étranges phénomènes. La station est en position d’observation au-dessus d’une planète toute entière recouverte d’un océan à la constitution et aux propriétés inconnues. Son équipage est tourmenté par l’intrusion à bord de créatures à l’image de proches disparus, éveillant souvenirs douloureux et culpabilité. Comment et pourquoi l’océan mystérieux de Solaris redonne-t-il ainsi corps et vie à ces disparus ?

Tarkovski, évidemment, met magistralement en images cette interrogation.

Sublimant la science-fiction classique, il nous suggère qu’avant de chercher à entrer en contact et de chercher à comprendre des formes de vies extraterrestres, les humains devraient d’abord mieux communiquer entre eux et apprendre à se connaître eux-mêmes.

Par les réflexions qu’il engendre, ce voyage à la surface d’un monde liquide métamorphose un voyage bien plus haut que notre ciel étoilé en un voyage au plus profond de soi, dans les tréfonds de notre psychisme et de notre conscience.

2. Solaris. Roman de Stanisław Lem, de 1961

L’insistance de l’auteur à documenter fictionnellement son sujet pour lui donner corps me fut pénible. Je repensai à Victor Hugo accablant les lecteurs des Misérables de dizaines de pages sur la comparaison entre les égouts de Paris et de Londres, à Herman Melville alourdissant son Moby-Dick de considérations encyclopédiques sur les baleines qui aujourd’hui nous sembleraient des copiés-collés de Wikipédia.

Mais du coup le livre de Stanisław Lem nous inciterait presque à faire passer de la fiction à la réalité les cercles d’études solaristes dont il nous retrace en détails l’histoire.

Que se passerait-il en effet s’il venait aujourd’hui à l’idée d’un certain nombre d’hommes et de femmes de créer sur Terre un centre d’étude de la planète fictive de Solaris ?

Une fois revenu une autre interrogation a pris forme dans mon esprit : pourrions-nous fantasmer qu’il s’agirait là, à Solaris, du stade ultime de développement, ou de déchéance, des Solariens de la Cité du Soleil révélée par le dominicain Tommaso Campanella en 1602 ?

3. Solaris. Film de Steven Soderbergh, de 2002

De mes trois séjours estivaux, ce fut en vérité mon préféré, même si j’aurais dû normalement éprouver une certaine lassitude.

Moins esthétisant que le cinéma de Tarkovski, la douleur profondément humaine face à notre ignorance, ignorance non seulement de ce qu’est la mort, de ce que sera notre mort, mais aussi du principe à l’action derrière les apparences de la vie, cette douleur est plus prégnante me semble-t-il dans cette adaptation là. La grande douleur forée par l’ignorance.

Espèce d’Atlantide intersidérale, sidérée et sidérante, Solaris nous renvoie à la face l’image de notre condition humaine.

Au final, au retour, sommes-nous sur Terre ou bien… Où ?

Où sommes-nous en ce moment précis ?

La fiction en général opère comme l’océan de Solaris.

La vie même peut-être opère-t-elle comme l’océan de Solaris.

Ou bien peut-être le langage qui, de par sa nature même procéderait ainsi, substituant au réel des réalités alternatives.

De quel côté du miroir sommes-nous ?

Lorenzo Soccavo

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