La folie des glandeurs

La Vacance des (re)pères

« Les hommes aiment les femmes. Les femmes aiment les enfants. Les enfants aiment les Schtroumpfs. » (L’École des jours, 1972).

Comme je l’ai juré sur la tombe de la fée ma marraine, me voilà mis au défi de rédiger un texte agréable, de développer des idées qui feront du bien aux gens.

Il est facile d’être un saule pleureur lorsque presque tout est condamné. Il suffit de suivre docilement les chemins détendus. Bien sûr, le chemin des saules rieurs est sacrément plus difficile, mais il vaut le comble.

Pourtant, ce coup-ci, avec les sujets graves (certains diront une fois de plus : déprimants) que j’ai choisi d’aborder, il ne sera pas facile de réconforter et d’amuser mon public, confronté, comme nous tous, à la fin de la société.

Allez, tant pis, je me lance quand même.

Je vais commencer par faire rire aux éclats tous les divorcés du monde avec une hypothèse hardie : et si l’amour pour la mère était le garant de la présence du père au sein de la famille ?

Car (pas toujours mais assez souvent) la progéniture et le nid corrélatif semblent prioritairement être un projet féminin (en tout cas bravo pour la semi-allitération).

Quoi ? Honte sur moi ! me direz-vous. Qu’est-ce qui me permet de dire ça ?

Ceci : aux débuts bien timides de l’instauration de la nécessaire mixité scolaire, j’ai fréquenté une école de filles (nous étions quatorze ou quinze garçons pour tout l’établissement) et toutes celles-ci, ou quasi toutes (pas un seul des garçons, notez bien), faisaient régulièrement part à qui voulait l’entendre de leur volonté, de leur désir de faire des enfants.

Ou encore ceci : lorsque ma bravoure légendaire a fait de moi un talentueux barman à l’armée[1], j’ai vu passer des centaines et des centaines de jeunes miliciens qui (lorsque l’un d’entre eux parlait vaguement de fonder une famille) avaient l’air de répéter des mots appris (par cœur ?).

Fraîcheur prépondérante ? Manque évident  de maturité ? Oui, peut-être (c’est toujours compliqué avec les jeunes).

Sans généraliser, si le dessein féminin et masculin se rejoignent pour joyeusement peupler la Terre, on peut toutefois remarquer qu’ils se distinguent au moins par une nuance : la plupart des hommes (pas tous, ne me prêtez pas de propos arrêtés) paraissent vouloir se prolonger dans leur fils.

Il prendra la suite (le commerce ; la ferme ; l’entreprise ; et cætera). Une façon de durer ou, a minima, que le nom perdure, comme l’imploraient les stèles funéraires dans l’Égypte ancienne.

Il convient encore de noter que refuser d’entrer dans ce schéma est synonyme d’une singularité qui n’attire pas les sympathies.

À titre personnel : ce fut ma première vacance.

Pour nous tous, l’histoire du monde commence à Greenstreet, un endroit idyllique planté juste à côté d’une forêt enchantée qui conduit  jusqu’en Allemagne et où l’on mène pisser des chiens. C’est là qu’on se jure de rester original. De ne jamais entrer dans le jeu des (re)pères. De poursuivre un projet de non-acceptation, de persister dans le refus de respecter la plupart des valeurs humaines.

Nous sommes bien forcés de le faire, les considérant, à l’instar de Lucius Annaeus Seneca[2], le tuteur de Néron,  comme bien trop brèves pour faire autorité.

«  Ulysses’s divorce is still a fight against disenchantment… On espère alors que la raison va expliquer (voire sauver) ce que le sentiment a déjà résolu ou absout. Et surtout on espère pouvoir arrêter de parler anglais, car c’est trop difficile. »

Hier encore, j’avais vingt ans, je tournais dans le film Odysseus que Fritz Lang réalisait à la villa Malaparte pour Jeremy Prokosch[3].

Le temps a passé pendant que j’avais le dos tourné.

Tragique parallèle avec le jeu du « renard qui passe », on se retourne et on doit courir vite, vite, vite pour apprivoiser le temps (perdu)[4].

Ça vous chagrine ? C’est vrai qu’aujourd’hui la folie est un peu en contradiction avec l’option philosophique de l’auteur qui essaie toujours d’envoyer un message d’optimisme à ses lecteurs.

C’est un peu ce que génèrent Noodles ou Barry Lindon : la « déconfiance ». Au moment oµ elle se produit, on ne sait plus que faire avec ces héros-là. Ni avec cette histoire dont on a suivi une grande partie du déroulement.

Dépression sévère, accompagnée d’hypersomnie et d’un retrait social.

Voilà le diagnostic sans appel de mes médecins psychiatres.

Verdict qui m’a fait empoigner mon fidèle mirliton et lancer force confettis et serpentins. Résultat : onze ans d’antidépresseurs, dont j’ai arrêté la prise de façon unilatérale et définitive.

Je voulais m’en sortir et je men suis sorti ! Au grand dam de mon entourage thérapeutique, pour qui l’arrêt brutal d’un médicament aussi puissant débouchait le plus souvent (certains médecins disaient : à coup sûr) sur un suicide.

De la même façon, vingt ans plus tôt, j’avais arrêté l’usage due tabac, en me levant un beau matin et en écrasant sans regret ma dernière cigarette devant un peloton d’exécution imaginaire.

Ce sera probablement dans des conditions similaires que j’arrêterai d’apprécier le vin ; mais cette option reste, encore à l’heure actuelle, de la science-fiction.

À titre personnel : c’était ma deuxième vacance !

Mais à force de perdre, il ne reste plus grand-chose.

Ah si ! il reste les enfants…

Le quotidien de ma planète n’a pas beaucoup remonté mon moral…

Mais connaître la tristesse recouvre toute la vie de joie. Et je n’ai pas engendré des avortons dans un demi-sommeil.

Une fois n’est pas coutume, mais encore une citation :

« — Crois-moi, dit René, malgré toutes ces étranges circonstances, tu as été un bon père. Tu as fait tout ce que tu as pu pour le bonheur de tes enfants.

Jorch releva très lentement la tête, flivoreux comme un borogove, et méprisa  dans une moue :

— L’important n’est pas la réalité de l’enfance, René. L’important c’est sa perception. »

(L’École de jours, 1972)

Certains parents séparés ont tendance (peut-être même inconsciemment) à utiliser les enfants bien hasardeusement placés sous leur influence, pour régler des comptes.

Pour ces derniers, la perte du (re)père peut engendrer une forme émérite. C’est-à-dire un violent désir d’être soi-même d’une importance (au moins) égale à celle de la fection[5] de la figure paternelle éclipsée.

Ces tentatives (souvent teintées d’une aimable maladresse) consistent parfois à adopter une position jumelle.

Beaucoup éprouveront l’amplitude borgne d’entrevoir l’espérance du tu quoque fili mihi de la reconnaissance, la langueur du fruit tant attendu d’une consécration inutile. Un peu comme Il Diluvio était avant tout une symétrie quasi spéculaire mais prédictive[6]. Tout ce qui restera au monde sera la statue du (re)père familial en fromage parmigiano reggiano et les forces de police qui frappent violemment les gilets topazes de la Renaissance.

Les fantômes revendicatifs n’offrent au présent qu’un lot de problèmes dont l’improbable résolution n’apporterait rien.

Surpasser ou échapper au « renom » de nos parents peut devenir un moteur efficace, propice à la réalisation personnelle.

À titre personnel : il s’agit bien de ma troisième vacance !

Je ne pense pas qu’au sens strict du terme, les enfants jalousent leurs géniteurs… quoique… à l’instar de Commode et Marc-Aurèle,  il existe maints exemples au sein des primates qui détiennent le pouvoir[7] (empereurs, rois, magnats) qui pourraient le laisser croire.

Le désir d’une succession rapide qui peut être lié à la disparition et au remplacement des conditions anciennes.

Entourage et privilèges sont alors convertis au profit de nouveaux bénéficiaires. C’est l’évacuation d’un destin, d’une fortune.

Ces processus de mutation existent, me semble-t-il, depuis toujours. Ils traduisent, la plupart du temps, une volonté incoercible de durer/exister.

Les éléments que j’énonce ici sont vraiment de très vieux poncifs (je m’en rends parfaitement compte). Beaucoup me le reprocheront ou les nieront, mais devront  néanmoins convenir qu’ils régissent des modus vivendi éculés de domination.

Tout comme Frank Capra en 1946, ou comme Roberto Benigni en 1997, on serait tenté de dire : « La Vie est belle » ; mais pourrait-on sincèrement éviter d’avoir à y rajouter : « la non-vie n’est pas » ?

Je vous avais prévenus que ce ne serait pas facile d’être super-drôle. Et qu’une seule lettre différencie le rire du pire.

Il y a des torrents d’angoisse qui sont difficiles à dompter, mais il y a  des avancées technologiques qui font plaisir. Le fait que Billy puisse écrire sur son Smartphone que la Terre est plate en est une.

Un jour, sans le vouloir, j’ai écrasé une mouchette. Quand je m’en suis rendu compte j’ai exagéré l’écrasement, pour qu’elle ne souffre pas. Elle est morte dans l’indifférence. Si c’était une réincarnation, elle n’était pas sensationnelle !

À titre personnel : ce sera ma dernière vacance.

Enfin, comme d’habitude, terminons en chanson. Et pas n’importe comment, car si les loups parisiens de  Reggiani  n éraient pas des nazis (on pourrait le croire parce qu’on entend le mot Germanie, mais lui voulait que ce soient des fourmiliers tamanoirs), nos amis suédois (et tout particulièrement Agnetha Fältskog) nous confient que :.

I don’t wanna talk
If it makes you feel sad
And I understand
You’ve come to shake my hand[8]

Merci de m’avoir lu quand même. Merci pour vos like et vos gentils messages sur Messenger. Merci de ne pas résilier tout de suite votre abonnement.

[1] Barman cantine troupe, puis brièvement barman au mess des officiers.

[2] Lucius Annaeus Seneca (4 ACN-65 PCN) est mieux connu sous le nom de Sénèque.

[3] Odysseus, un film dans le film, est le prétexte scénaristique du long métrage Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963).

[4] Cette comparaison entre le temps qui s’écoule et le jeu du Renard qui passe est largement développée dans le 1er volet de la trilogie du Métapoly Le Père fétiche.

[5] Le néologisme « fection » est défini dans mon article précédent :  Les Bonnes ondes de la fection.

[6] Il Diluvio universale est un tableau de Paolo Uccello, réalisé en 1448.

[7] J’évoque ici les singes du film La Planète des singes de Franklin Schaffner (1968), adapté du roman de Pierre Boulle.

[8] (+ ou -)

Je ne veux pas en parler

Si ça te rend triste.

Et j’ai compris

Que tu es simplement venu me serrer la main.

2 réflexions sur “La Vacance des (re)pères

  • Jean-Luc Dalcq

    Le paradoxe, je crois que tout ce qu’un homme essaye de faire sur cette terre, c’est pour épater un jour, un soir, une gonzesse, une femme, une polka… A quoi ça lui sert-il d’être milliardaire si il ne peut pas de temps en temps se la mettre au chaud avec une jolie zouz qui pourrait être quasi royalement sa fille… Non mais je déconne à peine, et tant pis ce qu’en penseront les carabinieri mal embouchés.

    Je soupçonne, les “paresseux” , se sentant bourrés dès leur jeune âge de ressources insoupçonnées de désirer devenir “artistes”, C’est bonnard. Dans un souci de reconnaissance doublée d’une belle petite vie au petits oignons, pour dans une projection bien entendu irréaliste, garder l’objet de leur amour toute la vie. La ferrer définitivement comme une belle sole meunière et la rendre mère à l’envi, selon les désidératas des moments et la demande féminine en chaleur.

    Mick Jagger est un bel exemple de réussite même si il n’a évidemment pas été un modèle de fidélité. Comme tout prédateur, riche et encore frémissant, il ne pouvait, en accumulant les carats (à tous les niveaux) prendre des femmes que plus jeunes que lui. Je veux dire toujours nubiles et capables d’enfanter. Toujours plus excitant quoi qu’on dise pour le transport “amoureux”. En conséquence, il se retrouve évidemment à 80 balais avec une chiée de moutards un peu partout dans le monde (sans parler de ceux qu’il n’a pas reconnu).

    Le problème c’est que beaucoup d'”artistes”, la plupart, soyons fous, ne parviennent évidemment pas à nouer les deux bouts de leur vivant, si bien que “leur moitié” qu’ils voulaient épater “pour la vie”, rendre pantelante d’amour et d’admiration à jamais, finit toujours à un moment par se casser avec leur progéniture.

    Marx, je crois parle du nécessaire économique mais également de l’essentiel humain. Le grand art consiste à accorder les deux. Et bien souvent, cette équation sommaire peut devenir incompatible.

    L’insécurité matérielle, le plus souvent finit par miner le couple et le ver est dans le fruit.

    Comme “l’artiste” bien souvent est un orgueilleux en plus peut-être d’avoir pris l’habitude de peigner la girafe, en attendant cette reconnaissance qui s’échine à lui tourner le dos, il lui est impossible d’envoyer tout promener pour rentrer à la banque ou vendre des assurances, devenir VRP… C’est du taf! Car évidemment depuis tout ce temps où le gniard qu’il était resté tentait d’attrapper la floche du carousel, le monde du travail l’a bien sûr rayé de sa liste et a tiré la chasse. A jamais.

    Petite considération pour préciser que l’idée de départ est toujours de près ou de loin dévoyée par les aléas de la vie. Et bien sûr que les hommes aiment les femmes et quand ils les aiment, ne veulent pas qu’elles changent, aimeront les enfants qu’elles leur demanderont de leur faire, avant que la femme ne changent à leur égard car eux ne changent décidément pas et c’est là que réside le challenge pour elle.

    Leur homme, cet irresponsable, n’est décidément pas encore ce “prince charmant” rêvé et ne le sera jamais. Agé finalement et tellement perfectible encore. Comme le chantait justement le Mick cité plus haut “Time waits for no one”… Selon la crise d’une ou l’autre tranche d’âge, elle remettra les pendules à l’heure. Et le briscard sera bien obligé de reprendre ses pendeloques sous le bras.

    Il embrassera ses gosses et retournera comme un chien galeux dans son galetas d’artiste peintre de la rue Mironton. Les illusions perdues et les espérances recarrées dans ses chaussettes trouées.

    Bref, faut pas jouer les riches quand on a pas les sous.

    Mais il aura vécu de galères et d’amour, vacciné d’extases sous jacinthes, vécu toutes les guerres, de quoi écrire un poulet bien dense, un parpaing, une somme, un code civil français qu’il publiera un jour. Et il sait très bien à qui il dédicacera cette bible. Et ce sera une oeuvre évidemment.

    Bon, j’avoue pour ne pas faire chouiner dans les bicoques, tout ceci est de la pure fiction et toute ressemblance avec des personnages ayant réellement existé serait purement fortuite.

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    • Georgie de Saint-Maur

      Oui, vous avez raison de citer Marx dans votre belle intervention, cher Jean-Luc.
      Combien de fois n’a-t-il pas ironisé, dans ses sketches, sur les pensions alimentaires qu’on lui réclamait ? Combien de fois n’a-t-il pas été “dévalorisé” dans son métier d’artiste par sa fille alcoolique Miriam ? Et “déstabilisé” par les caprices de sa jeune épouse enceinte, juste avant de démarrer une de ses mythiques émissions de radio “You bet your life” ?
      Merci pour votre commentaire éclairant.

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