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Mozart… merci et basta

On n’a rien compris à Mozart… absolument rien… trop simple et trop compliqué pour nous… malgré l’enfilade de kilomètres de mots à son sujet… qui ne disent absolument rien sur Mozart… des mots des mots des mots… qui parlent dans le meilleur des cas de l’oreille qui l’écoute… mais pas tellement de Mozart… pas du tout même… non, vraiment, rien… je crois bien qu’on n’a rien compris … je dis on… oui oui, on, nous, nous tous, doctes et non-doctes, je pourrais dire seulement que je n’ai rien compris… ce qui est vrai… mais je pense que c’est général… on en est tous là devant Mozart, qu’on l’aime ou pas… on est là devant le couloir des notes… devant cette profonde légèreté, inimitable … il nous met devant notre incompréhension… devant pile devant notre impéritie à capter son délire… ce basson… attendez… cette clarinette… attendez… les violons qui rentrent… la simplicité majeure de l’harmonie… la fluidité espiègle sans être cabotine… là, pendant une minute de l’adagio, je crois comprendre… et puis non… je suis un mur pour moi-même et Mozart m’est interdit… et permis…  mais… là, juste derrière la compréhension… sur le bout de la langue… à la portée de l’ouïe… quelle drôle de situation… l’oreille absolue ne vous servirait à rien… le savoir harmonique non plus… sauf à décortiquer… analyser… mais alors là… c’est la pire vacherie que vous pouvez faire à cet homme… ce bonhomme qui depuis qu’il a 14 ans prend la dictée… en direct de son paysage intérieur… tiens tiens… le paysage… on tient peut-être quelque chose, là… le paysage… je sors dans mon jardin… oui… ce magnolia… cet érable du japon… bordeaux… pourpre… asymétrique… la pierre et la flore en contrepoint… mais non… ça ne tient pas…

Il y a une anecdote que j’aime beaucoup à propos de Wolfi… rapportée par le couple Massin dans leur somme sur Mozart… ils racontent comment, au vu de son œuvre musicale, ils s’étaient imaginés un Mozart aimant contempler la nature pendant des heures… mais les documents sur Mozart ne manquent pas  (lettres, récits de tiers) : on sait que les paysages n’intéressaient pas Mozart… pire, dans les longs trajets en calèche, Mozart ne regardait jamais le paysage. Il ne faisait que 3 choses : dormir, écrire et des mauvais jeu de mots. Magnifique anecdote ! Mozart est un amuseur… un obsédé de la phrase sonore… de la colorisation des accents… du rythme… un rêveur présomptueux… il n’était pas fait pour ce monde disent certains…  je pense que c’est le monde qui n’était pas prêt à accueillir autant de légèreté et de beauté.  Surtout une légèreté et une beauté infiniment désinvolte… mozartienne, gratuite, ne correspondant à aucun paysage… Mozart ne parle pas de cela… on ne sait pas de quoi il parle en fait… on nage complètement… on lévite… étonné… hagard… de quoi parle Mozart, oui tiens, oui… et pourquoi ? On ne sait pas… parle-t-il seulement ? Non, pas vraiment, c’est plus que parler, ce piano se dressant d’un coup en marche… il verticalise le piano Mozart… il fait vibrer l’espace-temps… il se moque de l’infini et ainsi l’épouse… il a accès à quelque chose qui nous échappe… Mozart est là, il vibre parmi nous et en même temps… pas touche à Mozart, t’as pas accès mon coco… regarde avec les oreilles, profite du don… la mort t’en privera bientôt.

A défaut de regarder le paysage… il regardait peut-être le ciel Mozart… tête en l’air, Jean de la Lune… les nuages… la forme des nuages… paréidolie… ah ça c’est possible… il adorait les jeux, les devinettes, les rébus… il regardait peut-être l’immensité des étoiles, les yeux perdus dans les constellations… les galaxies…  imaginant la tête des extraterrestres dans un fou rire… Mozart était croyant quand même… enfin, mollo… il répète toujours qu’il s’en remet à la providence… s’en remet à dieu comme on s’en remet au hasard… croyant et Franc-maçon… ce qui nous permet d’être au moins certain d’une chose… Mozart cherche une forme… une forme d’ordre et un ordre de formes… il cherche une grâce… une légèreté… une espièglerie divine… non pas pure… mais infiniment impure et formelle… et il y tient… l’affirme devant tout le monde, quidam ou Empereur… et s’en tient là… ne fera jamais rien d’autre… d’un bout à l’autre… de Mithridate au Requiem… en passant par la messe en Ut ou encore le sommet d’élégance et de légèreté que sont les deux quintettes pour clarinette… K622 et K581… alors là.. là … oui, là… on comprend ce que l’adjectif divin veut dire… cela veut simplement dire : ce qui ne se comprend pas… ce qui nous force à recourir à un tiers, comme si tout d’un coup un être humain avait touché à ce qui lui est interdit… comme dans l’adagio… crime musical… inceste métaphysique… Mozart y touche ce qui nous est interdit… alors on imagine l’intervention… l’autorisation du divin… mais en réalité… Mozart a juste retranscrit le sublime blabla dictée par l’infini… on a pas accès je vous dis ! Mais le bonhomme… avec son insouciance habituelle… il nous y donne accès comme on partage une tarte aux myrtilles… générosité infiniment désinvolte de Mozart… et oui, bien sûr … oui… on en prend un peu au passage… comme dans la sérénade… en si… K631… avec l’entrée improbable, naturelle… exactement inattendue de la Clarinette… un léger frémissement qui devient une mélodie enchanteresse… Mozart… que dire… tout simplement : merci… et se taire.

La musique de Mozart nous renvoie inlassablement à notre médiocrité mais sans arrogance, involontairement… sans donner de leçon. Sa musique est entièrement théâtrale et narrative, d’où sa virtuosité sans pareille pour l’Opéra. Il raconte, pense, étudie, moque la comédie humaine dans une langue universelle qu’on n’a pas besoin de comprendre ou ne pas comprendre. Il déjoue la compréhension et même l’incompréhension. La légèreté Mozartienne déjoue le sérieux à chaque mesure, mesurant en creux notre pesanteur grossière. Il nous propose la désinvolture, la nonchalance, l’oubli et le sommeil après la jouissance. Il nous donne accès à une musique que nous entendions sans le savoir. Il nous soulage d’avoir à argumenter. « Oublions les preuves ! » dit Don Alfonso à deux hommes qui surestiment les femmes dans Cosi Fan Tutte. Magnifique programme.

Il fait jouir l’oreille. Si vous avez l’oreille frigide ou morale, passez votre chemin.

Il était comme ça Mozart, un clown génial et énervant, impayable… un amuseur, le seul à faire rire l’espace-temps… regardons comment il écrit, ce qu’il écrit. Nous sommes en 1777, Mozart à 21 ans, il s’adresse à son Père et parle d’une sonate qu’il vient d’écrire :

« Dimanche dernier, je l’ai joué à l’orgue de la chapelle pour m’amuser, j’arrivai pour le Kyrie et en jouai la fin. Après que le prêtre eut entonné le Gloria, je fis une cadence, mais comme elle était tout à fait différente de celle en usage ici, tout le monde se retourna, en particulier Holzbauer. (…) Ça et là, il y avait un pizzicato, et je fis claquer les notes, j’étais d’excellente humeur. Pendant le Benedictus, on doit jouer de la musique tout le temps, je repris donc le motif du Sanctus et le développai en fugue. Ils étaient tous là à faire de drôle de têtes. »

Ou encore, plus tard à la mort de sa mère : « Autant que le permet la situation, je suis heureux. » Mozart s’en remet à la providence et à la musique, pas à sa mère. Je tiens ce trait de caractère de Mozart comme le plus important pour appréhender Mozart comme musique, comme Art de vivre…

Homo-sapiens… y veut du drame… y veut peser… tout son chagrin s’organise autour de sa surdité vis-à-vis de Mozart… incapable de vraiment abdiquer son drame… il échange même Mozart contre une bonne scène tralala masochiste… peine à jouir par tous les trous… y veut se venger de pas être Mozart… au lieu s’asseoir et dire merci… y lutte… à mort encore… y veut mourir vite, même en restant vivant parfois… y z’ont pas accès j’vous dis… Mozart-tabou…

Je crois que je tiens la meilleure idée de livre sur Mozart… un livre de 35 pages, pas plus… un livre court et désinvolte… parlant de tout et de rien… digressant mais sans systématisme… et répétant inlassablement qu’on ne comprend rien à Mozart… montrant l’inutilité de le comprendre et donc, d’écrire un livre sur Mozart ; ce livre inutile finissant ainsi par s’auto-détruire devant le miroir de son inutilité. Un livre constatant inlassablement notre échec devant Mozart et démontrant son succès comme encore incompris… un livre pour dire qu’il ne faut rien en dire.  Un livre qu’il faut imaginer mais ne surtout pas écrire… dans une désinvolture et une inconséquence vis-à-vis de soi, d’autrui et de Mozart lui-même… vis-à-vis de tout… famille, écologie, fin du monde, injustice sociale. Souriant de la farce, abdiquant mollement devant cette grande vanité nuageuse… devant cette comédie humaine et divine. Pour le reste, on dit merci Mozart… et basta.

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