La folie des glandeursNon classé

Les bonnes ondes de la fection

« Moi, je viens d’un pays où les arbres sont si hauts, que même les oiseaux ne peuvent se poser au sommet » (L’École des jours, 1972).

Ce n’est pas nécessairement triste (comme on pourrait le croire) mais c’est un fait : dans la vie, on a que le cadre que l’on a.

C’est une affirmation contestable, mais je m’explique : peu d’entre nous réussiront à faire le tour de la Terre. Et même à notre époque, âge d’or des déplacements géographiques, nos cabotages suffiront simplement à nous familiariser avec notre propre pays.

Dans le même ordre d’idées, le Dessin, le Théâtre, ou les sept autres filles de Zeus, sont pour moi des fections[1] favorables. C’est à dire un déni bienveillant de notre imperceptibilité à l’échelle du temps cosmique.

Il s’agit d’une conception anthropocentriste rassurante, qui nous surkiffe, nous rassérène et n’hésite jamais à nous désigner, au sein des autres créatures vivantes, comme des êtres formidables.

Ça aussi c’est contestable et attention à l’effet Frankenstein. Du coup, pour mieux comprendre mon propos, je vous conseille, dès maintenant (et très ironiquement), de lire mon ouvrage apocryphe Comment se faire des amis ?

Je suis déçu. Une lectrice a trouvé mes écrits un peu déprimants. Je le regrette sincèrement, mais je peux le comprendre.

C’est vrai que l’agnosticisme nécessite quelque effort.

Je dois simplement préciser que, chez moi, il n’est pas le résultat d’un choix mais d’une réelle incapacité à croire à ce que je considère comme des sornettes.

À titre personnel, je ne pourrai parler que de deux fections, celles que j’ai eu la chance de vivre.

C’étaient deux fections délicieuses : le dessin (et sa mise en couleurs[2]) qui m’a souvent permis de manger à la fin du mois et la littérature vers laquelle je me suis tourné lorsque suis devenu malvoyant.

Je me souviens pourtant, comme si c’était hier, des mes expositions. J’ai été, en effet, dessinateur et (un court instant) homme public (dans le sens où, lors des vernissages, j’étais stricto sensu en représentation).

Que du beau monde ! Du gratin en col blanc. Mouchoirs de soie et Doc Martens à talons aiguilles. Des ventes comme s’il en pleuvait. Des commandes à la sauvette dans des hangars perdus. Traqué par le fisc, redevable, contribuable et corvéable à tous les niveaux d’eau.

Ce qui cautionnait mon cheminement, c’était la belle vie que je m’inventais.

Artiste !… Je n’envisageais pas encore la ruine, la vieillesse, les faux ennemis…

Encore aujourd’hui, au milieu des factures,  je reçois des jaculations :  dernier avertissement avant saisie… veuillez régulariser votre situation… cliquez sur ce lien en toute confiance…

Eh oui, si le bonheur d’une fection dans un univers artistique exige de poser des actes créatifs (et engendre sa série logique de postures), elle reste soumise au regard des autres, et au poids exercé par leurs goûts personnels (et par leurs achats) sur la reconnaissance du talent et la pérennité d’une carrière.

Tout se paie. Mon insolente réussite m’a rendu heureux mais a peut-être fait des envieux, des jaloux à propos desquels il vaut mieux garder intelligemment un silence entendu.

Faut-il rappeler que le mutisme est parfois l’option la plus sagace ?

Si je choisis d’en parler, c’est certes pour célébrer l’audace de Tzara[3], mais aussi pour étayer la création euphorique du M.O.I.[4] ; pour prouver que ma façon d’envisager le monde (monde que l’on peut considérer comme relativement hostile au départ) ne rend pas forcément fou. Non.

Mais, tel le photographe aveugle imaginé par Topor, elle permet d’acquérir de la force. Notre fugacité a parfois le temps d’envisager l’absurdité de la vie. Cela engendre notre joyeux refus qu’elle se résume à la reproduction.

Le rire est, de ce fait, un secours aussi grand que la religion.

Lorsqu’on est à la frontière qui sépare un monde intelligible d’un monde où rien n’a d’importance, cette délimitation, cette définition, cette fection d’être artiste est, sans nul doute, salutaire.

Car, comme disait Flaubert : sans passion, on mourrait de tristesse.

Chacun sa marotte ! et c’est là que Dada prend tout son sens.

Mais, dans le futur K-pop, qui s’intéressera encore à ce mouvement précurseur du surréalisme ?

Mon truc (enfin un de mes trucs) ?

Je me raccroche à des fections idéalisées sortant tout droit des seventies [5]. Une époque où j’étais seul et où j’étais bien. Un époque où je n’avais pas encore rencontré ma première femme.

Je me sentais verlainien, rimbaldien, jerryrubinien… comme par exemple dans cette chanson que j’avais écrite bien avant d’avoir son avis :

« Moi je m’amuse comme je peux.

Je ne cherche pas ce que je n’ai pas,

Je n’accepte rien des vitrines des magasins. »

— Charlatan ! Avait-elle méprisé quand elle l’avait entendue.

Et pourtant moi, pour qui le temps était une des choses les plus précieuses, je ne comprenais pas très bien comment des gens pouvaient passer leur vie à jouer aux cartes (par exemple)…

À l’heure d’aujourd’hui, j’ai beaucoup changé d’optique : et, ma foi, jouer aux cartes, si ça peut les rendre heureux… bah, oui ! pourquoi pas ?

Dorénavant, je redresse délicieusement ma crête, tel un coq en plâtre, et je crie, dans une explosion d’hilarité : bande de sous-exposés !

Un jour viendra, dans le sens des aiguilles d’une montre, où je leur ferai rendre Georges.

Voici le moment tant attendu de nous quitter, et cette fois avec David Robert Jones :

This way or no way
You know, I’ll be free.
Just like that bluebird.
Now, ain’t that just like me?  [6]

Merci pour vos like, pour tous vos gentils commentaires via Messenger et pour vos abonnements.

À bientôt.

[1] « Fection » : mon néologisme est tiré du verbe figer. Sa substantivation, qui connait officiellement « figement », m’offrait « fection » (sur base du verbe « ériger ») ou « figation » (sur base du verbe « obliger »). J’ai choisi le premier, non seulement pour refléter la facette sémantique que je désirais évoquer, mais également parce qu’il instillait un sens nouveau à « infection » et « défection ».

[2] Crayons de couleurs ; aquarelle ; acryliques ; pastels de cire ; sanguine et pierre noire. On ne peut pas, à proprement parler, évoquer la Peinture.

[3] Tristan Tzara, écrivain, poète et essayiste, est l’un des fondateurs du mouvement Dada dont il sera par la suite le chef de file. Il est ainsi considéré, en France, comme l’un des principaux représentants de la littérature dada.

[4] Le Mouvement des Optimistes Incurables (le M.O.I.), fondé en 1999, a été largement parrainé par Groucho Marx et par la BD Fosdyke Saga de Bill Tidy. Ses statuts figurent intégralement dans l’ouvrage © La Muse empaillée.

[5] Les années 1970 ne me titrent pas mais me légitiment un peu.

[5] (+ ou-) De cette façon ou pas du tout

Tu sais, je serai libre

Juste comme cet oiseau bleu.

Maintenant, est-ce que ce n’est pas juste comme moi ?

2 réflexions sur “Les bonnes ondes de la fection

  • Marguerite Debois

    Bonjour,

    Pour Gustave ( Flaubert ) et pour vous :

    Moi, je me méfie de la passion qui, je trouve, expose à des montagnes russes morales.
    Je préfère la jouissance des hasards du présent. Car, comme préconisait Lao Tseu ( ou un sage du bouddhisme zen, allez savoir ) : “Etre un être neuf dans un instant neuf.”

    Cordialement

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    • Georgie de Saint-Maur

      Chère Marguerite,
      merci pour ce beau commentaire.
      Il est vrai qu’être “neuf dans un instant neuf”, c’est à dire (si je ne m’abuse) être en prise immédiate sur le présent et éternellement vierge de toute expérience, est probablement une perspective philosophique digne de s’inscrire en lettres d’or dans la liste des innombrables clefs qui cherchent à nous assurer le bonheur.
      Hélas, je n’y arrive pas.
      J’ai beau faire, je reste envers et contre tout (et même contre moi-même) un mammifère banalement passionné et entièrement forgé d’empirisme.
      Je présente donc toutes mes confuses à Lao Tseu (ou à un de ses disciples).
      Merci à vous, en tout cas, d’avoir lu cette “Folie des glandeurs”.

      Répondre

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