La folie des glandeurs

Les poncifs de Pilate

Ecce homo[1], Ponce Pilate est le saint patron du gel hydro-alcoolique.

Selon les trois noms du citoyen romain[2], Ponce nous fera-t-il l’amusante surprise de se prénommer  Pierre ? (Non, c’est idiot).

De 26 à début 37, il gouverne la Judée et pratique avec assiduité les gestes barrières, pour éviter la contagion morale d’un prédicateur de Nazareth qui a mis le souk dans le Temple de Jérusalem (et dont Caïphe veut la tête). Ponce, estimant que ce ne sont pas ses oignons, ouvre son parapluie et lance le fameux « ce n’est pas ma faute » que répétera dix fois de suite le vicomte de Valmont dans Les Liaisons dangereuses[3].

Cette petite mise au point pour garder en mémoire que, depuis ces temps bibliques et face aux injustices et aux dérèglements de la vie sociale, beaucoup de personnes ont plaidé non-coupable.

Pourtant : coupables, nous le sommes peut-être tous !

— Redresser les torts n’est pas facile ! disait ce bon Bernardo[4] à son rusé maître. L’écheveau du vice est emmêlé, ses procédés pernicieux et ses ramifications presque inextricables. Il est donc bien plus simple de se dédouaner de tout.

Passons sur la responsabilité relative d’appartenir à une société dont les principes nous sont inculqués dès l’enfance (ce qui est normal, pourrait-il vraiment en être autrement ?), que dire alors de certains comportements nuisibles, apparemment inconnus de nos aïeux ? Qu’ils sont tombés du ciel ?

L’énergie requise en vue d’un changement réel et durable est-elle à notre portée individuelle ? Disposons-nous d’assez de temps de vie ?

« Parce qu’il pleut aujourd’hui, ne nie pas le soleil » est un proverbe difficile à faire admettre à des éphémères. Pour nous qui semons la panique au sein des caisses de retraite en vivant de plus en plus vieux, la maxime est envisageable.

Reconnaissons-le avec fair-play : être un héros c’est du taf à plein temps. On peut même parler de faire les trois huit. Et je vais vous faire un aveu qui me coûte, je suis bien trop papillon pour m’imposer avec fruit un tel sacerdoce.

Ceci dit j’encourage sincèrement  les vocations. Alors j’invoque  Charlebois et Nadeau et je me dis que des héros, il y en aura d’autres, plus jeunes, plus fous, pour faire danser les Boogaloos[5].

Bien sûr, me direz-vous, mieux vaut mourir debout que vivre à genoux. Mais, comme le préconise un de mes personnages[6] : mieux vaut encore ne pas mourir du tout.

Apolitique et agnostique, j’ai pourtant observé d’un bon œil, en 1971, les balbutiements de l’ONG Greenpeace. Un militantisme pacifique prônant la sauvegarde de l’environnement, c’est-à-dire des conditions nécessaires à la vie humaine (notamment) pouvait-il vraiment être conspué et condamné ? Eh bien, il semble que oui : David Mac Taggart[7] perd un œil en 1972 et le navire Rainbow Warriorest bombardé par Charles Hernu[8] en 1985.

Mais, me direz-vous, tout cela ne nous regarde pas.

Tous le mammifères placentaires devraient fêter dignement le crétacé par un jour férié. Mais beaucoup plus sérieusement, reparlons plutôt du Dodo[9] (ce symbole emblématique) et pleurons ensemble l’extinction des nombreuses espèces. Elle a commencé  il y a 100 000 ans pour atteindre un taux sans précédent avec la croissance du nombre des humains.

Adieu les baleines, adieu les ours, adieu les diables de Tasmanie. Cette horrible disparition (dont nous ne nous sentons pas toujours responsables à notre petite échelle) nous crève le cœur. Mais en va-t-il de même pour celui des grands de ce monde ? Des décideurs ?

On identifiait tellement mieux le coupable lorsqu’il existait un maître du monde. Dans cette perspective, évoquons avec nostalgie l’empereur Ming[10], le docteur Mabuse[11] et l’avide Ombre Jaune d’Henri[12]. Hélas, ils ont, eux aussi, disparu, et le monde est en réalité émietté.

La spéciation est un peu notre espoir, enfin si elle trouve un créneau. Cela fera-t-il voler à nouveau les ptérosaures ? Certains avaient une envergure de 7 mètres et battaient des ailes. Nous nous en consolerons en écoutant chanter les petits oiseaux.

Alors comme ça : plus le temps passe, plus on vieillit, et plus on a de choses à se pardonner ? Ne reculons pas d’effroi devant leur nombre, soyons magnanimes avec nous-mêmes. Prônons l’auto-mansuétude. Car, convenons-en, le bonheur est très souvent lié à l’insouciance.

Le souci et le doute, voilà les ennemis ! Ce sont eux qui ont empêché l’assassin Barabbas de profiter pleinement de sa libération légitime[13]  Ce sont eux qui justifient l’exécution de Camille Desmoulins par Robespierre.  Ce sont eux qui incitent le gendarme à se laver les mains du sang de Guignol.

« À quoi bon protéger la vie quand on voit ce que vous en faites ? » demandait Milla Jovovich dans Le Cinquième élément. Et c’est vrai que quand le seul outil que l’on possède est un marteau, on a tendance à voir tous les problèmes comme des clous[14]. Cette démotivation (un peu terrifiante) de la part de Liloo, notre sauveur présomptif, ne risque-t-elle pas de nous faire glisser vers les « exterminateurs » de Zardoz[15]?

Abandonner et s’absoudre, c’est un peu ce que nous faisons tous ; et là, je suis en première ligne, car franchement écrire un papier, est-ce bien suffisant ?

« — Tu sais ce qu’on fait avec le papier au Mexique ? » questionna le sorcier Don Juan Matus, lorsque Carlos Castaneda lui montra le livre qu’il avait écrit sur lui[16]. Serais-je réellement sauvé (je veux dire capable de surmonter l’insondable problématique de la fin de la vie) par mes simples écrits ? On peut légitimement en douter. Mais le doute est l’ennemi du bonheur (voir supra) et je n’ai pas grand-chose d’autre à quoi me raccrocher.

De toute manière, une chose positive dans l’activité d’écrivain, c’est que vous n’obligez personne à vous lire.

Ça, ça me plait bien. Inutile d’emmerder les autres.

Terminons en chansons avec John,

Imagine there’s no heaven
It’s easy if you try
No hell below us
Above us, only sky.[17]

Merci pour vos like, pour vos gentils commentaires et, bien sûr, pour vos abonnements…

[1] Ecce homo est une expression latine prêtée à Ponce Pilate, signifiant : « voici l’homme ».

[2] Les trois noms du citoyen romain étaient le prénom (prænomen), le nom (nomen) et « le surnom (cognomen).

[3] Les Liaisons dangereuses est un roman épistolaire du 18ème siècle, écrit par Pierre Choderlos de Laclos.

[4] Bernardo, personnage de fiction, est le fidèle serviteur muet de Zorro.

[5] Extrait de la chanson Ordinaire.

[6] Ce personnage est « la vieille aubergiste » dans mon recueil de pièces de théâtre Le Théâtre des deux côtés.

[7] David Fraser Mac Taggart était un environnementaliste canadien qui joua un rôle central dans le développement international de l’association.

[8] Charles Hernu était ministre de la Défense sous la présidence de François Mitterand.

[9] Nous ne parlerons pas cette fois du Dodo d’Alice au Pays des Merveilles, mais du symbole de la disparition d’une espèce animale causée par l’être humain.

[10] Ennemi principal de Guy l’éclair (Flash Gordon d’Alex Raymond), l’empereur Ming, veut devenir le maître du monde.

[11] Personnage de Norbert Jacques, Mabuse, génie du mal, envisage de devenir le maître du monde.

[12] L’Ombre jaune est un personnage d’Henri Vernes (Bob Morane) dont on peut dire que les projets coïncident avec ceux des deux premiers cités.

[13]  Voir la pièce Barabbas de Michel de Ghelderode.

[14] Citation d’Abraham Maslow dans The Psychology of Science, 1966. Cet aphorisme appelé « Marteau de Maslow » illustre ce qu’il a défini comme la Théorie de l’instrument, à savoir : la tentation qui consiste à travestir la réalité d’un problème en le transformant en fonction des réponses dont on dispose, ou encore le fait de considérer qu’il n’y a qu’une réponse unique à tous les problèmes.

[15] Dans le film Zardoz de  John Boorman (1974) les « exterminateurs », sont, au départ, chargés d’exterminer tous les humains qui ne font pas partie d’une société élitiste abritée dans des « vortex » inaccessibles.

[16] Carlos Castaneda est l’auteur de L’Herbe du diable et la petite fumée, un ouvrage basée sur l’enseignement d’un sorcier yaqiu.

[17] Imagine qu’il n’y ait pas de paradis
C’est facile, si tu essaies
Pas d’enfer en-dessous de nous
Au-dessus de nous seulement le ciel.

4 réflexions sur “Les poncifs de Pilate

  • ISABELLE JOUS

    Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que plutôt il s’élevait un tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, disant : « Je suis innocent du sang de ce juste ; vous, vous y aviserez. ». “La vérité est comme l’huile enfoncée dans l’eau”. Se laver les mains de cette manière reste très superficielle. Et je rajoute : “Jésus a été mis à mort, l’ennui est que Barabbas vit toujours”.

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    • Georgie

      Merci pour ce commentaire, Zaza. Double merci, même puisqu’il intervient avant même que je t’aie signalé personnellement la publication de mon article (mais sans doute es-tu abonnée ?). Les précisons bibliques que tu apportes aux dialogues augmentent le côté résolument didactique de mon petit papier.

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  • Jean-Luc Dalcq

    “Il suffirait de petits riens pour combler nos toux, dit-il en éternuant (un covid rémanent?), mais ce n’est rien du tout puisque nous sommes bons à rien. Notre principal atout, c’st de n’être terrien. C’est de naître ; t’es rien” aurait pu dire jacques Tatou dans son dernier opus “le dernier blizzard”. N’empêche que l’armoire perchée tout au dessus du sirocco ne manquait pas de style. Mais évidemment Stephen bien planqué derrière son armonica, n’était pas le dernier membre à en vouloir au “Buffalo springfield” de n’avoir pas payé les arriérés alpagués par Véronique pour son retour en France. Léon Zitrone, malheureusement atteint d’une salpingite inopinée du larynx n’a pas pu couvrir l’événement. Par contre Michel Berger l’attendait bien avec un bouquet de fleurs sur le tarmac d’Orly (sud?)

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    • Georgie

      Merci d’avoir lu et pour ce chouette commentaire Jean-Luc

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