La folie des glandeurs

Le moral est sauf

Le moral est sauf ! dirait La Fontaine en s’emparant impunément des travaux d’Ésope1.

Sachons reconnaître nos erreurs : je me souviens avoir été déconcerté par des proches qui m’assuraient ne plus vouloir ni regarder ni écouter les informations.

Je pensais que cette tactique sablonneuse de l’autruche n’était pas la panacée en matière de protection.

Mais, à la réflexion, si l’on considère l’attitude de cet animal sans aucun a priori par rapport à son inefficacité patente, on doit objectivement admettre que l’autruche semble privilégier la défense de sa tête. Par une extension hardie (dont j’ai le secret) peut-être que certaines personnes doivent protéger l’intérieur de leur tête pour, tout simplement, continuer à être heureux.

Les nouvelles ne sont pas rassurantes. Au-delà de l’euphémisme, c’est un constat facile. Diffusées en boucle, elles peuvent gâcher l’instant présent. Notre vie : simple somme et succession de moments, peut s’en trouver sérieusement altérée. Notre joie de vivre peut s’en trouver diminuée.

Si les journalistes qui les dispensent et les commentent ne sombrent pas dans le désespoir, c’est probablement parce qu’ils les partagent avec nous. Il y a chez eux une sorte de vague espoir de voir les peuples, une fois mis au courant, se soulever contre les injustices. Va-t’en savoir.

Exacerber notre insignifiance, tant individuelle que collective, n’est pas le but premier des medias (sinon quel étrange métier). En tout cas il n’était pas dans le chef d’Henri Morton Satnley2 lorsqu’il traversait le continent africain. De même qu’il ne briguait pas le premier prix des physionomistes en présumant reconnaître Livingstone au milieu d’un village de noirs sur une des rives du lac Tanganyika.

Et pourtant, en nous utilisant en quelque sorte comme de modernes boucs émissaires, la société humaine nous fait porter une partie du fardeau que son fonctionnement engendre. Il ne faudrait pas grand-chose pour que (prêtant le flanc à mes incompréhensibles adversaires) j’ose nous comparer tous à des victimes expiatoires.

Mais stop ! Il faut garder le moral ! Lançons des confetti contre vents et marées !

Alors, pour y arriver, vais-je résister à la tentation de vous citer, une fois de plus, L’École des jours 3? Non, car je vous sens prêts à me suivre dans toutes mes audaces :

« — Je ne crois pas aux humains, dit Jorch, ça n’existe pas.

Non ? Répondit Piédalu, dubitatif, et nous, alors ? Qu’est-ce que nous sommes ?

Impitoyables. »

Je vous livre ce mémorable extrait en souvenir d’un épisode du Jardin extraordinaire où Edgar Kasteloot4 mous apprenait que les félins ne semblaient pas connaître la pitié. Ils paraissaient même en être totalement dépourvus. Oh, pas par choix, rassurons tout de suite notre sensibilité, mais plutôt comme nous sommes privés, nous, du système sonar des cachalots ou du système radar des chauves-souris.

Dans un autre documentaire animalier, une mère oiseau (genre échassier du Nil) regardait se battre ses deux petits. L’aîné a triomphé et le cadet a pris l’attitude classique des vaincus. Elle a immédiatement cessé de d’alimenter et de l’abreuver. Elle était, elle aussi, insensible à la pitié.

Bien entendu, cela nous déroute (voire nous épouvante) car nous avons tendance à projeter sur les animaux des sentiments et des comportements qui, en réalité, sont spécifiques à notre conception particulière du monde. On parle parfois dans ces cas-là d’anthropomorphisation5.

Mais à propos du moral, où est la bonne nouvelle dans tout ça, me direz-vous ?

Eh bien la voici : si vous êtes le dernier ou le seul humain vivant et que vous êtes bon, eh bien c’est grâce à vous que la bonté existera sur terre. Mais si vous êtes pétri d’ire et de haine, c’est à cause de vous que l’inimitié et la colère y existeront. Je suis trop bête pour avoir eu cette belle idée tout seul, elle m’a été fortement inspirée par Krishnamurti6.

À travers chacun d’entre nous peut exister sur la Terre ce qu’on a envie qu’il y règne. Ça fait du bien, pas vrai ? Je me réveille la nuit pour me le répéter.

« Car étant moi-même un piètre danseur, je ne manque jamais une occasion de m’amuser. Voilà la solution. Merci Monsieur Mortaise. »

Après cette tirade garbagio-christmasique de Thierry Lhermitte, poursuivons les réjouissances.

Je me revois poussant des —« Merci Saint Nicolas7 » enthousiastes. Bien sûr, aujourd’hui je sais qui est Saint Nicolas (le contraire serait inévitablement étonnant, voire même très grave) mais la part de merveilleux qu’il a engendré demeure. Parfois, il est favorable de « marquer le coup » pour des évènements heureux ; même si l’authenticité de leur enchantement est sujette à caution. Cela peut permettre de résister à la morosité que la part d’ombre de la communauté humaine produit et contre laquelle nous devons lutter sans désemparer..

Pour raffermir notre confiance, je terminerai avec la version piémontaise d’une chanson qui symbolise la résistance :

Ma verrà un giorno che tutte quante

O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao

Ma verrà un giorno che tutte quante

Lavoreremo in libertà8.

Merci beaucoup pour vos like, pour vos commentaires (souvent gentils) sur Messenger et, bien évidemment, pour vos abonnements.

À bientôt.

1 Ésope est un écrivain grec du VIIème siècle av. J.-C, à qui l’on attribue la paternité de la fable.

2 Stanley était un journaliste et explorateur britannique. Il est connu pour son exploration de l’Afrique et sa recherche de David Livingstone.

3 Écrit en 1972, et aujourd’hui fragmentaire, L’École des jours est un livre qui faisait la part belle à l’empirisme.

4 Edgar Kasreloot est un scientifique et un homme de télévision belge. Il s’est notamment illustré en tant que concepteur de l’émission Le Jardin extraordinaire.

5 L’anthropomorphisme est un terme créé au milieu des années 1700 par le baron d’Holbach et développé dans son Système de la nature.

6 Jiddu Krishnamurti est un penseur indien promouvant une éducation alternative.

7 Fêté le 6 décembre, Saint Nicolas, à l’instar du père Noël, distribue des cadeaux aux enfants.

8 Mais un jour viendra que toutes autant que nous sommes

O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao

Mais un jour viendra que toutes autant que nous sommes

Nous travaillerons en liberté.

4 réflexions sur “Le moral est sauf

  • BROUET ERIC

    Cher ami,
    Le problème n’est peut-être pas l’information en soi, mais la dose d’affects que l’on met dans sa transmission.
    Une information restant une retranscription de faits, voire l’analyse de ces faits à partir de quand (et donc via quels médias) sont exclus notre capacité d’entendement pour parler comme Kant, au profit de notre ressenti, nos émotions?
    Ce qui n’empêche que la pitié est selon Rousseau une des composantes de l’humain, la pitié et la capacité d’évoluer, bien entendu la pitié est de l’affect (ce qui est humain me touche) et bien entendu d’autres parts affect et raison devraient marcher main dans la main sans cela nous serions purs technocrates ou pures sensiblerie. Notre capacité à nous émouvoir et celle de comprendre nos émotions détruisent nombre de nos peurs et de nos craintes.
    Bonne journée!

    EB

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  • ISABELLE JOUS

    C’est un fameux problème auquel je suis confrontée, surtout depuis que j’habite en communauté valencienne, qui paradoxalement se trouve être pays de Lumière et de paysages fabuleux redécouverts chaque jour. Peut-être que cette beauté envoûtante finit par me réconforter. Une montagne émerge à l’horizon d’une balade, renvoie sa lumière telle une apparition céleste, le souffle est coupé et l’esprit hypnotisé. Les montagnes font partie du divin, la déesse terre-mer.

    Le problème est de taille, en ce qui me concerne uniquement pour les images que l’on impose à l’écran. La violence gratuite. Même pas d’avertissement, une telle image peut s’insérer dans un espace insoupçonnable et en 1/4 de seconde on est pétrifié, même pas par l’horreur en elle-même, mais par la vitesse de la violence imposée. Et une journée de fichue, il faut remettre le moral dans une autre sphère et amnésier voire anesthésier l’effet de ce projectile foudroyant.

    L’insouciance dure le temps d’un bonheur. Heureux qui comme l’innocent n’a pas fait un long voyage.

    N.B. : je crois fermement, contre vents et marées, que les cloches de Pâques existent. Nous habitons au pays des premiers papes de tous les temps et il ne peut pas en être autrement. Saints Borja obligent.

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  • Dewonck

    C est tellement vrai! C est tellement beau! Merci Geogie

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  • Jean-Luc Dalcq

    Moi aujourd’hui quand les nouvelles tombent, non seulement je ne me presse pas pour les ramasser, mais j’éprouve de plus en plus de joie à m’y essuyer les pieds. Je ne suis pas convaincu qu’une telle daube bien souvent puisse réellement porter chance.

    Qui distille l’info aujourd’hui plus que jamais, d’où vient-elle et à qui profite le crime?

    Tout est là et le reste c’est du nougat.

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