Les Blancs de Philippe Sarr

Les Blancs : deuxième épisode

Deuxièmes analyses

Pure métafiction, des romans imaginaires sortent du néant pour devenir, sous la plume de leurs éminents critiques, plus réels que jamais.

Le fantôme de Marlène Dietrich

«  — Qu’est-ce que ça peut faire qu’il nous ait laissé là comme deux connes ?

— J’en sais rien. Je demandais ça comme ça…

— On est bien barrées toi et moi !

— Attends, t’as entendu ?

— Quoi ?

— J’ai peur…

— Moi aussi j’ai peur… »

Qui est cette femme dont la voix rappelle celle de Marlène Dietrich ?

Qui est cet homme dont les profonds soupirs laissent décidément perplexe ?

Sarr, comme à son habitude, plonge le lecteur dans un embarras affolant, parsème son texte de « blancs » (en référence, prétend-il, à un certain Aloysius Bertrand, dont il était un grand fan), n’hésite pas, quand la situation l’exige comme ici, à le mépriser (en ce sens, mon confrère a entièrement raison de dire que l’auteur voyait sa vie de « très, très haut ! »).

Pour l’auteur des célèbres « Chairs utopiques », le « blanc » était à la littérature ce que le vide est à l’univers.

On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, répondait-il à ses nombreux détracteurs, lorsque ceux-ci, hilares, faisaient ironiquement monter ses « blancs » en neige !

PS

Le mur

Le mur de verre blanc s’effrite

Laisse pénétrer la lumière du Dedans

S’effondre sur lui même

Largue ses flèches mortificatrices

Ouvre des brèches dans le mur d’argent

Un inconnu

— Comment, c’est creux ?

Les blancs contrastes

« Le blanc est à la littérature ce que le vide est à l’univers », a-t-on lu quelque part.

C’est pourtant vrai.

Le vide représente presque tout, dans l’univers. Mais sans son presque rien – la matière, avec les atomes, les molécules et tout le tremblement –, sans son presque rien, le presque tout n’est rien.

Je veux dire que le presque tout moins le presque rien égale le tout à fait tout. Et le tout à fait tout n’est rien. Rien du tout. Ou en tout cas moins que pas grand-chose. C’est très simple. Juste une histoire de contraste.

La littérature est donc, selon cette brillante image, affaire de quelques mots perdus dans l’immensité d’une page presque blanche. Une conception exactement contraire à la philosophie du remplissage actuelle, où les mots se suivent et se ressemblent, de l’encre, encore de l’encre, de l’encre à ras le gosier, tout doit être bu, tout doit disparaître, tout doit être lu ou partir au pilon. Au secours. C’est quand les mots se font rares qu’ils pèsent de tout leur poids. Noir sur blanc.

On a cela, dans Aloysius Bertrand. La peinture à l’honneur. Les contrastes. Avec simplement quelques mots. On comprend l’affection portée à cet auteur par Philippe Sarr. Mais que vient faire Marlène Dietrich (ou son fantôme) dans cette histoire ?

Aloysius n’a pas connu Marlène. On en est sûr. Quasiment. Il n’est même pas prouvé qu’il fréquentait le cinéma de quartier en bas de chez lui. Mais Marlène connaissait-elle Aloysius ?

Le lut-elle ?

On sait qu’elle aimait la poésie. Quels sont les mots qui la marquèrent ?

Quel était son poème préféré ? osait même s’interroger Peter Murphy dans son émouvante chanson. Beaucoup de questions.

Le fantôme de Marlène Dietrich rôde dans « Les Blancs » comme un courant d’air intrigant, qui s’approche puis s’en va en nous laissant avec des questions, et quelques frissons d’angoisse.

Dans ce vide qui nous entoure, nous demandons-nous, comment trouver les quelques mots qui ont le pouvoir de nous sauver ?

Jérôme Pitriol

De l’autre côté du mur

— J’ai fait un plein de vide et je suis allé très loin.

— Où ?

— Nulle part.

Les conflidenses de Phixi

– En référence à quoi ?

Pour s’identifier à qui ?

Pour qui se prenait-il donc ?

Ah Sarr !

Notre écrivain, est coutumier d’inviter dans ses ouvrages des personnages célèbres : Marilyne, Hannah Arendt, Madonna… des hommes aussi… Tous de chairs et d’os, et si bien plantés !

Mais pourquoi dans ses « Blanc » place-t-il la voix de Marlène Dietrich dans la bouche d’une femme au corps diaphane, limite invisible ?

Qui est-elle ?

J’ose : se pourrait-il qu’elle soit : nuée d’éphémères, ou bien (comme le laissât supposer J. Pitriol, que j’ai moqué plus tôt) fumée ascendante (petits signaux d’indien d’Amérique de nos illustrés d’antan) ?

Se pourrait-il que j’aie eu tort ?

Que son voyage en ballon soit la métaphore de sa découverte tardive de la femme aimée. Et, plus loin, annonciatrice de sa perte ?

De sa chute ?

Chagrin dévastateur qui emmènera son héros pudiquement nommé « homme », vers une irrépressible tendance à lever le coude plus que de raison ?

Vin blanc, pour l’esthétique du mot imprimé, plus que pour son goût. Paradis artificiels au tintement cristallin plutôt que ligne blanche au reniflement nasal… Quant au rouge… mot de sang. Menstrues qu’il abhorre, tant il aime, selon une expression d’une amie Africaine : « Manger quand il a faim ».

Oui, car c’est bien dans l’alcool que l’écrivain trempe sa plume. Dans l’alcool (dont il n’hésite pas à citer les marques dans ses deux premiers ouvrages). L’alcool, le fort, et le stupre.

Ah le stupre ! Parlons-en ! « Les femmes séduisantes à la peau blanche… » si longuement et délicieusement décrites dans les épisodes, sur lesquels maladroitement (ou intentionnellement) mon chat a renversé mon verre de Suze.

Sic. Je lis entre les taches : «  La femme courte est celle qui me convient le mieux dans la mesure où… » Je vous laisse vous remémorer la suite (ou le relire si cela n’est déjà fait)… car nous ne sommes pas ici pour reproduire les bribes de son chef-d’œuvre, mais bien pour l’analyser.

Dans son propos sans ambiguïté, l’auteur ici se joue bien de nous, et pour reprendre le mot, fort savant, d’un confrère., dont beaucoup d’auteurs abusent et dont le nôtre obvie uniquement par extrême nécessité ne pouvant suppléer au recours à un inexistant synonyme : les synecdoques, on peut toujours se les… (Mais ceci est une autre affaire…).

Serge Cazenave-Sarkis

De l’autre côté du mur

— D’un coup je l’ai blanchi, cet escogriffe !

— A la chaux ?

— Non. Sous le harnais !

Les conflidenses de Phixi

Erreur fatale, pensais-je, rédhibitoire dans un monde tel que le nôtre, que d’aller à la pêche sans son Mauser…

Fit to be tied

Oui, amis lecteurs, j’ose le dire : « Les Blancs » est un livre de dingues.

Peut-être même écrit par un cinglé (mais mon grand respect pour l’auteur me retient). D’ailleurs il suffit de regarder les écrivains qui composent le staff, le noyau des Cahiers, pour comprendre le choix du thème.

« — Ne saurais-tu trouver quelque moyen pour me tirer de peine?

— J’en imagine bien un ; mais je courrais le risque, moi, de me faire assommer.

— Eh ! Scapin, montre-toi serviteur zélé. Ne m’abandonne pas, je te prie.

— Je le veux bien. J’ai une tendresse pour vous qui ne saurait souffrir que je vous laisse sans secours.

— Tu en seras récompensé, je t’assure ; et je te promets cet habit-ci, quand je l’aurai un peu usé.

— Attendez. Voici une affaire que je me suis trouvée fort à propos pour vous sauver. Il faut que vous vous mettiez dans ce sac, et que… »

Un sac. Mettre un fou dans son sac. Je serais la première à dire que le Québec regorge d’expressions colorées, toutes aussi farfelues les unes que les autres. Celle-ci convient à merveille à notre roman.

« Il venait de s’y passer des choses étranges : le pauvre Junot, gouverneur général, était devenu fou à lier ; il était marqué au ciel que la génération des aides de camp du général Bonaparte s’en allait : Bessières et Duroc frappés par le canon, et Junot qui courait tout nu sur un char, à la manière antique. »

(Jean Baptiste Honoré Raymond – L’Europe pendant le consulat et l’empire de Napoléon).

Parler de Napoléon quand on parle de fous, c’était signer un chèque en blanc à l’auteur. Ce dernier s’empressa de l’empocher et, déguisant Winston Churchill en Lili Marleen, il redevint ce prestidigitateur dont nous avions pu apprécier le talent dans la cavalcade de son « Tagada ».

Lou Salomé

De l’autre côté du mur

– Un chevalier apparut au loin, plus soubresaut que souverain.

– Et alors ?

– Il avait l’âge de mon fils !

Les conflidenses de Phixi

Dia, ma sœur, était aux anges. Maintenant, c’était au tour des Blues Brothers (Everybody needs somebody to love), de chauffer la salle.

Un jeu peut en cacher un autre

Nous sommes en extase. Un enfant qui, à douze ans, écrit une pièce de théâtre sous influence et qui, quelques années plus tard, nous impressionne avec “Les Blancs“, voyez le chemin parcouru.

Et pourtant, nous savons tous combien il est difficile de commencer…

Quel pion allons-nous avancer en premier ? Et comment vont riposter les Noirs ? Serons-nous échec et mat ?

Mais si vous relisez attentivement ce roman passionnant, vous comprendrez que nous ne sommes pas dans un jeu d’échecs mais de dames !

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô diantre !

Nous voilà plongés au sein même du drame : les femmes séduisantes à la peau blanche. Et le génie de l’auteur de nous emmener sur les chemins de la synecdoque. Bien sûr, encore une illusion.

Le vin n’est blanc que par son génie, sa capacité d’adaptation.

Quant aux femmes : teint blanc et laiteux au 19ème. Teint doré voire cramé au 20ème. Teint vert cerné de noir au 21ème. Elles sont les plus belles promesses, les plus beaux rêves, les plus grands espoirs.

Ne dit-on pas passer une nuit blanche ?

Ayant compris la synecdoque, « Les Blancs » deviennent un rafraîchissement pour l’esprit.

Minily & souris

De l’autre côté du mur

— Le temps nous presse. Et nous le lui rendons bien.

— Comment ?

— Arrête, j’ai la nausée !

Les conflidenses de Phixi

Émouvante cette remontée éperdue du temps à travers des tubes vieux comme des pantalons à patte d’eph’ !

In vino veritas

Mal préparés lors de leur sortie aux éditions moribondes (aujourd’hui disparues) Kirographaires, « Les Blancs » (pardonnez-moi l’expression) firent chou blanc.

Les lecteurs ahuris, découvrant les innombrables pages vierges, crurent à une arnaque. Soupçonné d’être un livre blanc, l’ouvrage fut obstinément boudé par le public.

Beaucoup mieux communiqué et expliqué lors de sa parution chez Bozon2x, les lecteurs, enfin prévenus que le roman était, en fait, rédigé à l’encre sympathique (belle performance d’imprimeur) lui réservèrent un accueil chaleureux. « Les Blancs » furent plébiscités.

Ce roman inclassable, qui démarre par la description effrénée de qualités du vin blanc : « Le vin blanc qui, du reste, nous apparaît, du point de vue de sa coloration, de diverses nuances de jaune, est l’antithèse du vin rouge ! » est surtout un tourbillon d’idées, de rires et de réflexions pertinentes ou saugrenues sur le thème des femmes séduisantes à la peau blanche.

L’auteur nous expose que l’idiotisme de Blanc – ou race blanche – englobe de manière hyperonyme l’ensemble des individus à la peau claire. Et que l’habitude de cette terminologie a été consacrée par le classement des humains selon des critères apparents.

La peau des blancs (nous expliquent « Les Blancs ») n’est pourtant pas blanche et n’est qu’une synecdoque.

Georgie de Saint-Maur

De l’autre côté du mur

— L’auteur a mis du lait dans son café… Puis il s’est endormi.

— Comme ça ?

— Non, comme toi !

Les conflidenses de Phixi

La tante de Batty avait, paraît-il, coutume de fréquenter les clubs échangistes. Ce dont tout le monde se foutait…

2ème résumé des « Blancs »

Tout commence par un message laissé par Jeff Charbonnier sur le blog de Bonnetblanc.

Ou celui de son frère Blancbonnet (c’est idem).

S’ensuit une conversation internautistique d’un niveau ordinaire (plat), où le lecteur, lisant entre les lignes, voit par quelles manœuvres psychologiques le fourbe Charbonnier ingère dans la vie des deux héros, comme une tranche de jambon fumé entre deux tranches de pain blanc.

En même temps qu’il présente à Blancbonnet Éburnée Hurt, une actrice et peintre au décolleté troublant et dont le timbre de voix rappelle celui de Marlène Dietrich, Charbonnier entraîne Bonnetblanc dans des parties de poker dantesques (il n’est pas prouvé que Dante jouait au poker, mais l’adjectif fait bien, ici).

Blancbonnet, galvanisé par sa muse, peint de l’actrice un portrait noir et blanc qui se vendra 10 millions de dollars, mais les magouilles de son frère, qui a déjà perdu le double au jeu, finiront par conduire nos deux compères au bagne, où ils seront condamnés aux travaux forcés, mais où ils trouveront néanmoins leur vocation dans des bains de boue épiques quoique non prescrits par leur dermatologue (qui n’est autre que l’implacable Charbonnier, dont ils commencent depuis un moment à vouloir la peau).

Survient alors pour la première fois le personnage de Philippe Sarr – l’auteur lui-même qui se met audacieusement en scène – dont on se rappelle que jusque là il n’avait été qu’évoqué (et nommé une fois) dans la correspondance de l’incipit entre Blancbonnet et Charbonnier.

Après cet épisode du bagne, une ellipse narrative nous transporte sans explications, avec les deux frères dans un vieux manoir. Tandis qu’une fouine ou un furet tricéphale poursuit comme en un cauchemar atroce des êtres nus à tête d’œuf, les deux frères s’entre-déchirent dans une joute verbale sans précédent où le lecteur est invité à compter les points.

Lorsqu’ils se rendent à la cuisine (car tout cela leur a creusé l’appétit), un personnage – Charbonnier ou Sarr, on ne parvient pas à trancher, l’auteur est ambigu – leur intime l’ordre de jeter les jaunes d’œuf qui pataugent au fond d’un saladier. Les malheureux s’exécutent, malgré la faim qui les tiraille ; survient une femme, ils doivent alors réaliser son portrait à partir d’une peinture au blanc d’œuf. Ils découvriront alors que rien n’est lié, ni pour leur peinture, ni dans le roman dont ils sont les victimes.

Enfin l’un des deux frères, ou quelqu’un d’autre, apostrophe la femme, qu’ils n’ont jamais vue auparavant, et qu’ils sont bien incapables d’appeler par son nom, d’un bouleversant « Pénélope ».

Jérôme Pitriol

Interview par Louise Berg (suite)

Comment définiriez-vous votre rapport à l’écriture ? Depuis quand écrivez-vous ? 

J’écris comme je dors. Donc sous influence. Je dirais alors que je suis un “écrivain sous influence onirique”… Quant à mon premier vrai contact avec l’écriture ? Une mini pièce de théâtre. J’avais une douzaine d’années.

Un moment extraordinaire.

De l’autre côté du mur

— Je me doutais bien que tu y tramais des complots sybarites avec ton pote !

Ce que l’on sait

Le mur de verre blanc s’effrite sous les coups de piolets de nos valeureux analysants, des escaladeurs hors pair que rien n’effraie, pas même les « malices » de l’auteur.

Non, Marlène ne connaissait pas Aloysius. Mais oui, notre écrivain qui aimait passer ses textes à l’économe dans un souci d’efficacité, avait coutume de laisser entrer qui veut dans ses récits. Y compris des personnages célèbres qui ne se faisaient pas prier pour s’engouffrer dans la faille. Car particulièrement cinglé, fêlé, pas du tout cintré (vous apprécierez la nuance), notre auteur n’en manquait pas.

Certes, il commença à écrire très tôt, dés l’âge de douze ans, paraît-il. Un âge où il avait déjà compris que pour vivre heureux, il fallait vivre caché. Il essuya de nombreux refus d’éditeurs. A l’inverse, quand l’un d’eux prit le risque de le publier, il connut aussitôt la faillite.

Certains y virent une forme de racisme larvé.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.