La folie des glandeurs

Entre autres délices œcuméniques

« — C’est quoi que tu écris ? demanda René, simulant l’intérêt.

— Des livres, répondit Jorch.

— Oui, mais quel genre de livres ?

— En papier, avec des pages. » (L’École des jours, 1972)

 

Vous avez été nombreux à m’insulter copieusement au sujet de mon dernier article sur le temps[1] et je vous en remercie.

Pour l’anecdote, les partisans (les amis ?) de l’Empire romain m’ont chaudement félicité et offert un voyage à l’île du Diable[2].

 

Bien sûr, vous avez entièrement raison, Néron n’était peut-être pas tout nu et Aristote ne s’est jamais pris pour un chien.

Mais les Folies sont des écrits humoristiques  dont un des buts est de faire sourire.

 

En tout cas, ça m’a donné l’envie d’en écrire une autre.

Je reviens un peu à la charge à propos d’un sujet qui semble avoir des adeptes parmi vous : l’écriture.

Si l’on s’en réfère au Pape Jules III, publier ce que l’on écrit fait partie des droits de l’homme depuis la Controverse de Valladolid[3].

En France, plus de 12 millions d’aspirants écrivains, nous divulgue Stanislas de Halda sur Livre Hebdo (et tous très mécontents de ne pas être publiés). Le confinement semble avoir décuplé l’ambition graphomaniaque.

 

Alors comment sortir du lot et faire admettre son génie ?

À l’instar du Perisonium[4], l’idéal serait de s’identifier ou se définir par le travail lui-même, entroquant son patronyme contre sa profession.

« — Comment t’appelles-tu ?

— Porteur d’eau.

— Je veux dire : quel est ton nom ?

— Seuls les samouraïs ont un nom. »[5]

 

Pourtant, il n’y a pas plus de génie littéraire que de lampe d’Aladin. Il n’y a que du labeur sur de l’inspiration.

Si vous travaillez sur un projet et qu’en levant les yeux de votre écran, vous voyez un magnifique coucher de soleil par la fenêtre, arrêtez-vous quelques minutes pour savourer cet instant, ça fait partie de votre travail.

Essayez de conjuguer le verbe « être » au lieu du verbe « avoir » ça peut avoir des conséquences bénéfiques sur la teneur du texte.

Et c’est là que Shakespeare intervient : qu’est-ce que « être », sinon la tentation d’être sans pitié ? Sa mythique question prend tout son sens, face au suicide nombriliste contemporain.

 

La naïveté est très suave. Grâce à elle, on n’embarque pas à bord du bathyscaphe qui plonge dans les abysses de la noirceur humaine. J’y ai recours le plus souvent possible.

Cependant elle a forcément des limites.

Certains me reprocheront de le dire mais, depuis longtemps, partout sur la planète règne sans partage la loi du plus fort.

 

Face à son intolérable oppression (les costauds sont parfois stupides) se détermine habituellement un piège prédateur (le costaud est plus puissant que nous, il nous faut impérativement le tuer).

Éliminer le plus fort étant contraire aux principes de la sélection naturelle, on changera donc de paradigme : le résultat de la compétition que se livrent spontanément les individus sera le fruit de la ruse plutôt que celui de la force.

 

Quel rapport avec l’écriture ?

Un parallèle facile. Beaucoup d’écrivains s’imposent par la brutalité de leur philosophie. Difficile de dire ce que ressentent les personnes élevées dans le culte de la violence (les Romains du temps de Néron, pour prendre un exemple au hasard), car ils sont très éloignés de nous.

Mais avaient-ils vraiment le choix ? Les barbares étaient nombreux et bien décidés à massacrer tout le monde.

Les petits romans en grec que lisaient les citoyens n’y changeaient pas grand-chose.

Flûte, l’inculture marque un point.

 

« Parce que tu versifies dans une langue déjà formée, crois-tu donc être poète ? »

Tous les hommes profèrent des sons et créent des langues.

Ils sont très attachés à celle de leur enfance qu’ils appellent : maternelle.

Son écriture, qui implique de facto une situation géographique déterminée et une singularisation culturelle, nous divisera-t-elle davantage ? Créera-t-elle un isolement ?

Tout dépend de ce qu’il est écrit, mais j’ai tendance à penser que oui. Car on peut même inventer des langues qui ne sont parlées par personne (voir ma longue liste dans ni trop ni trop peu[6]).

 

Or, pour arriver à un embryon de fraternité, il faudrait peut-être que tous les humains parlent, écrivent et comprennent la même langue.

Ce serait alors une très utopique Babel pérasmaphile[7].

Hormis cette option, tout le monde se rabattra sur le mutisme des Beaux-arts ou l’éloquence de la musique, pseudo-langages universels immensément doués.

 

Maintenant, entendons-nous bien : dans une humanité complètement unie ou résolument harmonisée, resterait quand même la question du « pour quoi faire » ? En effet, la vie humaine et ses questionnements ne se résument probablement pas à la communication planétaire.

 

Je gage que la réponse d’un dieu s’imposera tout naturellement, comme elle l’avait déjà fait bien avant nous.

Le fonctionnement de notre cerveau, programmé pour être anthropocentrique, s’en accommodera-t-il ? Ou en sera-t-il perturbé ?

 

Même au Walhalla, la notion divine est synonyme de félicité. Or du point de vue du ressenti, les temps du bonheur paraîtra toujours plus court que celui du malheur. Le paradis sera fugace.

Mais rassurons-nous. Il y a quelque chose dans l’univers de plus fort que la tristesse et le défaitisme. Il y a le hasard intelligent du destin et puis, surtout, il y a la navigation dans les zones de bénédiction.

 

Alors, rions un brin (vous me connaissez) avec la Camarde[8].

Dans l’esprit de l’homme primitif, tout comme chez les bêtes, la mort se bornait souvent à un constat qui n’était pas forcément lié à une explication.

Se rend-on vraiment compte de l’espoir incroyable qu’a fait naître cet erectus illuminé qui prétendait que le mort qu’il tenait entre ses bras, n’était pas mort ? Qu’il vivait dans une autre vie ?

Quelle force prodigieuse nous offrait cette possibilité !

Quelle perspective fabuleuse d’implication dans des buts infinis !

 

Ça c’est le côté positif.

Malheureusement pour l’écriture moderne de rubriques culinaires, serions-nous aussi candides que le déplorait Voltaire, que le futur serait quand même facilement prévisible.

 

Plus d’eau ; plus rien à manger : la sinistre dystopie de Soleynt green[9] se profilera vraisemblablement un jour ou l’autre. Cela pourrait même être le retour odieux des cannibales évoqués dans La Guerre du feu, ou ceux du roman Robinson Crusoé.

 

Attendez, pardonnez-moi, amis lecteurs, mais (même si on aime Jean-Jacques Annaud et Daniel de Foë), il me semble que tout cela est abominablement glaçant, vous ne trouvez pas ?

Ah zut… encore une fois, j’ai un peu perdu de vue mes bonnes résolutions littéraires.

 

Vu qu’il ne se passe pratiquement que des choses atroces, j’avais juré (sur la tombe du nain Joyeux) de ne plus écrire que des choses qui feraient du bien aux gens.

Des choses qui soient gaies, amusantes et légères.

Là, je vous ai déçus, je le vois bien.

 

Alors j’y vais ! Écoutez bien ceci : cet homme primitif avait raison.

La vie peut vraiment être douce et pleine d’espoir, car nous sommes des entités spirituelles éternelles qui font une brève expérience humaine.

Et ça, nous le savons tous au plus profond de nous.

 

Voilà.

Bien entendu, cet article a été (une fois de plus) follement drôle, et vous avez dû vous tordre de rire, en vous précipitant sur votre stylo pour rédiger, en dépit de mon premier paragraphe démotivant, votre prochain best-seller.

Eh oui, il ne faut jamais perdre ni espérance, ni courage et, comme vous êtes bon public, je trouverai le culot de vous asséner, au final, ma célèbre formule optimiste : pas de mousse au dernier concert des Rolling Stones

 

À présent, nous allons nous quitter au son des rimes subtiles d’une célèbre chanson de ce bon vieux Boris :

 

Quand j’aurai du vent dans mon crâne
Quand j’aurai du vert sur mes osses
P’tet qu’on croira que je ricane
Mais ça sera une impression fosse.

 

Merci pour vos like, pour vos commentaires infra, pour vos messages sur Messenger et, évidemment, pour vos abonnements.

 

 Georgie de Saint-Maur

 

[1] Je parle de mon article intitulé Sens inique.

[2] Située en Guyane, l’île du Diable a servi de bagne dès 1852.

[3] La Controverse de Valladolid, qui a eu lieu en 1550 en Espagne, est considérée comme le premier débat sur les droits de l’homme.

[4] Le Perisonium est le vêtement porté par Jésus sur la croix.

[5] Shogun est série télévisée de 1980, inspirée du roman de James Clavell.

[6] Ni trop, ni trop peu est un des  textes qui constituent mon essai intitulé Excentricités littéraires.

[7] « Pérasmaphile » est un néologisme inspiré du grec : Pérasma (πέρασμα) passage.

[8] La Camarde est une figure allégorique de la Mort, généralement représentée sous les traits d’un squelette ou d’un cadavre décharné.

[9] Soylent Green est un film d’anticipation réalisé par Richard Fleischer, sorti en 1973.

5 réflexions sur “Entre autres délices œcuméniques

  • Frank

    Zo ik het nu in vogelvlucht in ogenschouw neem, vind ik erg grappige replieken tussen deze teksten.
    Doe zeker zo verder !

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    • Georgie de Saint-Maur

      Hartelijk dank Frank.
      Je traduis votre commentaire pour mes lecteurs francophones :
      ” Maintenant que je le regarde à vol d’oiseau, je trouve des réponses très amusantes entre ces textes.
      Continuez comme ça! “

      Répondre
  • Jean-Luc Dalcq

    Délices au cul merdique.

    Ça me rappelle toutes les conchieries rabelaisiennes qui se rient de nous voir si brêles en ce mouroir. Notre époque se meurt de ce manque en gargarismes graveleux, j’ose dire, de polisonneries gaillardes, paillardes, de ces chansons de gestes troudeculisées pour carabins ébréchés par la nuit éphémère, hardeusement bitus et queutards comme un verrat venant d’ensemencer une douzaine de truies par trop enjôleuses et mutines. Nous nous languissons au soleil ramolli de novembre sous le grain sablonneux abrasif de la pensée eunuque.
    Car nous le valons bien, hélas.

    Heureusement que ta plume saint-mauresque est là pour nous chatouiller les aisselles (ou est-ce moi?) et nous caresser les sphincters du figne avant de s’y enfoncer d’un coup comme pour se recharger de quelques gouttes de cette encre, toute naturelle que nous portons tous en nous. Et qui s’appelle “patience céruléenne”

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    • Georgie de Saint-Maur

      Cher Jean-Luc,
      Voilà un commentaire qui a de l‘épaisseur. Presque plus difficile à traduire que celui de Frank Van den Veyver.
      Rabelais y est évoqué, dans une fenêtre d’Overton inhabituelle, par un désespoir légitime.
      On croit d’abord comprendre qu’il tire à boulets rouges sur mon article pour s’apercevoir ensuite qu’il lui est favorable.
      Merci, en tout cas, de l’avoir lu.

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  • Bonjour Georgie , l’écriture est sans doute la plus belle expérience humaine !Aussi brève soit l’existence (que l’on souhaite la plus longue possible à chacun ) les entités spirituelles éternelles nous observent sans doute pour nous inspirer …j’ose y croire .

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