Rue des Mauvais Garçons : entretien avec un dandy

Hector Bisi aime la provocation, les coups de théâtre. Dégaine altière d’un Higelin latin, un vent de liberté l’escorte. Le lire est une aventure. L’écouter un délice de sons graves et rieurs tout à la fois. Acteur d’une littérature éminemment contemporaine, à l’occasion de la sortie de ce second roman, publié en Europe pour la première fois, ce nouvel auteur brésilien nous livre ici un peu de ses coulisses.

[…] Dans mon premier roman, Copacubana, je cherchais la beauté dans la laideur. Avec les Mauvais Garçons, je cherche la beauté dans le chaos. […]

BOZON2X :  Outre la satire glaçante qui nous a particulièrement séduits, on sent dans ton livre une recherche formelle qui transgresse allègrement les règles (ponctuation, typographie, etc.). Pourrais-tu nous dire quels sont les moteurs de cette démarche ? Et si tu as puisé ton inspiration chez d’autres auteurs ?

Hector Bisi : Je n’aime pas les clichés, les métaphores, la narration traditionnelle avec les il dit, elle dit, et tout ce genre de choses. J’ai réécrit mon roman 4 ou 5 fois, notamment après avoir lu Le Rouge et le Noir de Stendhal (quel roman génial, quel personnage que ce Julien Sorel), parce qu’au fond je veux être anti-romanesque, Oh, est-ce que je l’aime ?,  Oh, que dois-je faire?  Non, noooon. 

If a double-decker bus crashes into us, to die by your side is such a heavenly way to die sont, à mon avis, les plus beaux vers du rock. Et ça, c’est de la littérature. Morrissey écrit ce que Rimbaud ou Verlaine écriraient s’ils vivaient aujourd’hui.

Je ne veux pas écrire des paysages, je veux juste peindre les scènes et voir ce qui se passe. Je n’écris pas pour plaire à ma mère.

BOZON2X : Nous avons beaucoup apprécié la séance de dédicace que nous avons organisée à L’Etoile manquante, il semble qu’à Paris tu sois entouré de gens particulièrement intéressés par l’esthétique et la vie nocturne, trouves-tu là aussi tes sources d’inspiration pour la création de tes personnages ?

[…] Je ne veux pas écrire  des paysages, je veux juste peindre les scènes et voir ce qui se passe. Je n’écris pas pour plaire à  ma mère […]

Hector Bisi : La nuit sera toujours mon personnage. Certains de mes amis sont des oiseaux de nuit comme moi. Les gens m’intéressent beaucoup, je pense que nous sommes tous des personnages à la recherche d’un écrivain. Ma femme, Yanne, est mannequin et m’a beaucoup aidé pour ce roman. Moi, j’aime faire la fête, j’aime le menswear, je suis plus Brummel que Byron mais je ne fais de mal à personne (hahaha).

La beauté, la beauté et l’élégance se mêlent. Et l’élégance est beaucoup plus qu’un costume cool. Voyez-vous quelque chose de plus élégant que la gentillesse ? Borges disait que le tango est une façon de marcher dans la vie. Wooow, let’s dance. Humilité toujours, discrétion jamais.

Dans mon premier roman, Copacubana, je cherchais la beauté dans la laideur. Avec les Mauvais Garçons, je cherche la beauté dans le chaos. Vous savez, le zeitgest est implacable. J’ai écrit une scène où un mannequin mourrait sur le catwalk, sans que personne ne réagisse. Deux ou trois ans plus tard, un gars est mort en plein défilé au São Paulo Fashion Week et, malgré cela, le show a continué. J’étais choqué, j’ai gardé la scène en changeant juste la marque par un nom fictif. La littérature anticipe la vie, Ah Oscar Wilde, mon amour.

BOZON2X : Patrick, le personnage principal, est ambivalent : fasciné par la mode, animé par son histoire amoureuse, il porte néanmoins un regard critique sur le comportement des gangs. Peut-on y voir une métaphore des contextes de totalitarisme qui amènent à la collaboration, à la lâcheté, … ?

Hector Bisi : Patrick est fasciné pour les nanas mannequins, il est devenu un dandy pour jouer le jeu. Il a un côté opportuniste, mais il sait qu’il ne sera jamais vraiment un Brummel. Oui, c’est l’histoire d’un totalitarisme fashion, d’une imposition de règles. D’une certaine manière, nous imposons tous des règles aux autres. Et presque toujours le plus puissant gagne (Who’s more powerful quite always win).

Le consumérisme et la mode sont, à mon avis, des formes de totalitarisme. La plupart des gens se sentent obligés d’acheter des choses, de porter le dernier cri.  Pourquoi le courage est-il la vertu la plus méprisée lorsqu’on a justement besoin d’être vertueux ?

BOZON2X : La situation politique actuelle au Brésil inspire-t-elle une partie de ton écriture ?

Hector Bisi : J’ai commencé à écrire Rue des Mauvais Garçons en 2013. À l’époque, le Partido dos Trabalhadores était au pouvoir avec Dilma Roussef. Lula et Dilma ont commis beaucoup d’erreurs, mais ils ont une conscience sociale, ont travaillé à diminuer les inégalités de classe, ont investi dans l’éducation. Après la procédure d’impeachment (en fait un coup politique), mon roman est devenu métaphorique. Le Brésil a toujours été un pays pauvre. Maintenant, il est pauvre et fasciste, avec un gouvernement qui poursuit des artistes qui ne pensent pas comme eux, un président d’autant plus capable de défendre la dictature militaire et la torture qu’il peut commettre un coup d’Etat.

Les manifs au Chili et la défaite du néolibéralisme en Argentine sont de bonnes nouvelles. Le problème est qu’il nous faut attendre les présidentielles de 2022. Et malheureusement, beaucoup de mauvaises choses peuvent arriver d’ici là.

[…] Paris est une ville qui existe uniquement pour ceux qui comprennent qu’elle est irréelle. 

BOZON2X : Y a-t-il un endroit rêvé où tu voudrais vivre ?

Hector Bisi : Au Café de Flore. Mais dans les années 70 et 80. J’aurais aimé rencontrer les dandys comme Jacques de Bascher, les écrivains, les fêtards de l’époque. Durant cette longue saison parisienne je vais presque tous les jours au Flore. 

J’y ai rencontré un peintre très stylé que vit à Montréal, un ancien ministre brésilien (dandy lui aussi), et j’y ai croisé Andy Warhol. Oui, Andy est vivant au Flore et il parle français. Peut-être va-t-on devenir le gang du Flore ? Préparez-vous, voici venir les années folles 2020 (Andy n’était pas à la séance de dédicace pour Rue des Mauvais Garçons parce qu’il va dîner tous les jours dans le même hôtel, mais il y avait un autre Andy, ce soir-là, c’est quoi ce bordel ? Un congrès de Andy Warhols à Paris et je ne le savais pas ? hahaha).

BOZON2X : Par rapport au contenu, nous y voyons une filiation avec Glamorama de Bret Easton Ellis, connais-tu cette œuvre et si oui qu’en penses-tu ?


Hector Bisi : 
Oui, ça me plaît beaucoup. Le gang de mannequins, le style narratif avec les répétitions, la question de savoir si l’histoire se passe vraiment ou s’il s’agit d’un « simple »  scénario. Moins que zéro et Suite(s) impériale(s) sont cool aussi. Je ne connais pas Los Angeles, j’ai maintenant une raison de la connaître.

BOZON2X : Pourrais-tu nous dire un mot sur le dandy Pedro Paulo de Sena Madureira que tu remercies au début de ton livre ?

Hector Bisi : Dandy à l’ancienne, il était l’éditeur le plus célèbre au Brésil entre les années 80 et le début des années 2000. Il a édité Cortázar, Milan Kundera (il y a 2 ans que je vais au Café Sauvignon pour le rencontrer et lui dire que je suis ami de Sena Madureira, mais je ne l’ai jamais vu). Il est mon premier lecteur, une Sorbonne à lui tout seul, on passe des jours à parler de littérature et de la vie. Avant de commencer à écrire mon prochain roman, La vie peut être un grand weekend (titre provisoire), il m’a regardé : « Vous avez besoin de croire davantage en ce que vous n’avez pas encore écrit. » Splendor, le personnage que j’aime le plus, c’est un mix de nous deux. 

BOZON2X : Si tu devais définir ton livre en une phrase quelle serait-elle ?

Hector Bisi : Paris est une ville qui existe uniquement pour ceux qui comprennent qu’elle est irréelle. 

BOZON2X : Merci Hector ! 

Propos recueillis par Claire Blach et Raphaël Denys (octobre 2019)

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