La folie des glandeurs

Mad as a march hare

– « Par là habite le chapelier toqué, et par là le lièvre de mars… »

– « Merci, je crois que je vais aller voir le lièvre. »

– « Naturellement, il est fou lui aussi. »

Mes amis,

Je vais probablement froisser mon auréole, mais… le monde part en nouilles.

Et chacun a ses raisons comme nous l’expliquait si bien Jambon[1] en parlant des nazis.

Mais bon, le beau temps est vraiment proche. Les oiseaux chantent des airs d’opéra ou encore Spring is in the air. Quittons le complexe sociétal de Jean Valjean, ce navrant complexe qui transforme les criminels en victimes et les policiers en bourreaux bornés, pour nous plonger dans la féerie d’Alice au Pays des Merveilles.

Pratiquement tous les personnages de Carroll ont donné leur nom à des diagnostics de la médecine ou de la psychiatrie.

Nous connaissions déjà le syndrome du chapelier, du au mercure ; Humpty Dumpty a été utilisé en référence à la prosopagnosie — une agnosie visuelle caractérisée par la perte de la capacité de reconnaître des visages familiers[2] ; le syndrome du cavalier blanc est bien illustré par les pandores et les prostituées… Mais… et le lièvre de mars, alors ?

Rien sur le lièvre de mars ? Rien sur un de mes personnages préférés[3]?

Ce n’est pas possible, notre lièvre a bien le droit d’avoir une maladie à son nom, lui aussi.

Voyons voir… Laissez-moi réfléchir…

Evidemment les raisons de sa folie ne sont pas très nobles (trousser coûte que coûte ! Enfourner, tringler, coïter. Fourrer à tout va), mais voilà : il y a « mars ». Sa folie serait donc limitée dans un temps déterminé ?

— « Nous sommes en mai, se dit Alice, peut-être ne sera-t-il pas fou furieux ? »

Je penche pour une définition de bouffées délirantes, accompagnées d’une hyperactivité irrépressible. En fait, exactement l’antidote qui conviendrait aux individus frappés d’humeur atrabilaire.

Maintenant quel type de délire, me direz-vous ? Eh bien je pense qu’il s’agit d’un délire de filiation. Le lièvre pense qu’il a subi un préjudice (on veut boire son thé sans y être invité). C’est donc un quérulent processif qui va intenter procès sur procès à Alice, afin de faire reconnaître son bon droit supposé.

Lorsque notre bon chapelier dépose sous la foi du serment (probablement en faveur de la fillette), le lièvre lui oppose un déni radical. Mais il pourrait s’agir conjointement d’un délire de référence, puisque le lièvre croit, à tort, que tout ce qui l’entoure ou ce qui se passe possède une signification personnelle.

Voyez-vous, au cours de sa vie, un lièvre va subir plusieurs crises qui vont induire des changements de sa perception des événements, de sa conception de la préparation et de la consommation du thé entre autres. Cela peut être une prise de conscience de l’évaporation naturelle du thé, mais également le produit d’une disparition inexplicable (tasse à thé, cuiller, soucoupe, théière, loir…).

La crise va engendrer un stress qui va permettre l’adaptation à la nouvelle situation (la nécessité de refaire du thé, par exemple) ; mais elle peut aussi générer une mélancolie irrémédiable.

Attention cette adaptation peut également déboucher sur une addiction (overdose de thé, potomanie). Il faut de toute manière se méfier de cette tradition européenne du verdict, l’expérience de Rosenhan et de ses pseudo-patients[4] est là pour nous le rappeler.

Bon, ça va, si je vous ennuie, j’arrête.

De toute manière ça n’amusera que des confrères.

Tiens, en ce moment, il y a un politicien qui ne supporte pas la prison et qui va déclencher le plus grand scandale du siècle (tu parles).

C’est marrant cette manie de prévenir qu’on va parler.

Patrick Haemers[5] : — « Demain, au procès, je vais tout révéler. » Paf ! Pendu dans sa cellule le soir même !

André Cools[6] : — « Si je coule, je ne coulerai pas tout seul. J’ai des révélations à faire. » Paf ! Abattu à coups de carabine.

Alain Van der Biest[7] : — « Si on me laisse parler, j’aurai beaucoup de choses à dire sur cette affaire. » Paf ! Il tombe frappé d’amnésie sur un parking avant de se suicider ! D’après un témoin, ils étaient même deux à le frapper d’amnésie (quand je pense que ce garçon a été mon professeur de français).

Il ne faut jamais prévenir. Il faut retrousser le bas de ses pantalons et dénoncer illico presto subito. Sinon…

Quand au plus grand scandale du siècle, ce type veut probablement parler du siècle dernier, vu que celui-ci commence à peine, on ne sait même pas encore ce qu’il nous réserve. En tout cas, jusqu’à présent ce n’est pas terrible.

Dès lors, on peut se poser la question, mes articles sont-ils écrits pour des freluquets ? Non point camarades, quand bien même ils reflètent un chouia de schizophasie[8], je ne peux le nier, (le fruit maudit, sans doute, de ma mélancolie[9] sévère), ils sont avant tout comme l’Athéna[10] de Phidias : difformes, certes, mais lorsqu’ils touchent le bon public, leurs altérations disparaissent.

Alors moi, (pour rester congruent), les gros bonshommes laids qui veulent prioritairement culbuter des femmes et boire du champagne, je n’y vois rien de particulièrement incroyable. J’ai même la nette impression que c’est uniquement pour cette raison qu’ils se sont lancés dans la politique…

Un peu comme Christine Lagarde[11], qui devrait être tarred and feathered[12], lorsqu’elle nous explique, avec un certain mépris haineux, qu’avec notre système d’indexation automatique des salaires, il est impossible d’appauvrir les travailleurs belges[13]. C’est-à-dire (surtout) qu’il est un peu utopique de penser à s’enrichir sur leur dos. Car l’argent, obéissant inexplicablement aux lois de Lavoisier, n’enrichit les uns que s’il appauvrit les autres. Rien ne se perd rien ne se crée.

Sauf que dans ce cas-ci c’est « mon œil ! » L’argent n’a plus qu’assez rarement sa contrepartie en or[14], il est imprimé par des états et ne fonctionne parfois que selon une simple méthode d’accord : l’argent que tu fabriques peut acheter mon argent[15] et inversement.

Pour détendre un peu l’atmosphère et parce que le sujet est primesautier, je terminerai en chanson, comme le faisait le « rossignol » Élyane Célis avec Baisse un peu l’Abat-jour[16] de Bourtayre et Delmas.

¯ Baisse un peu l’abat-jour
Viens près de moi t’asseoir,
Baisse un peu l’abat-jour,
Il fait si doux ce soir ¯

Après tout c’est grâce à nos aïeux si nous sommes venus au monde. Réjouissons-nous de leurs moments d’intimité.

Je déborde de gratitude pour cela. Et je salue aussi leur sens de l’orthographe (si dévalorisé de nos jours) qui leur a fait intelligemment mettre deux « s » au verbe baisser, sans quoi cette chanson eut pu avoir des conséquences funestes pour nous tous…

That’s all, folks

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[1] Jan Jambon est un homme politique belge. Il est actuellement Vice-Premier ministre et Ministre fédéral de la Sécurité et de l’Intérieur,

[2] Peut-être celle de Proust, lorsqu’il descend les escaliers de Guermantes.

[3] Avec the mock-turtle.

[4] Déjà en 200 av. J.-C. le comédien romain Plaute avait écrit une pièce intitulée Menaechmi, dans laquelle un personnage feignait des symptômes de folie. Il trompait avec succès un médecin, qui interprétait toutes ses réactions comme symptomatiques d’une maladie mentale.

[5] Célèbre criminel belge impliqué dans l’enlèvement de l’ancien Premier Ministre belge Paul Vanden Boeynants.

[6] Vice-Premier Ministre socialiste belge assassiné en 1991.

[7] Homme politique belge, socialiste, impliqué dans l’assassinat du Premier Ministre belge André Cools.

[8] Coq à l’âne.

[9] Je parle de la melancholia d’Hippocrate.

[10] Une fois disposée à 4 mètres du sol, elle donnait l’illusion d’une Athéna aux formes parfaitement respectées.

[11] Directrice générale du Fonds Monétaire International.

[12] Lit. « Être passée au goudron et aux plumes »

[13] Attention, cette opinion n’est peut-être pas partagée par tous les travailleurs.

[14] « Si le peuple comprenait notre système bancaire et monétaire, il y aurait une révolution avant demain. »-Henry Ford

[15] Confer l’assignat en France, les bons de la Confédération en Amérique, le rouble célinien non convertible de trente-six, le deutschemark nazi en Allemagne.

[16] Abat-jour ? Vous avez dit Abat-jour ? Venez retrouver ma plume dans Et ta critique ? Sur http://www.editionsdelabatjour.com/2015/01/et-ta-critique.html

6 réflexions sur “Mad as a march hare

  • Tanie de Liège

    A lire et à relire plusieurs fois
    Tes textes et pensées sont de pures richesses. Merciiii pour tes partages

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  • Joe de Valmaricurt

    Et en tout cas, j’aime bien tes textes, tes délires et … ton orthographe impeccable ! C’est si rare de nos jours !!! Hé hé hé

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  • strauven

    C’est toujour avec un grand plaisir de lire et aussi de relire. Merci pour ces fabuleux moments.

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  • que dire de plus ! l’écriture de Georgie est comme le bon vin, elle se bonifie en vieillissaint !!

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  • Philippe Sarr

    Un monde qui part en nouilles?, j’ose à peine l’imaginer… hop, dans un trou de ver, l’horreur absolue, catapulté d’un coup de pied au cul jusque dans les sombres tréfonds de l’univers… Y plonger avec Alice, y découvrir, si besoin est, que le Monde n’a rien de merveilleux, qu’on peut y choper d’étranges merdouilles telles qu’une prosopagnosie… y être pendu haut et court… à moins d’avoir pu trouver son bouc-émissaire, son “bougnoule”… alors oui, baisons, réjouissons nous tant qu’il est encore temps!… avec ou sans Alice!

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  • Chris Simon

    Je viens de lire, j’aime beaucoup certains aspects du texte étant une fan d’Alice.

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