Les Blancs de Philippe Sarr

Les Blancs : troisième épisode

Troisièmes analyses

Pure métafiction, des romans imaginaires sortent du néant pour devenir, sous la plume de leurs éminents critiques, plus réels que jamais

Nager dans la gadoue

« Deux beaux diables enragés, des repris de justice, s’observent en faisant la moue. Ils s’envoient soudain à la figure des poignées de boue noire et argileuse, se roulent dans des flaques d’eau brune en jubilant.

Je commence à m’y sentir bien, ici !

Tu m’étonnes, moi de même !

Tu crois qu’ils aimeront ?

J’en sais rien. Espérons que oui !

Un troisième personnage coiffé d’un béret basque intervient :

J’ai toujours pensé que les grands romans n’étaient en définitive que d’immenses pataugeoires ! »

Ce passage doit être considéré comme « fondateur » dans l’œuvre de Sarr. On y sent une certaine jubilation que ses lecteurs ont déjà expérimentée et qu’une certaine Michèle Kaborde, une lectrice inconditionnelle, encensa.

Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre ou de réentendre l’interview mythique que l’auteur donna sur Radio Libertaire et où il exposa, devant un auditoire consterné, sa théorie dite du « blanc absolu »!

D’aucuns prétendent, sans véritable preuve, que Sarr utilisa un « toton » pour écrire son roman culte, autrement dit qu’il joua aux dés tout en le rédigeant. D’autres qu’il utilisa le marc de café !

Ou qu’il était le diable en personne…

PS

Le mur

Aucun cri ne peur surgir

Tant de circonvolutions à franchir

Au risque de s’égarer

Aucun signe sinon l’armure qui

suspend et gèle le son

Un inconnu :

Comment, c’est dur ?

Pureté de la fiction/fiction de la pureté

Nous sommes ici, effectivement, en présence d’un extrait capital.

D’abord, ces personnages si blancs à force d’être neutres et qui se noircissent, se salissent et apparaissent à l’écran – pardon : sur la page – en se projetant l’un sur l’autre autant de boue que possible, c’est le motif du contraste cher à l’auteur et qui sous-tend toute l’œuvre.

Ensuite, il y énonce clairement – boue sur blanc – une théorie sur le roman qui a fait date : les grands romans ne peuvent êtres que de spacieuses pataugeoires : on y est bien, on y revient, on y fait ses ablutions, on s’y amuse comme un gamin et on en éclabousse la grand-mère qui s’est assoupie sur son transat à la faveur d’un beau soleil de juin.

Enfin, le passage montre la façon dont la critique sociale affleure assez souvent à la surface du texte, même si Philippe Sarr s’en défendait généralement. Le passage peut être interprété comme une réflexion sur la pureté, sa fiction très certainement, plus que sa fragilité ou sa perte ; mais ce bain de boue complaisant est aussi une attaque en règle contre le milieu du rugby : Blancbonnet et son frère, condamnés à tort, ou plutôt – car personne n’est innocent ici – pour leur amour de l’art, de la chose pour elle-même, du sport pour le jeu, du jeu pour le sport, finissent, poussés par le conformiste Charbonnier, par accepter les règles du jeu communes, non seulement les officielles, ce qui est dommage, mais aussi, plus grave, les tricheries non dites, et se propulseront dans les airs vers leur damnation dès le premier essai à transformer.

« L’œuvre ressort grandie », souligne Lou Salomé dans son clairvoyant article « reconnaissance vocale ». Et comment ! Oui, grandie. Et non pas augmentée, Dieu merci. Les blancs seront conservés. Une partie de la boue partira même au brossage, une fois séchée, faisant de ce passage du livre une réussite inégalée.

Jérôme Pitriol

De l’autre côté du mur

Je conduirai mon récit par-dessus les ossements des morts (en hommage à William Blake)

Le poète ?

Non, son fantôme !

Les conflidenses de Phixi

Batty transpirait beaucoup, surtout du front qu’il avait aussi large que celui de la ligne Maginot. Et, là, de le voir escalader, tel le Christ arpentant les pentes brûlantes et arides du Golgotha, les rares marches qui le séparaient de l’estrade où il voulait se « produire » seul, sur une chanson des Queen, me fit penser, peut-être à tort, qu’il était fou…

Par Saint Lazare ! 

La nuit dernière, une idée m’est venue. Une intuition. Un flash. Il fallait à tout prix que j’en parle à Lou Salomé, la seule et véritable spécialiste de l’œuvre de Sarr. Puis-je Lou, sans rentrer dans le détail, narrer ici l’entretien que nous avons eu ce midi attablés sous la coupole de l’académie dont vous fûtes, à l’unanimité, il y a peu, élue membre ?

Oui ?…

Très bien, merci !

C’est devant donc une aile de poulet aux pattes noires de Challans que j’ai demandé à notre chère consœur ici présente, ceci :

— Chère Lou, vous qui avez parcouru de long en large les écrits du maître, n’avez-vous pas observé un phénomène étrange ?…

Je m’explique : en reliant les lettres « b », puis « l », et enfin « c », entre elles, (B.L.C., l’abréviation de blanc) nous arrivons à entrapercevoir comme l’armature, le squelette des personnages du tableau le plus représentatif des dites, « Constructions », de Fernand Léger ?…

Je ne voudrais pas trahir votre surprise, mais au récit de ma découverte vous avez blanchi. Si ! Ah si !… Très bien, je n’insisterai pas.

De façon forte intelligente, vous avez, disons le mot, botté en touche, en me dirigeant avec forces œillades, charmante Lou, vers un autre sujet, qui, je dois le dire ici, est tout aussi surprenant, sinon carrément « Agathachristesque » : La disparition du tabulateur sur lequel il aurait écrit ses plus beaux passages à vide. Perdu. Introuvable. Qu’avait-il à cacher ?

Quel secret, quelle entourloupe par delà la mort nous réserve-t-il encore ?

Vous avez pensé, et dit, alors que nous nous disputions le croupion (ça vous a échappé, vanité, vanité !…) qu’il ne serait pas impossible que par un bricolage ingénieux digne des Pieds Nickelés, il eût pu inverser l’ordre des touches de sa machine, afin, à votre avis, une fois l’A.Z.E.R.T.Y… chamboulé, taper une histoire nouvelle, parallèle à un écrit… disons, plus conventionnel, traditionnel, plaisant, vivaldien, pourquoi pas, (quelle surprise, ce serait de retrouver son disque dur !) un genre d’Arlequinade !…

Je m’emballe !…

À propos d’Arlequin, quel plaisir ce fut pour moi de vous avoir vue vêtue dans votre délicieux et désuet habit vert. Cheveux tirés en arrière. Stricte. Je dirais presque masculine si ce n’était le pommeau de votre épée d’académicienne que vous voulûtes, féminité oblige, de couleur rose. Sarr, le poète, l’érotomane (on l’oublie trop souvent) aurait dit, le « gland » couleur fraise Tagada.

Pardonnez-moi, je m’égare… Son œuvre toujours.

Serge Cazenave-Sarkis

De l’autre côté du mur

Un peu de poudre de riz, Sire ?

Hum, mettez-moi au frais d’abord !

—  ???

Oui, à vos frais !

Les conflidenses de Phixi

Les glandes qui constituaient son système sudatif avaient littéralement explosé, sans doute victimes d’un dérèglement de son hypophyse qu’il lui était alors impossible de maîtriser. Il faisait peine à voir…

Reconnaissance vocale

Le vin blanc, de couleur claire mais qui comporte encore un peu de rouge, est dit rosé. Il en va de même avec « Les Blancs », ce roman affolant, où l’auteur, halluciné, part hardiment à la recherche de lui-même en prétendant lire l’avenir dans le blanc des boudins (qui s’oppose, comme de coutume chez lui, au noir manichéen du boudin noir).

L’auteur, taquin, nous avoue avoir déjà mangé son pain bis et ne plus désirer dorénavant que la fortune et la gloire qui lui sont dues.

N’allez pas penser qu’avec de telles revendications, notre homme exagère, « Les Blancs » ont laissé la critique littéraire sans voix.

L’œuvre ressort, grandie, du troupeau des autres romans. Mais, précisément, sortir du lot c’est se désigner à tous ceux qui, armés d’un sabre, veulent vous couper la tête.

Je plaide en faveur de Philippe Sarr, il sera grand temps, un jour, de reconnaître que la science-fiction de ses « Blancs » est digne d’éloges et devrait être imposée comme lecture de chevet à tous les étudiants universitaires.

Beurre blanc, couleur crème, beurre cuit sans être le beurre noir, est la parfaite définition de son travail, tout en finesse.

Notre prosateur est avant toute autre chose un cascadeur, il franchit la ligne rouge grâce à des procédés quasi-magiques qui la transforment en ligne blanche… en ligné d’arrivée… en ligne de coke… car ce roman est addictif.

Nous plongeons, à la suite des protagonistes, dans un questionnement parfois douloureux (mais salutaire) sur nos propres motivations.

Pourquoi lisons-nous ?

Quelle est notre raison d’être ?

Y aura-t-il un paradis-podium pour étayer notre réussite ?

C’est ce que, à l’instar de l’auteur, nous appelons de tous nos vœux.

Lou Salomé

De l’autre côté du mur

Au beurre blanc, vos rimes ?

De préférence !

Tous à l’Arbre-blanc, alors !

Les conflidenses de Phixi

Batty avait sa voix des mauvais jours, j’entendais sa respiration à l’autre bout du fil, haletante comme le fourneau d’une vieille chaudière à fuel. Je me demandais ce qui avait bien pu lui arriver encore…

Pourquoi un béret basque ?

Les personnages se précisent tant au niveau de leur couleur (la boue nous permet de dessiner en nos esprits un contour, une forme et de mieux cerner les personnages) que de leur caractère. En effet, Blancbonnet portant un béret basque nous laisse sans voix !

Quelle intrigue se cache sous ce béret ?

Et pourquoi basque ?

Pourquoi pas un vieux melon ou la fameuse étranchille si précieuse aux yeux des anglophones ?

Pourquoi pas une mitre, une cagoule ou encore un borsalino ?

Non …. un béret basque.

Je partage l’analyse de mon collègue sur cette question ; l’absence récurrente de neige à Noël ne présage rien de bon ! Cette météo qui s’improvise de jour en jour. Enfin du temps de mon enfance, les Noëls étaient bien blancs.

Il y a eu Noël, il y a eu la neige, il y a eu « Les Blancs » et maintenant il y a le béret basque !

Minily & souris

De l’autre côté du mur

Il avait chopé le melon, ce basque !

Non, il avait bien mieux sous la main : une certaine Marylin !

Quel mytho !

Les conflidenses de Phixi

— Batty soupçonnait sa femme de le tromper avec son garagiste. Il avait, disait-il, suffisamment de preuves pour demander le divorce…

Ça se corse

Parlons un peu des personnages à présent : Blancbonnet et Bonnetblanc, les héros ad hoc sont toujours à deux doigts de tomber dans les sales pattes de Jeff Charbonnier, sorte de docteur Mabuse.

Heureusement pour eux, comme pour nous, ils s’en tirent toujours de justesse.

L’envers vaut l’endroit.

Tweedle dee et Tweedle dum.

Le Blanc et le Noir étaient un peu à notre romancier ce que le Rouge et le Noir étaient à Stendhal. Son roman, comme le lait qui bout, déborde vite, il faut le surveiller en permanence. Les hommes (ou plutôt les créatures qui se débattent dans la gadoue) sont, encore une fois, de la couleur du blanc du crâne de Hamlet (le père de Hamlet) dans le fameux monologue éponyme. Il interroge, culpabilise et se veut moralisateur.

Qu’as-tu fait de ta vie ?

Es-tu vraiment digne d’être appelé écrivain ?

Que veux-tu manger ce soir ?

La tête nous tourne comme un toton et, dans le port d’Amstramgram, nous valsons au son de l’accordéon rance.

L’auteur (excellent au demeurant) avoue à Louise Berg qu’il est en quête perpétuelle de lui-même. C’est beau. C’est bien dit et c’est plus que probablement vrai.

Mais quand on fait la quête, il faut s’attendre à recevoir des boutons de culotte. Immérités, certes, mais des boutons de culotte quand même.

Jérôme Pitriol, qui n’a pas pour habitude d’enfiler des gants blancs à la moindre occasion, nous parlera (peut-être) sans peur des couleurs des animaux. J’en suis le premier étonné, mais le manque récurrent de neige à Noël laisse craindre le pire.

Ce roman (« Les Blancs ») n’est pas tout à fait comme les autres. Avec un protagoniste misonéiste, Philippe Sarr défie le lecteur et le livre tout cru, pour la première fois de sa vie, aux mains d’une bizarrerie surréelle.

Il tâchera lors de cette inévitable confrontation avec la réalité, qui sonne comme le Blank generation de Richard Hell, de rendre la société conforme à sa Weltanschauung.

Georgie de Saint-Maur

De l’autre côté du mur

Ses vers avaient l’émail clair (dixit un lecteur de Laponie).

Quel menteur !

Les conflidenses de Phixi

Je glapis à l’idée que Batty ait pu être la victime des débordements sexuels de sa compagne, une certaine Yolande dont j’avais à une époque pu apprécier les rondeurs. Selon lui, les courtisanes, ce qu’était devenue sa jeune épouse, mouraient toujours par là où elles avaient pêché.

Ça provenait des Kamasutra…

3ème résumé des « Blancs »

Nous aurions pu laisser une page blanche en guise de résumé.

Et le monde littéraire aurait applaudi.

Quelle audace ! Quelle outrecuidance ! répéterait inlassablement ce petit homme au béret alpin.

Mais nous avons choisi de vous faire partager un tant soit peu notre vision du roman.
Comme le souligne un confrère, il est absolument et définitivement compliqué de résumer « 
Les Blancs ».

Roman déroutant, interpellant.

Oui sans aucun doute.

« Les Blancs » se définit comme un roman dont vous êtes le héros (littérature à trous) et grâce à cette caractéristique innovante, il permet à chacun d’y lire ce qu’il veut. Remplissez ces blancs que je ne saurais voir… Tout est à l’origine et le lecteur peut, au gré de son humeur, faire vibrer Blancbonnet ou Bonnetblanc.

Roman d’auteur, certes !

Roman psychosocioquidego ? Bien sûr !

Qui sont « Les Blancs » et pourquoi cette suprématie ?

Qui a décidé des règles ?

Pourquoi est-ce « Les Blancs » qui commencent les parties d’échecs ?

Et celles du jeu de Dames ?

Après avoir planté le décor tout au long du 1er chapitre, Sarr décidait de nous présenter les personnages choisis avec soin tout au long du deuxième chapitre, l’action dans le troisième et la conclusion, telle une apothéose dans le quatrième et dernier chapitre.

Remarquez cette construction du roman, quelle force mais surtout quelle fantaisie…

Les mots choisis par Sarr sont très forts et très volatils (dixit les paroles s’envolent mais les écrits restent).

Il sera, d’ailleurs, plagié quelques années plus tard par un certain Michel Berger qui écrira :

« Il y a tant de vagues et de fumée,

Qu’on arrive plus à distinguer,

Le blanc du noir

Et l’énergie du désespoir

[…]

Je m’en irai dormir dans le paradis blanc »
Et à nouveau le parallélépipède nous saute aux yeux.

Admirez les paysages décrits tout au long du roman.

Parfaits ! D’une blancheur immaculée.

Un véritable paradis.

Une histoire qui peut se réécrire à l’infini…

Belle découverte.

Minily & souris

Interview par Louise Berg (suite)

On a pu surtout lire de vous des nouvelles, forme de fiction courte par excellence…

Pourquoi cet intérêt pour la forme de la nouvelle ?

La forme courte est celle qui me convient le mieux dans la mesure où elle me permet de concilier ma vie d’écrivain avec ma vie professionnelle, parentale et amoureuse si je puis dire.

Et puis passer des mois voire des années sur un même sujet m’ennuie profondément. Pour ces raisons, je m’impose d’écrire comme je cours, c’est à dire très vite (comme si j’avais le feu au cul, quoi !), ce qui me laisse du temps pour m’adonner à autre chose, sortir, lire, faire des expos ou boire du Cognac !

Maintenant il peut m’arriver d’assembler ces textes courts pour en faire des romans que je qualifie d’« expérimentaux » (ne riez pas !)….

C’est mon côté docteur Frankenstein. Je crée des monstres, et ces monstres sont à l’image de ce que je suis !

Ce que l’on sait

L’extrait, ici, est capital car, sur le pare-brise de notre conscience, est venu se déposer un grain de folie. On patauge, dès lors, insouciants, tels des beaux diables. Et William Blake se régale de nous voir.

Les écrits du maître des « Blancs » font penser à un tableau léger dans lequel l’auteur semble s’être perdu lui même. Pour notre plus grand bonheur (lui qui ne croyait pas au bonheur). Mieux, s’y être abandonné (et son gland couleur fraise tagada en témoigne !).

Donne-t-il l’impression d’avoir chopé le melon ?

Ne nous méprenons pas. Sarr, bien mieux que personne, sait que du blanc au noir il n’y a qu’un pas…

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