Décor de Serge Cazenave-Sarkis

Décor : troisième épisode

Troisièmes analyses

 

Départ.

« Hors de ce (ceux) que j’aime, tout appartient au décor. »

Une décennie avec de grands yeux verts, une peau cuivrée, un corps de danseuse, des cheveux plantés comme un bouquet de fougères qu’aucune main, jamais, ne pourra maîtriser… Et ce crâne délicieux, cette broussaille inextricable disparaissait de ma vue pour finir par se confondre, cent mètres plus loin, misérable, à l’appui-tête en peau de mouton d’un véhicule de série.

Aucune façade, aucun platane centenaire, aucun vieux roulant à contre sens, n’eurent l’idée de venir à mon secours en se précipitant sur leur véhicule pour l’immobiliser. Mon faible et dernier espoir d’être veuf m’échappait. Adieu dignité. Pour la première fois de ma vie j’allais devoir endosser le costume peu valorisant du condamné à mourir de chagrin.

Serge Cazenave-Sarkis

 

L’envers du décor (Jérôme Pitriol)

Si tout est parfaitement à sa place dans « Décor », l’auteur a révélé qu’à l’époque de sa rédaction son domicile se trouvait continuellement en travaux. Il a donc décrit les paysages en les observant, mais son intérieur de mémoire.

Poison soluble

Que dire de ce roman sans passer pour un cornac ?

L’auteur écrit vite, vraiment très vite, en se riant bien de la toute nouvelle limitation de vitesse, et manque, à chaque fois, de nous flanquer dans le décor.

Le mieux est de se garer entre deux paragraphes, de couper le contact et de faire des exercices de relaxation.

Eh oui, ce sympathique auteur est comme ça. Spontané comme un gisement de pétrole.

 

Extrait :

« J’entrai dans la boucherie étroite. Mon gabarit et mon caddie à roulettes obligea les autres clients à se ranger de mauvaise grâce sur le côté.

— Excusez-moi, marmonnai-je, distraitement.

Ah, que tous ces gens m’ennuyaient.

Hors de ceux qu’on aime, tout appartient au décor.

— Et alors, dit la bouchère, la bouche en cœur, ce monsieur qui râle, on le sert ? »

 

Le monde est hostile, banal et fourbe. Les protagonistes (légèrement paranoïaques) sont en perte de compréhension de soi. Ils abdiquent facilement et partent à la dérive.

C’est ce monde sans réponses qui déçoit et navre les hommes.

Notre auteur ne nous fournit pas d’écho. Pas même un indice. Il se plonge, avec palmes et tuba, dans son univers qui est un hymne au poncif méchant.

Un pied dans l’eau l’autre dans la rivière, toujours entre deux chaises, toujours entre deux portes, toujours au four et au moulin, sa littérature pousse un cri muet et nous entraîne dans un plongeon vertigineux du haut des immenses falaises d’Acapulco.

Mais allons-nous en sortir vivants ?

Indemnes ?

Il négocie ses virages littéraires comme s’il pilotait le stylo des 24 heures du Mans et contrôle parfaitement toutes les situations qu’il invente.

C’est du grand Art !

Mais justement, attention à l’arsenic et aux vieilles dentelles.

Car, chez cet écrivain, l’Art se nique.

Non, c’est idiot.

Georgie de Saint-Maur

 

 

L’envers du décor

 

Mon âme fut mortellement touchée et ce fut une bonne chose de faite !

 

Focus sur l’héroïne

Sandrine, 28 ans, jeune actrice à la carrière déjà longue comme une nuit d’hiver, guère sensible au décorum et rompue aux changements de décors, elle dont le métier est d’enfiler les histoires comme on enfile des colliers de perles, bipolaire comme il se doit (pedigree nécessaire et indispensable à toute comédienne digne de ce nom), est le prototype même de la femme volage, inconsolable et insatiable, toujours insatisfaite.

Remplaçons le « bouquet de fougères » par un « entrelacement de serpents » et l’on aura une idée à peu prés précise du regard que porte notre auteur sur les femmes et de son rapport intime au monstrueux.

D’abord, par la mise en valeur du féminin via une explosion de qualificatifs puissants – « de grands yeux verts, une peau cuivrée, un corps de danseuse », et de son animalité (« cette broussaille inextricable disparaissait à ma vue pour finir par se confondre … à l’appuie-tête en peau de mouton du véhicule…), symbole de puissance, donc. Mais aussi une ode à la sensualité.

Les exhortations du narrateur ne peuvent en rien modifier le scénario qui est en train de s’élaborer en sa présence.

La situation lui échappe.

Pas le décor, un décor figé à l’image des platanes, dont il semble être prisonnier, qui l’entoure et le cerne de toutes parts. Rien, pas même un élément de décor « mobile », ne vient enrayer la fuite de l’être aimé à travers une nature impavide. L’écrivain, qui sait en jouer et en user, dresse ici un tableau (notons l’importance que l’écrivain accorde aux sens, en particulier à la vue, donc à l’image) élégiaque, met en lumière deux forces opposées : celle du mouvement et du changement qui autorise d’autres points de vue, permet de poser un autre regard sur le monde, et celle de l’immobilisme. Toutes deux égales en intensité.

Toutes deux annonciatrices du drame qui se prépare inéluctablement sous nos yeux.

Philippe Sarr

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-maur)

Citons ici une réflexion générale du Grec Pétros :

« Quand on a une plume dans le cul, il se peut qu’on écrive de la merdre [1]. »

 

Un auteur qui se met en danger

Dans ce troisième épisode, notre auteur nous peint avec maestria un bouleversant décor fait de peaux de moutons et de petits vieux meurtriers. C’est tendu à l’extrême.

La logique du personnage y est poussée très avant : il verrait assez celle qu’il aime et qui le quitte en auto se tuer en s’écrasant contre un platane. C’est qu’en allant ainsi dans le décor elle passerait, croit-il, du côté de ce qui est sans importance, et donc facile à vivre. Si elle disparaît au loin avec un Gustave, au contraire, elle demeure l’objet de ses sentiments et c’est l’enfer.

Oui, sa logique est poussée presque jusqu’à sa limite.

Le stade suivant, c’est l’assassinat. Le crime passionnel. Et on sent bien qu’à un moment le romancier hésite sur la route à suivre, que son texte court le risque de basculer vers le roman policier, voire de tomber dans le récit de fait divers pur et simple.

L’auteur se ressaisit bien sûr, mais il a eu une hésitation.

Et on l’a sentie.

Et c’est poignant.

Lui dont on a déjà eu l’occasion de dire qu’il préméditait son propos de bout en bout, le voilà l’espace d’un instant en danger, sur le point de vaciller, d’être lui-même happé par le décor.

Maintes et maintes fois questionné à ce sujet, à une époque où il accordait encore régulièrement des interviews, il a toujours refusé d’éclairer la critique, renvoyant systématiquement le lecteur au texte.

Jérôme Pitriol

 

Turban et tapis volant

« Quand Cazenave–Sarkis se coiffe d’un canotier, il ressemble à Maurice Chevalier » (proverbe Indou).

Cet auteur est comme une anguille à laquelle il manque la roche.

Il est comme un samovar. Un chevreuil débusqué. Une porte des mille et une nuits forcée par Bolivar.

Que savons-nous de son parcours ?

Y a-t-il quelqu’un dans la foule pour témoigner de sa probité [2] ?

Quelqu’un peut-il citer ses œuvres (excellentes au demeurant) de mémoire ?

Il nous faudra en convenir, bien que cet écrivain ait déjà beaucoup écrit, nous savons peu de choses sur son œuvre.

Peut-être devrait-il nous en parler ?

Un des seuls à y faire référence est Sarr. Ce bon vieux Philippe Sarr. Toujours de tous les mauvais coups et qui, pour sa peine, se fait étriller sans merci [3].

Lou Salomé

 

Le questionnaire de Louise Berg (suite)

Depuis quand écrivez-vous ?

Depuis (vraiment) une petite dizaine d’année.

 

[1]Confer l’orthographe de la « merdre » du Père Ubu d’Alfred Jarry.

[2]« Moi, dit Jean Feuillard. »

[3]« J’ai toujours détesté Philippe Sarr » confesse l’auteur du « Décor ».

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