Décor de Serge Cazenave-Sarkis

Décor : quatrième épisode

Quatrièmes analyses

 

Mon noctambule était disert.

« Existent-ils vraiment tous ces êtres qui nous sont étrangers ?

Sont-elles à ce jour plantées ces forêts que l’on ne traversera jamais ?

Ces villes, ces vies, ce temps passé, hier, il y a un siècle… Et derrière la porte, les mots doux, les pleurs… notre histoire, la leur, la vôtre ?

Ces enfants qui naissent, qui meurent, qui frappent leur mère… et ces pères qui les violent… sont-ils bien réels ?

Réels aussi, ces rires, ces déchirures – ces désordres invisibles qui revêtent la couleur du ciel ? »

Seuls, comme perdus sur le large trottoir de la rue Saint Antoine, je sentis alors, silencieuses, des larmes couler sur mes joues. Je pensai, avaient-elles, elles, à cet instant, la couleur de la nuit ?

En d’autres circonstances, des récurrences du gros homme, j’en aurais souri…

Serge Cazenave-Sarkis

L’envers du décor (Jérôme Pitriol)

Deux journalistes ont publié récemment, sans citer leurs sources, l’information selon laquelle l’auteur aurait, deux ans avant d’écrire « Décor », animé un atelier d’écriture, dont la finalité pourrait avoir été de vendre à ses clients du roman en kit.

 

Sardoniquement vôtre

Cet auteur écrivait ses romans debout. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup…

Ce bâtisseur (ce maudit, devrais-je dire pour faire plaisir à notre québécoise) voulait nous meurtrir à coups de mœurs, nous assécher comme un oued, nous confondre en excuses.

Il énumérait d’intenables propositions de deuils espagnols et de roucoulades nordiques.

 

Extrait :

« J’étais seul et j’étais bien.

J’avais bien trop peur de partager la vie de quelqu’un d’autre. Seul mon chien, Martinet, me tenait compagnie. C’était un petit chien cocasse, amusant, primesautier.

Un autre chien m’aurait fait mourir de frayeur. »

 

Son livre « Décor » se pose tel un oiseau sur sa branche de gui, tel un couteau sur sa tranche de pain, tel un corbeau sur son fromage, tel un coucou sur son nid, tel Guillaume Tell sur sa pomme.

Il cherche à nous piéger, à nous amollir le cœur et le cerveau [1].

Amis lecteurs, ne tombons pas dans le panneau !

Résistons !

Prouvons que nous existons !

 

Extrait :

« J’entrai dans la boulangerie, quiet et coriace.

Cela sentait bon le pain chaud.

— Ah, dit la boulangère, Monsieur s’est coupé les cheveux.

Lassitude. »

 

Bien sûr il nous faudra bien du courage pour arrêter de lire un tel roman (car, même si ça nous arrache un peu la gueule, il faut bien convenir que « Décor » est probablement le chef-d’œuvre de notre écrivain), mais tant pis, le jeu en vaudra la chandelle verte [2].

Il faut parfois savoir prendre le taureau par les cornes et, la muleta par derrière, enfoncer profondément l’épée sacrificielle dans une pastèque bien mûre. Rien n’est dit. Rien n’est écrit. Nous avancerons la tête haute, méprisant le factice. Nous serons habillés de lumière.

Libérés de nos phobies et de nos angoisses, nous cheminerons côte à côte, comme le renard et le lapin du « Bestiaire », rien que pour le narguer.

Car une fois sortis du décor, nous rencontrerons nos homologues internationaux pour entamer des pourparlers de paix semblables aux vœux pieux que faisait John Lennon dans sa chanson Imagine

Georgie de Saint-Maur

 

L’envers du décor

La mer avait bu du cyanure ce jour-là.

Tout semblait si doux pourtant…

Elle sortit de son bain d’écume et dit doucement : « Je m’en vais… » Alors, sa vie à lui, plus doucement encore, s’effondra dans un fracas de plumes.

 

Das Unheimliche

Il en va de la sédentarité comme de l’homogamie. Et Serge (que beaucoup comparaient à Sergio Leone) l’a bien compris.

Hors là, hors d’ici, qu’y-a-t-il ?

Et oui, dans le mille, das Unheimliche – dont Freud lui même a tiré un brillant essai. Hors d’ici, hors de soi (hors de soi il n’y a que tumulte et chaos), mais aussi en soi, il y a l’autre.

Ou plutôt les autres. Insaisissables doubles dostoïevskiens aussi inconfortables qu’une verrue sur un visage d’éphèbe.

Alors, sont-ils, ne sont-ils pas ?

La question se pose-t-elle vraiment ?

Leur seule évocation les rend aussi réels qu’un calembour dans un roman de Flaubert.

Et Serge, shakespearien dans l’âme (il vouait au poète anglais une véritable admiration), le sait fort bien. Aussi, son personnage ambulatoire n’est-il qu’un prétexte, une sorte de Hamlêtrepromenant ses doutes et son ressentiment sur la scène noctambule d’un monde aux abois et jouant de la tectonique des plaques (réel ou pas d’ailleurs) qui nous émeut profondément, nous inquiète, même.

Car, si son existence (la sienne, celle de l’auteur en personne) nous semble acquise, pas sûr que lui même en soi véritablement convaincu…

N’y avait-il pas du Pessoa aussi en l’homme ?

Philippe Sarr

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-Maur)

Le Mystère Louis Puff

On voit des types errer entre des colonnes grecques en criant :

― Louis, Louis !

Puis tout à coup un mec fait :

― Snif, snif. Attendez…

(Hommage au petit chien de Serge Cazenave-Sarkis).

 

 

Un auteur théorique

« Existent-ils vraiment, tous ces êtres qui nous sont étrangers ? »

La réflexion de notre auteur se fait ici plus métaphysique. Il se pose des tas de questions.

À quoi tout cela rime-t-il ?

Est-ce que quelqu’un m’aime ?

Suis-je seul sur terre ?

Où passent mes impôts ?

Mais si tous ceux qui nous sont étrangers n’existent pas, qu’en est-il de ceux qu’on croit connaître ?

S’effacent-ils aussi les uns après les autres ?

C’est une possibilité. Il est clair, en tout cas, que notre romancier se livre, en ces pages cruciales de son ouvrage, à la tentation du solipsisme. Supposons donc un instant, à notre tour, que là réside la vérité.

Supposons que nous sommes seuls, que tous les autres sont le fruit de notre imagination. Cela donne le vertige.

Tout le monde autour de nous n’est qu’une création de notre esprit. Tout n’est qu’un décor. Nous ne sommes qu’une force pensante, imaginative, inerte, et victime unique de ce désir incommensurable et sans objet.

Rien ne dit que cela doive prendre fin. C’est l’enfer.

Tous les énoncés sont les nôtres. Tout discours politique, toute communi-cation médiatique, tout argument publicitaire.

Pire, nous avons créé le langage. Il ajoute à l’illusion du décor.

Quand nous nous rendons à un concert, c’est nous qui jouons les partitions de tous les instruments.

D’ailleurs nous avons inventé, tous les instruments.

Nous avons inventé les mathématiques, aussi, qui n’ont aucun sens.

Nous sommes unique et seul, 1+1 n’a pas de signification, 2 n’existe pas. Mais nous avons quand même inventé le calcul numérique. Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons inventé le calcul différentiel, le calcul intégral. Les logarithmes népériens. Et puis Neper, au passage. Et avec, la société dans laquelle il vivait. Et puis Thalès. Et Pythagore.

Nous ne croyons pas au solipsisme. Ce n’est qu’un cauchemar. Reprenons-nous.

Ces beaux « Cahiers de l’Hydre » à plusieurs mains n’ont plus grand sens, avec un raisonnement pareil.

L’auteur ne nous aura pas à ce petit jeu.

Un confrère courageux, un peu plus haut, appelle à résister, et nous résisterons. Nous ne croyons pas à cette théorie, nous croyons plutôt que l’auteur tente, en ces pages, de saboter notre vie.

Avec préméditation, comme toujours.

Jérôme Pitriol

 

Un auteur irrémédiablement psychopathe

Le « Décor » est une reconstitution en carton-pâte du village de Hamelin. Cazenave-Sarkis y joue le rôle du joueur de flûte. Le côté psychopathique de ses personnages nous remue. C’est une escalade de pauvres types.

On ne comprend pas très bien ce qui motive l’auteur (et le lecteur) si ce n’est la volonté de dénoncer.

Les petits comme les grands travers de l’humanité sont passés à la moulinette. Le ton est celui d’un Georges Simenon en camisole de force. Ça sent la fumée de charbon, l’urine et la lessive des petites gens.

Réducteur de sentiments comme les Jivaros étaient réducteurs de têtes, Cazenave-sarkis veut décalquer sur nous sa vision sélectionnée de la vie.

Chante-t-il la vie ?

Danse-t-il la vie ? [3]

Si oui, c’est probablement comme Brigitte Fontaine et Areski.

Lou Salomé

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-Maur)

Il nous faudra du temps, il nous faudra longtemps pour oublier Cazenave-Sarkis…

Mais justement. Pourquoi l’oublier ?

 

Le questionnaire de Louise Berg (suite)

On a surtout pu lire de vous des nouvelles, forme de fiction courte par excellence…

Pourquoi cet intérêt pour la forme de la nouvelle ?

J’aime aller au fondamental. J’ai du mal à me déplacer dans l’espace.

 

Fragment révélateur

« Cazenave-Sarkis détestait les anticonflidenses de Phixioneur [4], cela allait trop à l’encontre de ses conceptions personnelles de la classe sociale d’un assassin. Il préférait casser du « Bestiaire ».

Un jour quelqu’un s’occupera de lui pour de bon ! »

(Un ami)

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-Maur)

Simon L ecuc n’aimait pas le roman « Décor ». Mais il n’aimait pas non plus « Wonderful world » de Louis Armstrong.

Je dis ça, je ne dis rien.

 

[1]S’agit-il du fameux cerf-veau, si cher à Philippe Sarr ? Un animal fabuleux, possédant un corps de cerf, une tête de veau et des ramures inextricables.

[2]Allusion aux romans d’Alfred Jarry ayant le Père Ubu pour héros.

[3]Comme le préconise Minily & Souris ?

[4]Voir le 2èmeCahier du premier tome des « Cahiers de l’Hydre de Lerne ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.