Décor de Serge Cazenave-Sarkis

Décor : premier épisode

Premières analyses

Volet « Civilisation & aménagement du territoire ».

Le projecteur est mis sur les objets et l’organisation de la vie autour d’eux, et l’ombre de l’Homme apparaît.

Jérôme Pitriol

 

Ces mots.

« Hors de ce (ceux) que j’aime, tout appartient au décor. »

Je ne cherchai pas à savoir s’il me parlait de ses proches, de sa famille ou de ses préférences en matière d’objets, d’architecture ou de paysages… Il faisait nuit et l’homme, de forte corpulence qui me pressait contre lui, sentait l’alcool.

À mon âge, déjà bien avancé, je ne craignais pas d’être la victime d’une agression à caractère sexuel, encore moins crapuleux – l’homme portait beau – mais plutôt d’avoir affaire à ce genre d’individus qui, après avoir bu quelques verres de trop, fraternels, sont les auteurs de fulgurances qui, sitôt émises, si personne n’est disposé à les recueillir, se fondent dans l’oubli.

Comment aurais-je pu ne pas les retenir, ces mots.

Serge Cazenave-Sarkis

 

L’envers du décor (Jérôme Pitriol)

Au terme d’une enquête minutieuse, deux journalistes ont pu établir, preuves à l’appui, que si tous les personnages du roman sont fictifs, l’intégralité des paysages et des objets du « Décor » sont bel et bien tirés de la vie de l’auteur.

 

Ironie effervescente

Il est terriblement vain d’étudier. La conscience ne s’acquiert ni dans les écrits, ni autre part.

Il est infructueux de lire. À moins d’appeler de ses vœux l’aliénation, la pédanterie ou le désespoir.

Il est futile d’écrire. À moins de vouloir infecter le reste du monde des effluves dégénérés de son ego.

Et pour le prouver, Cazenave-Sarkis nous livre une démonstration par l’absurde : non seulement « Décor » est incontestablement ancré dans son époque, mais en plus il traite de ses pires ennemis : l’embourgeoisement et la routine.

Certes, mais… tout comme des mini-Emma Bovary [1], ses personnages ne parviennent jamais à l’entier apaisement.

Quelque chose échoue dans leurs progrès, sans qu’ils ne sachent précisément le désigner. L’amertume est là, qui les scrute et influe, sans pitié, sur la moindre courbure de leur humeur.

 

Extrait :

« — Et dans quelle branche êtes-vous, monsieur ? demanda ce fouille-merde de fromager.

Je ne pus réprimer une moue de franc dégoût. De quoi se mêlait ce peigne-frometon ?

Il fallait rester à sa place dans la vie. De quel droit me posait-il de telles questions ?

Qu’il prenne ses ronds et qu’il la ferme.

De retour à la maison, la sale gueule du fromager me hantait encore. »

 

Les querelles qu’ils se livrent ne sont que des divertissements, espérant peut-être attiser assez de confiance en eux pour négocier une identité qu’ils ne maîtrisent pas ou plus.

L’auteur, en revanche, ne peut absolument pas être comparé à ses personnages : il se situe bien au-delà d’eux et les a amplement devancés. Encombré, peut-être, comme eux, par les périodes du contentement idéal, du crève-cœur décevant puis du chagrin, il n’a pas sombré, à leur manière, dans le fatalisme mais s’est doté d’une lucidité rageuse qui redouble sa malice et son fiel.

« Décor », ce roman qu’il écrit pour rendre ses lecteurs aussi ironiques que lui-même constitue, en fait, une étrange mise en abyme effervescentede son univers.

N’en déplaise à sa modestie, on parle alors carrément de littérature cazenavienne.

Georgie de Saint-Maur

 

L’envers du décor

Notre corps est-il jetable ou consigné ?

 

Être ou ne pas être du décor

Je connais bien l’œuvre de Serge Cazenave-Sarkis.

Il y a quelques années, son excellent « Hirondelle ou martinet » avait déjà attiré mon attention au vu de son « topos » : une certaine ambiguïté de propos.

Là, idem :

— Un, nous ne savons pas s’il s’agit d’un roman ou d’un scénario de film.

— Deux, La première phrase du « Cahier » qui nous préoccupe aujourd’hui – « Hors de ce (ceux) que j’aime tout appartient au décor » – l’illustre parfaitement : faut-il entendre « des corps » ou « décor » ?

L’ambiguïté frappe ici notre esprit comme nos sens.

Je m’explique : au cinéma, de même qu’ailleurs, le décor est ce qui ramène à un certain « contexte », donc à un lieu, une époque, des situations qui s’y rattachent. Les personnages, en revanche, qui y évoluent, peuvent très bien provenir d’un « contexte » autre que celui dans lequel leur auteur les fait évoluer. Exemple, un homme de banlieue (peu importe laquelle) dans une petite ville de la Creuse. Vous comprenez ?

Tout l’art de cet écrivain repose sur cette dichotomie, cette tension (palpable notamment dans ses nouvelles) entre un décor donné, immuable, dans lequel se fondent des êtres ayant leurs us et coutumes, leurs particularismes, leurs propres langue et langage, et des personnages qui eux, à priori, ne sont pas de ce décor. Puisque, au fond, ces derniers (tout comme nous, lecteurs) n’y sont que de passage, quoi qu’il arrive et de quelle que manière que ce soit.

D’où ce sentiment d’étrangeté qui s’annonce et que l’on ressent immédiatement, l’auteur-réalisateur nous plaçant d’emblée dans la peau du lecteur-voyeur (du lecteur- voyou ?, donc du lecteur-délinquant qui erre dans les pages du roman-film animé, peut-être !, des plus mauvaises intentions), et que nous nous sentons à la fois étrangers et familiers d’une œuvre qui ne veut pas dire son nom, qui nous inclut en même temps qu’elle nous exclut. Une forme d’errance (autre ambiguïté) à la fois physique, psychique et identitaire (identité plurielle, nomade ?) se fait jour.

Alors, « Hirondelle ou martinet ? ».

Des corps ou décor ?

Difficile de trancher. De même qu’il est compliqué de se prononcer sur l’orientation sexuelle du narrateur.

Mais peu importe, car là est la question : être ou ne pas être du décor !

Philippe Sarr

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-Maur)

Assez de décor-homme.

 

Un auteur qui frappe fort

« Hors de ce (ceux) que j’aime, tout appartient au décor. » Ce n’est pas très gentil pour le lecteur, se dit le lecteur.

Le lecteur aime bien se sentir flatté. Il l’avoue rarement, mais il aime qu’on le caresse dans le sens du poil. Et, face à ces mots durs, il a beau se dire qu’il s’agit des propos d’un personnage aviné, négligé, manifestement en surpoids, assujetti sans doute à une maladie chronique ordinaire, voire à plusieurs, du diabète peut-être, ou de l’hypertension artérielle, avec en sus des complications respiratoires, ou autres, liées à des années d’excès et d’addictions en tout genre, sans parler d’un état de misère sexuelle inimaginable, il a beau sentir tout cela, le lecteur, ces mots aigus le piquent au vif et résonnent diablement à ses oreilles, pourtant moins sensibles aux hautes fréquences que par le passé.

C’est que Cazenave-Sarkis frappe fort.

D’où peut donc bien lui venir cette provocante et mémorable formule ?

Certains appellent cela l’inspiration. Nous croyons au contraire que cet agencement à la fois brutal et profond est le fruit d’une longue méditation. Et Serge a mûri son fruit.

Il a prémédité son roman.

En un mot, c’est un auteur. Et c’est là tout le paradoxe, évidemment, puisque, pour notre auteur – il ne cesse de nous le crier d’un ton grave tout au long du livre, alors comment y rester sourd, en dépit de ces oreilles de moins en moins sensibles aux basses fréquences –, pour notre auteur, l’auteur c’est l’autre. C’est ce personnage importun. Ou un autre. Ou quelqu’un qu’on croise un matin en achetant son pain. Ce sont ces fulgurances, au beau milieu de la vie, qui font les mots qui comptent. Les mots qu’on n’oublie pas.

Ceux qu’on aurait aimé dire.

Jérôme Pitriol

 

L’envers du décor

L’homme – souvent. Un puzzle sans image – sans paysage – vaniteux – avare et satisfait de toutes les pièces de son jeu.

Trésor

Le sommes-nous tout entier ?

De ma bêtise, je me désolidarise.

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-Maur)

On sent derrière tout ceci la patte de ce maudit Phixioneur. Nous laissera-t-il un jour en paix avec ses meurtres à la noix de coco ?

Ou bien continuera-t-il à relayer et à commuter sans cesse ces fichus Cahiers ?

  

Oh le vilain Cazenave-Sarkis !

Notre ami a beaucoup chicané sur le « Bestiaire équitable» : trop ceci, pas assez cela… Il a probablement fait beaucoup de tort à Pitriol.

Mais est-ce une raison pour ne pas s’occuper de son succulent « Décor » ?

Non, bien sûr.

Tiens bon la barre et tiens bon le vent, hisse et ho…

Ce roman de Cazenave-Sarkis est un hymne au banal (en apparence) : des héros douteux, des jeunes filles de Montherlant en partance, des espoirs déçus.

Moi, j’ai ma petite vision de Cazenave-Sarkis : je le vois attablé à une des sympathiques terrasses de la place de Sancerre, en train de déguster un verre de blanc frais.

Quelques canapés. Quelques cacahuètes.

Ah, l’heureux homme !

Ses protagonistes ordinaires vivent les aventures du petit train électrique dont il est l’habile artisan.

Que de chemin parcouru depuis « Les Blancs ». Nous sommes passés de personnages faits de foutre, de morve ou pire encore (interchangeables, ce qui revient pratiquement au  même) pour aboutir à des personnages de chair et de sang (pouah).

Magnifique attributaire, Cazenave-sarkis les suce comme des cachous. C’est bonheur de le voir recracher les os, comme un colosse d’argile aux pieds bien sur terre. Un nouveau dieu Baal affamé. Une recette de grand-mère.

Lou Salomé

 

L’envers du décor (Georgie de Saint-Maur)

Lou Salomé est bien correcte avec Cazenave-Sarkis (dont elle ne prononce jamais le prénom. Elle en parle comme on dirait Camus, Mirabeau ou Chateaubriand). C’est assez rare que pour être souligné dans « L’envers dudécor ».

Bien sûr, Serge se délecte de ses interventions.

Affaire à suivre ?

Non… je m’en fous.

  

Le questionnaire de Louise Berg

Qui êtes-vous, Serge Cazenave-Sarkis ?

Oh… !… Un étranger sur la terre.

Un invité – des cadeaux plein les bras…

 

 

[1]Emma Bovary est le personnage du roman éponyme écrit par Gustave Flaubert, et qui relate l’ennui d’une bourgeoise de province.

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