On n’est pas trop aidé
— « Vous n’êtes pas sans savoir que les homosexuels sont des gens comme les autres, comprenez d’ailleurs, ils sont souvent très fins, voire cultivés ; regardez donc Marcel Proust et André Gide. »
— « Tralalala, et je dis merde à l’amour… Oh, mais il coince ce fromage ! On se croirait dans les coulisses de l’Alcazar ! Hahahaha ! Tadadada… »
— « Thérèse, vous êtes sûre que Proust était homosexuel !? »
Opérant un farouche déni de ma dépression sévère aggravée par un invraisemblable retrait social, une vieille amie se plaint de moi.
— Tu ne me contactes que pour me vendre tes trucs.
J’avais envie de lui répondre ceci :
« Mon amie que j’aime, si tu réalisais des articles sur le web, je me précipiterais inconditionnellement pour lire ce que tu as écrit. Si tu étais éditée au format papier, je crois que j’achèterais tous tes livres (c’est tellement rare de motiver un éditeur). Si, par bonheur, tes écrits me plaisaient, je t’en parlerais longuement par mail, je te parlerais aussi d’autres auteurs que j’aime, je te conseillerais des livres que j’ai trouvés formidables. Si tu étais publiée, j’en parlerais tout autour de moi, à mes amis, à mes parents, à mes proches. Je partagerais sur facebook tout ce qui touche de près ou de loin à tes livres. J’écrirais une critique sur Libfly et Babelio. J’écrirais des commentaires sur le site de ta maison d’édition pour te mettre en valeur. »
Mais bon, on ne peut pas répondre ça à une vieille amie. Une telle façon d’agir doit rester entièrement spontanée.
Et puis, peut-être ne peut-on pas exiger d’une vieille amie qu’elle se comporte en agent littéraire ?
Et moi ? Moi qui parle si haut, suis-je capable de mettre en pratique ce que je prêche supra ? (bonjour l’allitération). On va bien voir : Jean–Luc Dalcq vient de m’envoyer ses texticules[1]. Suis-je capable d’écrire quelque chose à leur endroit en bousculant les limites habituelles de la critique ?
« Dalcq vient de sortir un livre. Et il est impeccable.
Il a choisi cette fois de publier chez ce savoureux Cactus qu’on ne peut pas branler[2], bien qu’on nous promette, en frontispice, des éjaculations[3] qui fleurent bon le désordre mental.
La couverture[4], commise par Capitaine Lonchamps[5], semble prédestinée !
Le format du livre est loin d’être désagréable et sa police d’écriture épaule intelligemment les malvoyants, comme moi (ce qui est rare dans la petite édition).
Mais parlons à présent du contenu :
Dalcq allume en grand le projecteur flamboyant des aphorismes en se riant de ce qu’il éclairera. Il enfourche la locomotive de l’herméneute profanateur comme si Querton[6] était une émulsion du stabat mater[7].
Dalcq négocie l’être et fesse ardemment le cul nu du non-être.
Nous nous gobergerons de son cheminement intérieur ambigu qui débouche tout naturellement sur de beaux textes mercuriens. »
Et voilà. Pas mal, hein ? Evidemment on ne comprend pas tout. Mais n’est-ce pas le propre de mon écriture ? Poreuse, vulvaire et praxique ?
Voyons ensemble ce qu’en dit Benoît Patris dans un extrait de son superbe retour de lecture.
« Ca y est, j’ai fini Métapoly ! Etant donné que je suis nul en matière de critique, je dirai simplement que le livre m’a plu, pour plusieurs raisons, pas toujours claires.
Déjà pour l’humour bizarre, les formes poétiques ou surréalistes, les incises bien menées […].
Le fait le plus étrange, et qui se produit rarement quand je me penche sur une œuvre, c’est que j’avais par moments l’impression fugace de piger absolument tout, mais bien évidemment, tout me glissait entre les neurones au bout de quelques centièmes de secondes (le temps de passer à une nouvelle virgule). […] »
A propos, j’y pense tout à coup, vous devriez lire « Benoît Patris prix Nobel de littérature[8] », c’est vraiment un merveilleux remède contre l’anxiété (et hop, encore un petit coup de pouce).
Tiens, en parlant de coup de pouce, comme il me faut un mois pour écrire cette bafouille, Jean-Luc Dalcq a trouvé le temps de me renvoyer l’ascenseur :
« Bien que revenu de tout, même de Cthulhu, il n’avait pas encore entièrement plié le Métapoly du Seigneur de Saint-Maur.
Notre homme étant par nature pugnace, ce n’était qu’une question de jours. Le marteau et la faucille utilisées pour la circonstance, sous l’œil rétif du commissaire Crevert, avaient pourtant permis d’abattre un maximum d’atouts.
Si ça tombe, il n’y aurait pas lieu de pulvériser les ébats d’Organismes Génétiquement Modifiés. Encore moins de recourir aux « Femen ». Même si le fou et le cavalier… Lubriques comme chacun sait…
Patience!…
Patience dans l’azur, chaque particule de silence… Chut… L’entendez-vous? Oui, le tocsin ordonne…
Il faut tourner la page…
C’est le prix à payer pour boire à l’inconnu…
Au café Bizarre revisité…
Mais pour tout dire j’adore ce style auto-dérisoire presque, hérissé d’inflexions aristocratiques et déjantées. »
On a reproché récemment à mon billet mensuel d’être de plus en plus court. Ah ça, mes maîtres, c’est vous qui l’aurez voulu.
Voilà que les Français veulent affaiblir la connaissance du grec et du latin[9]. C’était déjà assez compliqué (à force de lire des âneries sur le Net) de ne pas se poser des questions orthographiques, mais si, en plus, on n’a plus de références, notre langue rejoindra une variante de la roulette russe.
J’ai fait un tout petit peu de latin et de grec (mais pas très longtemps, je n’étais pas un bon élève) et, malgré ma méconnaissance et mes carences, je ne fais pas trop de fautes d’orthographe[10]. C’est dire le bienfait que représente une compréhension, même sommaire, de ces deux langues mortes.
Car, attention : mortes ne veut pas dire inutiles. J’ai lu récemment la lettre de Jean d’Ormesson[11] :
« […] Il y a encore quelques années, l’exception culturelle française était sur toutes les lèvres. Cette exception culturelle plongeait ses racines dans le latin et le grec. Najat Vallaud-Belkacem (dans le rôle d’une Dédaigneuse Ingénue) semble aspirer à vider de son contenu la langue dont nous nous servons pour parler de la science, de la technique et de la médecine. Celle-ci perdrait tout son sens et deviendrait opaque sans une référence constante aux racines grecques et latines. Les Anglais tiennent à Shakespeare, les Allemands tiennent à Goethe, les Espagnols à Cervantès, les Portugais à Camoens, les Italiens à Dante et les Russes à Tolstoï. Nous sommes les enfants d’Homère et de Virgile […] »
Je ne sais pas si j’aime bien d’Ormesson. Je n’ai lu que deux bouquins de lui. C’est trop peu pour cerner le bonhomme, mais, dans ce cas précis, j’ai la vague intuition qu’il a raison.
— Hé qu’est-ce que tu veux, ce s’ra l’monde de d’main (Jean Gabin Le cave se rebiffe)
Alors vous en voulez encore ?[12]
Il n’y a pas si longtemps (une dizaine d’années), nous flânions, ma femme et moi, dans le quartier Charmant de la Bourse de Bruxelles[13]. Un petit café au Métropole, une petite exploration chez Pêle-Mêle (je recherchais des vieux « Charlie mensuel »)… Laissant à peine quelques secondes mon épouse seule, pour choisir ses Agatha Christie et ses Simenon, que je l’entends soudain m’appeler. Je vais voir et je la découvre littéralement harcelée par une espèce de jeune mendiant moricaud sans nationalité particulière. J’intime l’ordre à ce dernier de nous laisser tranquilles et il a alors un geste que je connais très bien, il plonge la main dans la poche de sa veste où elle se mue instantanément en une boule menaçante. Ce type a une lame, c’est sûr.
Le plantant là sans autre forme de procès nous sommes sortis de la bouquinerie sans un seul livre, mais avec la même certitude. Nos promenades à Bruxelles venaient de donner leur ultime représentation.
Or, par le plus grand des hasards, je suis tombé hier sur un post de Michael Moetwil sur facebook, qui me parlait de ce quartier où j’ai tant aimé musarder. Je vous laisse l’apprécier par vous-mêmes sur :
http://www.pietonnier.brussels/yvan-mayeur-cause-une-catastrophe-economique-majeure/
On ne peut malheureusement pas écrire des articles follement drôles à chaque fois. J’aimerais bien pourtant, mais le monde réel ne s’y prête pas.
Alors, avant de retourner dans ma tour d’ivoire, je terminerai avec Hot Voodoo, cette superbe chanson de Marlène Dietrich :
“Did you ever happen to hear of voodoo?
Hear it and you won’t give a damn what you do “
Voilà, c’est tout les amis.
[1] Les Texticules du Diable et autres éjaculations psychotiques. Collection Les p’tits cactus.
[2] « Cactus inébranlable éditions » est une petite maison d’édition créée par Jean-Philippe Querton.
[3] Pour ceux qui n’aiment vraiment pas le foutre rédempteur, sachez que les pages s’arrachent assez facilement et qu’il vous restera toujours les versos 6 et 8 pour y noter des listes de courses.
[4] Capitaine Lonchamps : Neige 2010 de la série « Le petit Parisien », supplément littéraire illustré du 10 mars 1896. Le crime du bois de Vincennes, un père assassin de son fils.
[5] Né en 1953 à Spa, Capitaine Lonchamps, disciple pataphysicien influencé par la machine à peindre de Jarry, dadaïste pointilliste et potache, recouvre photographies anciennes collectées […] toiles d’autres artistes, images d’Épinal, dessins, murs et objets d’une neige cotonneuse.
[6] Né en1960 à Bruxelles, Jean-Philippe Querton est un éditeur et écrivain belge francophone, connu (entre autres) pour son goût pour les aphorismes et jeux de mots.
[7] La Mère se tenait debout. Abréviation de Stabat Mater dolorosa, premier vers de la dernière des séquences autorisées. Elle est très rarement chantée. C’est dans le sens de cette rareté qu’elle est utilisée ici.
[8] http://www.editionsdelabatjour.com/2015/10/benoit-patris-prix-nobel-de-litterature-par-benoit-patris.html
[9] Et de l’allemand.
[10] Et quand j’en fais une ça me désespère.
[11] Lettre de Jean d’Ormesson au président de la République.
[12] Serge Gainsbourg Bonnie & Clyde
[13] Un quartier qui me rappelait le bon vieux temps de l’Hôtel Britannique à Liège.
Le grec passe encore, mais qu’on abandonne l’enseignement du lapin dans les écoles est assurément un crime, comme dirait Alice, de lièvre-majestée.
Un de mes proches me faisait si justement remarquer que lors des vernissages ,notamment, il était de bon ton de demander à l’artiste le sens de son œuvre, l’origine de son inspiration, ou encore plus osé, de lui faire part de notre sentiment par rapport à son œuvre.
Permettez -moi cher Monsieur de St -Maur de me dissocier de ceci.
Je trouve inconvenant de tels comportements .
Avant de vous laisser à votre inspiration, juste une précision ou deux mais où trouvez-vous vos idées carrément géniales et désopilantes ? Quel est donc, si vous me permettez cette question, le sens de votre œuvre Metapoly ? Et enfin, je suis parfaitement conquise par votre dernier bouquin que j’estime être un excellent remède à la morosité.
Longue vie artistique.
Une lectrice du hasard
Cher Georgie,
« La critique est aisée, mais l’art est difficile », annonce l’expression. Cependant, depuis Métapoly, je sais que ce n’est pas si simple.
Au sujet de l’abandon progressif du grec et du latin, j’ai aussi entendu notre ministre de l’Education nationale dire que l’école allait se focaliser sur l’apprentissage du français et des mathématiques. Ce qui me fait me demander : « Mais qu’est-ce qu’ils foutaient, avant, dans les salles de classe ? »
Concernant votre allitération « prêche supra », je vous propose un nouveau mot pour éviter ce genre d’inconvénient lexical : le verbe « suprêcher ». Celui-ci figure déjà dans mon Dictionnaire des mots qui existent presque, entre « Stimoulateur » (appareil servant à relaxer une personne) et « Surputer » (enchérir sur une conjecture : Les journalistes surputent souvent).
Merci pour votre coup de pouce, c’est très gentil à vous !
Bonjour et merci pour le lien. C’est très agréable à lire. C’est même, je dirais, poreux, vulvaire et praxique (c’est de moi, c’est des mots que vous aurez du mal à comprendre, cherchez dans le dictionnaire. En plus, il faut lutter pour les imposer, la correction orthographique veut à tout prix remplacer praxique par pratique).
Bonne journée et à la prochaine rubrique,