Les Blancs : sixième épisode
Sixièmes analyses
Pure métafiction, des romans imaginaires sortent du néant pour devenir, sous la plume de leurs éminents critiques, plus réels que jamais
Mais que viennent donc faire ces soldats de plomb sur scène ?
On ne voit pas bien le rapport avec le reste de l’épisode. Nous nous disons qu’à la rigueur le plomb doit jouer le rôle de catalyseur, que cet élément lourd est là pour nous faire saisir plus rapidement le ton oppressant du roman, son atmosphère pesante. Ne cherchons plus : le rôle des soldats est de faire diversion. Ce qui compte se joue à l’arrière-plan : la comédie des blancs d’œuf.
La question centrale, dans cet épisode – cela n’aura échappé à personne – est la suivante : comment diable Blancbonnet parviendra-t-il à finir sa toile en utilisant une peinture au blanc d’œuf ? On n’obtiendra pas la réponse, bien sûr, ce qui sous-entend selon toute vraisemblance une critique de l’école des glairistes. Pourquoi pas ?
Plus gênant, Serge Cazenave, dans son analyse par ailleurs fort bien documentée, soulève un autre problème qui semble crucial, mais sans prendre la peine de donner lesexplications qui seraient nécessaires à la compréhension : « Le syndrome traumatique de l’œuf coque ad hoc ». D’autant plus regrettable que Philippe Sarr reste étrangement silencieux sur ce point.
Oubli ?
Excès de prudence ?
Toujours est-il que nous avons du mal à nous en remettre. Voilà qui laissait pourtant entrevoir tout un monde en couleur. Avec les jaunes. Infiniment dommage…
Pour conclure, un passage certes éprouvant, mais brillant. Unique, en tout blanc remarquable, et sans coulure inutile.
Jérôme Pitriol
Où l’on ne voit que du blanc !
« Une douzaine d’œufs de calibre moyen reposent dans une assiette creuse pleine d’eau au fond de la scène que parcoure une armée de redoutables soldats de plombs.
—Tu me vires tous les jaunes !
—Pourquoi ?
—Parce que !
—C’est malin !
—Je n’en veux pas! Comme en littérature, le jaune, c’est pas beau ! »
Face à la complexité extrême de cet épisode dantesque, les critiques n’ont pu s’entendre et émettre que de vagues hypothèses :
1 – Ce romancier cultivait une sorte de racisme primaire (ce que j’estime ridicule).
2 – Le fait de ne garder que les blancs laissait entendre qu’il voulait en faire la matière exclusive, indispensable et nécessaire de toute vraie littérature (celle de son espace-temps), adhérant ainsi à l’idée selon laquelle l’existence précédait l’essence.
3 – Pour l’auteur, le blanc n’existait pas et n’était qu’illusion
4 – Il était frappé d’amnésie et tremblait dangereusement chaque fois qu’on évoquait son enfance.
5 – Il était simplement fou.
Une question, toutefois : pourquoi plusieurs confrères riaient-ils jaune lorsqu’ils affirmaient que Sarr n’avait pas mangé tout son pain blanc ?
PS
Le mur
Creuser, creuser, creuser
Pour s’apercevoir
Que tout n’était que pierre à l’intérieur
Un inconnu :
—Comment, ça raille ?
Ad Hoc
Prémonition de l’artiste —, comment ne pas être surpris par tant de lucidité : Finir sa vie sur la paille. Abandonné de tous. Raillé. Moqué. Couvert d’opprobre. Frigorifié sous sa couverture chauffante débranchée (on lui avait coupé le gaz), son dernier luxe. Lui. L’annonciateur des temps à venir. L’inventeur des chemins à damiers en trois dimensions. Où les cases noires ne sont pas toujours les plus profondes. Où les blanches, au contraire, oubliettes funestes, sur un faux pas, peuvent vous dissoudre dans la chaux vive et vous perdre… Un coup, tu vis, un coup, tu meurs.
Gué diabolique – solution retenue pour endiguer notre affluence exponentielle. Créateur, aussi, des « Chausses curves» (modèle déposé) qui, grâce à lui, nous allions pour des siècles et des siècles pouvoir marcher sur des œufs sans craindre de les casser… Fini les œufs brouillés et les omelettes au lard ! Plus besoin de se briser les reins pour trouver des truffes !…
« Ce sera comme on veut quand on veut ! » disait-il à ses adeptes en brandissant des mouillettes gigantesques. « Les blancs d’un côté, les jaunes de l’autre… » Concluait-il, les yeux révulsés et la mousse rageuse aux commissures des lèvres. Que n’a-t-il pas eu la chance de rencontrer Boris Cyrulnik afin de pouvoir juguler, quand il était encore temps, le syndrome traumatique de l’œuf coque ad hoc.
Ah ! J’entends rire l’initiateur des Cahiers : « Sur le plat ! Ah ah ah ! ». Quelle ignominie de sa part. Tirer sur une ambulance ! Lui, cet incontestable et si merveilleux Chef d’orchestre, se moquer ainsi d’un Sarr à terre.
J’en reste coi.
Quelle pourriture que ce monde littéraire.
Quelle sera ma nuit ?
Serge Cazenave-Sarkis
De l’autre côté du mur
— Ce roman épique fut comme un rêve inaudible truffé de verbes irréguliers !
—Comment tu le sais ?
— Parce que je le sais !
Les conflidenses de Phixi
J’expliquai aux flics que l’on avait tenté de nous assassiner Batty et moi. Alors que je ne nous connaissais pas d’ennemis !
Le Superswong
« Les Blancs » scandent la régularité, dans toute l’œuvre de Sarr, de ce « vouloirse taire et le besoinde parler » et propose, comme allégorie de cette faim de parler, la contrainte romanesque.
La parole, qui vous« soulage en vous blessant » et qui s’oppose au « Blanc, cette solennité dont on profite si rarement » a longuement taraudé notre homme.
Au début de ses années de gloire, il exécute ainsi une posture formelle au sein de la littérature. C’est pourquoi la tournure elle-même devient une préoccupation ; parce qu’elle existe indépendamment de la question qu’elle assaisonne.
Trouver une forme qui accommode l’anarchie, telle est aujourd’hui la tâche de l’écrivain.
C’est ce que l’on nomme dans les milieux très branchés le Superswong.
Lou Salomé
On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs
Et voici les fouines. Saviez-vous que ces sales bêtes volent les œufs et les emmènent sans les casser jusqu’à leur repaire ?
Ces fouineuses viennent salir la pureté de ce roman. Elles se baladent de mot en mot, de ligne en ligne, de page en page et nous empêchent de compléter les blancs de ce magnifique texte à trous. Et pouf, envolé le processus créatif ! Qu’on les extermine que Diantre !
Espèce protégée ?
Tant pis, nous contournerons le jaune et ne conserverons que le blanc.
Ce romancier n’aimait pas rire et se plaisait à répéter qu’il ne fallait pas le contrarier. Prescription de son médecin.
C’était un grand philosophe et il se plaisait souvent à dire : « La vie est joie, la vie est lumière, je chante la vie, je danse la vie, … »
Et lorsqu’on affirmait que Sarr n’avait pas mangé tout son pain blanc, c’était avant-gardiste. En effet, il connaît aujourd’hui un véritable succès mais posthume.
Quelle noirceur!
Heureusement les éditions Bozon2x éclaireront d’une lumière nouvelle son art.
Minily & souris
De l’autre côté du mur
— Où sont tes blancs, mécréants, comme tu hais, je te lirai !
— Hein ?
— J’ai mal au foie !
Les conflidenses de Phixi
Batty était vêtu comme un plouc. Quelle absence de goût ! Vraiment…
Un entre-soi gênant
Ce roman défend d’abord, à mon sens, la culture occidentale, peinture, sculpture, cinéma, littérature et cætera, en nous disant : choisis ton camp, camarade. Ce qui est probablement une bonne chose, certes, mais contient toutefois des éléments terriblement dangereux de repli sur soi.
Là où le bât blesse vraiment, c’est lorsqu’on aborde le sujet (brûlant d’actualité) de la religion.
Philippe Sarr ne prend pas spécialement parti et semble user, selon moi, d’une laïcité aimable, mais il oublie l’invasion prévisible des extrémismes radicaux.
« Les Blancs », c’est à dire les Européens et leurs valeurs culturelles résisteront-ils ?
Il nous faudra l’espérer, car leur épistémè est riche et, même si nous nous en défendons, nous y évoluons. À qui sur terre, exposerions-nous nos idées ?
Nous sommes bien obligés de rester « entre nous ». Tout ce qui a constitué notre carrure d’écrivain, nous le devons aux dessins des grottes de Lascaux.
Notre culture est-elle ce qui nous finit ou ce qui nous grandit ?
Bon, force nous est d’avouer que « Les Blancs » ne donnent pas de réponse définitive. Oh, certainement pas par crainte de prendre position, mais par la nature même de la littérature « à trous »…
Ce livre est, quoi qu’on en pense, un hymne à la joie, à l’Art et à la Science. Un beau défi dans notre monde contemporain connecté.
Georgie de Saint-Maur
De l’autre côté du mur
— La nuit est tombée et l’œuvre est passée à l’autre jour, aube naissante !
— Atchoum !
— Je m’en remets à tes désirs !
Les conflidenses de Phixi
Il fut admis qu’on en avait voulu à Batty pour ses recherches avancées sur l’utilisation hasardeuse de certaines molécules pour le traitement de certaines maladies psychiatriques ayant seulement profité à un grand laboratoire pharmaceutique…
6èmerésumé des « Blancs »
« Les Blancs » est au roman ce que les feux du Turner sont à la glace. Ils unifient.
En apparence, tout au moins. Il suffit de quelques analyses bien senties pour prouver le contraire.
Flamboyantes, ces dernières couvent sous la glace d’un roman a prioriimpénétrable, comme le sont justement les trous blancs. À l’inverse de leurs opposés, les trous noirs, où tout entre et d’où rien ne peut plus sortir.
Dès lors, sous les « Blancs » l’uniformité disparaît pour laisser place à une diversité de sons et de couleurs qui fusent en un véritable hymne à la vie. Beaux et tonitruants.
Et le roman qui paraissait figé dans une monochromie glaciale, se métamorphose tout à coup en paysages enchantés. Devenant ainsi roman de l’altérité.
Pari risqué… Et réussi !
PS
Interview par Louise Berg (suite)
Comment présenteriez-vous « Les Blancs» ?
Comme une espèce de texte à trous que le lecteur est invité à compléter lui même avec ses propres mots, histoire qu’il s’implique de manière active et autonome dans le processus créatif.
De ce point de vue c’est un texte essentiellement pédagogique !
Ce que l’on sait
Tout n’est donc que vide à l’intérieur. Les pages de ce roman en sont manifestement pleines. De ce vide immense que l’écrivain saupoudre de neige artificielle à mesure qu’il croit et augmente.
Cela ne le contrarie pas.
Normal, non, quand on se dit philosophe et inventeur des « textes percés » !