Les Blancs de Philippe Sarr

Les Blancs : cinquième épisode

Cinquièmes analyses

Pure métafiction, des romans imaginaires sortent du néant pour devenir, sous la plume de leurs éminents critiques, plus réels que jamais.

Sauve-qui-peut !

« L’air est saturé d’oxyde de carbone. Il y a bien longtemps que la Terre, vue du ciel, présente l’aspect d’une vieille croûte peinte par un artiste à la fois sénile et génial.

Pendant que madame est aux affaires, je m’occupe de ses mandarines !

Ah, et pourquoi ?

Pour des pommes !

J’admire votre sens de la répartie !

Un drôle d’animal à trois têtes entre dans le vieux manoir et sème la panique. Des êtres nus et sans visage se tournent autour en proférant des obscénités sur lui. Nos deux hommes, seulement reconnaissables à la couleur brune de leur peau, poursuivent leur conversation anodine comme si de rien n’était.

– Laissez-moi vous dire une chose !

– Sûrement pas, mécréant !

Une couronne d’épines surgit de terre. Les deux hommes se retrouvent de part et d’autre de la structure et se font face en maugréant.

Tu n’es pas moi !

Tu n’es pas moi !

Tu ne l’emporteras pas au paradis !

Quoi ?

Ça : Dieu ne joue pas aux dés ! »

Je ne livrerai aucun commentaire sur ce passage, reconnaissons-le, d’une rare violence. Les lignes qui le composent, se dressent les unes contre les autres comme pour mieux nous faire mesurer le profond désarroi qui habite les personnages face à l’inéluctable.

Notons que l’auteur, dont les origines égyptiennes ne font pas l’ombre d’un doute, était un grand taiseux et semblait porter en lui un secret quatre fois millénaires, que, pour des raisons bien étranges, sa biographie consultable sur Wikipédia et son Blog « Le mors-aux-dents », est entrecoupée de « blancs » que chacun, à sa façon, se plaît à noircir, puis blanchir, puis noircir à nouveau avec la même hystérie qu’une foule face à ses idoles. Mais, comme le dit un proverbe africain, « on ne peut peindre du blanc sur du blanc, du noir sur du noir. Chacun a besoin de l’autre pour se révéler ! ».

PS

Le mur

Dans une boîte à chaussures

Percée par endroits

Pour donner au soldat une chance,

Dignement, d’en sortir

Un inconnu :

Comment, ça bout et ça mange ?

Sarr dîne

Invité à la page de cet auteur — pour qui n’était pas adepte des produits bio(graphique) souvent peu présentables et parfois indigestes aux pupilles nourris à la SGDL, il n’était pas inutile d’apporter son manger. Mais, pas son boire ! Car, Sarr, pas avare sur le liquide, rinçait à l’œil. En petites coupures de préférence bien planquées entre deux cartons d’invitation de vernissages décidus.

Ah, l’ami Sarr ! Toujours la main sur le cœur pour répondre aux sollicitations mercantiles de ses copains refusés, ignorés, même pas maudits.

Quoi, comment, qu’ai-je dit ?

Soyons honnêtes, lequel d’entre nous n’a pas eu recours un jour, dans sa jeunesse et sous un nom d’emprunt, à l’autoédition ?

Hein, qui ?

Oui… Bien sûr… Personne ici… mais, nous en connaissons, et pas des moindres. Une petite participation moyennant le prix de son tirage.

Ah !Omnia vanitas, voir son petit nom graisseux au sommaire d’une revue sans grand intérêt mais tellement valorisante placée sur l’étagère de sa bibliothèque entre, pour citer des auteurs qu’il aimait : Henry Miller et Joyce, ou mieux encore, entre « Les Mots » de Sartre et « Voyage au bout de la nuit » de Céline. Mur des réconciliations improbables. Horizon des suffisances. « Tartre » et Ferdinand. Par-devant, par derrière. Hardis ardents antagonistes du siècle dernier, quand les couvertures en papier glacé à 120 microns n’avait pas encore cours, qu’on ne sortait jamais couvert, si ce n’était, le front luisant de toutes sortes de sécrétions glaireuses. Car oui, les glissades en ce temps-là ne se pratiquaient pas seulement qu’à la neige – les haines littéraires bien baveuses de cette époque faisaient, j’ai mes sources, d’excellentes pistes noires. Les remontées mécaniques, quoique fort inconfortables menaient nos génies jusqu’à des sommets immaculés. Aujourd’hui, les blancs, ou blanches espaces, qu’on les mette au masculin ou au féminin, (misérable dispute de typographe), ne remplaceront jamais les vastes glaciers. Principale inspiration de l’écrivain et de ses « blancs ».

Sarr – des explorateurs de l’infini, le dernier.

Serge Cazenave-Sarkis

De l’autre côté du mur

Tirer du nez les vers, jusqu’à l’éternuement, m’avait toujours profondément amusé !

T’es con, vraiment !

Les conflidenses de Phixi

Le jour où Batty m’annonça qu’il avait retrouvé ma vieille paire de bésicles, j’ouvris une boîte de cassoulet, m’envoyai à moi seul une bouteille d’un vieux Cognac et roulai sous la table, déshonoré, mon chat Fred Li Protéus Chang m’ayant uriné dessus…

Tora, tora !

Ce qui ne va pas avec « Les Blancs », c’est la joie clairement affichée par l’auteur.

Il jubile !

Ses chevilles enflent !

Il nous tient par la peau des nouilles.

Oh, comme nous aimerions refermer son livre et rire, avec lui, de tous les indolents funestes. Éclater de bonheur, avec lui, en contemplant, hautains, tous les sarcasmes groupés en syndicats d’initiative.

Mais nous ne le pouvons pas. Drapés dans notre dignité de lecteur, nous nous devons à nous-mêmes d’en venir à bout.

Alors, nous allons monter dans nos zéros et cribler de balles sa ridicule montgolfière des neiges. Il mordra la poussière. C’est lui ou nous !

Son livre est un affront à la bourgeoisie, un camouflet pour la bienséance, un brûlot pour la société de consommation. Défendons notre société ! Soyons fiers de notre art de vivre. Nos enfants nous remercierons et nos aïeux nous béniront.

Quand j’ai ouvert les « Blancs », j’aurais mieux fait de me casser une jambe. Je connaissais déjà l’écrivain, mais je ne me doutais pas qu’il irait jusque là.

Certes, on pouvait prédire, sans trop se tromper, que notre homme ne reculait pas facilement. D’ailleurs, avez-vous remarqué qu’en déplaçant et en changeant quelques lettres, Sarr était la parfaite anagramme de Satanas ?

Coïncidence ?

Je ne crois pas.

Lou Salomé

De l’autre coté du mur

– Deux lignes claires et minimalistes sans embrouille ni embrouillamini ?

Un progrès qui mérite d’être mis en exergue, démontre à quel point notre relation se nourrissait de clair-obscur.

– De vide et de blancs, tu veux dire !

Les conflidenses de Phixi

Je fus convoqué chez les flics le jour même. Dans la salle où je fus conduis menotté, était diffusé le I can’t get no satisfaction ! Batty m’observait, hilare…

Dans les profondeurs de la blancheur

Posons-nous un instant et observons ces personnages. Tous très nets, très propres sur eux, pas une cédille ne dépasse.

Syndrome de la feuille blanche où l’écrivain couche sur le papier blanc, des lettres blanches, une intrigue blanche, des personnages plus blancs que blanc.

Et pourtant cette violence qui nous transperce telles les aiguilles de mon bon vieux acupuncteur Chong Minh Cheng (que je ne citerai pas ici pour ne pas lui faire une publicité qu’il ne mérite pas). Vous ai-je dit qu’il était très mauvais?

Avant chaque séance, il se cache sous un drap blanc pour opérer,comme il dit, incognito et, n’ayant pas les yeux en face des trous, il pique souvent au mauvais endroit.

Mais revenons plutôt à notre analyse des personnages des « Blancs ». Avez-vous déjà songé que Sarr dans un accès de pure folie, juste avant la chute de sa montgolfière, ait décidé que le roman ne s’appellerait plus « Les Blancs » mais « Les Noirs » ?

Dingue vous entends-je vous écrier. Et je vous approuve !

Quelle folie n’est-ce-pas ?

Quelle audace !

Mais notre homme n’était pas audacieux c’est pourquoi il a choisi ce blanc immaculé, ce blanc qui permet aux lecteurs de plonger dans les profondeurs abyssales et de découvrir que tout n’est jamais aussi blanc qu’il n’y paraît.

Minily & souris

De l’autre côté du mur

Les marges étaient d’horribles repoussoirs de mots. Aussi fut-il nécessaire de les blanchir.

A la craie ?

Oui. A la craie !

Les conflidenses de Phixi

Batty promit de me démolir. Y étais-je pour quelque chose si sa femme l’avait maintes fois trompé ?

Notre auteur aimait la Forêt Noire (private joke)

Ainsi donc, en dépit des fromages mous de la renommée, des lauriers piquants de la considération, des voitures-balais des autoroutes, « Les Blancs » représenteraient un renouveau artistique inégalé ?

Pourquoi ?

Mais parce qu’ils nous posent les bonnes questions. Y a-t-il une fille après le port ?

Qui va à la chasse perd sa glace. Un bon tiens vaut mieux que deux donne-moi ça.

Ah, notre homme est habile ! Il prend le parti de secouer les puces à tous ses lecteurs, même s’il encourt la peine capitale pour un écrivain : ne plus être lu.

« Les Blancs » sont comme la pierre soigneusement choisie par David pour sa fronde. Un sauve-qui-veut général. Mais qui veut peut, comme le dit si bien mon oncle Albert.

Trimballée, retournée dans le foin, brûlée sur tous ses orifices, l’œuvre de Philippe Sarr continue de narguer les braves gens qui n’aiment pas que…

La preuve ?

Mais son voyage récent en Forêt Noire en dépit de son décès !

Magnifique pied-de-nez aux insupportables collets montés.

Georgie de Saint-Maur

De l’autre côté du mur

La fonte des neiges aurait paraît-il inondé son récit d’histoires glaciales !

Ah bon ?

Un flotteur ?

Volontiers !

Les conflidenses de Phixi

A l’aide d’une paille bleue, j’aspirai le sang qui giclait de son énorme cou et l’empêchait de respirer. La balle l’avait touché au plus mauvais endroit.

Un livre qui fait mal

Dans cet épisode, une fois de plus, une interprétation métaphysique semble s’imposer à première vue. L’apparition de l’imposante couronne d’épines au beau milieu de la scène, par exemple. Ou encore ces répliques mémorables, aux négations définitives : « Dieu ne joue pas aux dés », « tu n’es pas moi ». Le titre de l’épisode lui-même est alors interprété comme une rédemption.

Mais en réalité c’est une force charnelle qui émane du texte. Ce dès la première lecture. Il faudrait d’ailleurs être masochiste pour relire un truc aussi dur. Tous les sens y sont malmenés : les fruits ont bon goût mais réveillent simultanément les douleurs aux dents, les épines s’enfoncent dans la chair, s’y sentant dans leur élément, les obscénités sans fondement brûlent au deuxième degré. Tout résonne à pleine puissance, c’est une lecture extraordinairement physique. Et cela fait mal.

Pour s’en convaincre, il n’est que de relire les analyses ci-dessus et se représenter l’effet du texte sur nos critiques préférées.

Serge Cazenave est pris, devant son ordinateur, d’une envie de boire irrépressible. Le texte lui donne soif, très soif. Lui dont on salue d’ordinaire la maîtrise de la langue, la voilà soudain qui pend et qui s’étire et se colle à l’écran : c’est papille contre pixel.

Minily & souris repense à son acupuncteur. Pas que des bons souvenirs, apparemment. Peut-être même une vilaine erreur d’aiguillage. Une blessure qui jusque là ne se rouvrait que face à des piques à brochette.

Georgie de Saint-Maur se sent secouer les puces. Une sensation franchement désagréable, sous laquelle on l’entend presque murmurer : « Littérature, ne me fais pas ce que tu n’aimerais pas que je te fasse. »

Et Lou Salomé, pour la citer, avoue sans hésiter : « J’aurais mieux fait de me casser une jambe. »

Quant à nous, les bras nous en tombent. Comme en un cauchemar agité, nous voudrions tordre le cou à ce monstre à trois têtes – et nous réjouir de répéter l’opération trois fois, puis de les entortiller, faire un nœud bien serré avec –, mais nous restons là, les bras ballants, incapables de renverser notre tasse de café qui nous permettrait d’effacer d’un coup les mots de cette horrible page.

Jérôme Pitriol

5ème résumé des « Blancs »

Il n’est pas très facile de résumer « Les Blancs ».

L’action est aléatoire, elle dépend beaucoup du lecteur.

Les personnages, hypergémellaires, gambadent et rebondissent. Nous avons ainsi une centaine de petits Blancbonnets et Bonnetblancs (Note de l’auteur : Chouvert et Vertchou en Belgique) sautillant en tous sens.

L’audacieux écrivain, ou plutôt son image holographique, est harcelé, voire persécuté par des esprits vaporeux et blanchâtres.

Lorsque l’on sait que tous ces Blancbonnets et Ciepeuvent également se transformer en fantômes interchangeables, on mesure mieux l’option du vide choisie par le romancier.

Est-ce à dire qu’il ne se passe rien dans « Les Blancs » ?

Oh que nenni !

Le docteur allemand Einstein1(Peter Lorre), tout droit sorti d’Arsenic and oldlaces, charcute Blancbonnet (qui prétend à la différence) pour finalement le faire ressembler comme deux gouttes de whisky à Bonnetblanc.

Éburnéee Hurt, la seule à pouvoir les discerner l’un de l’autre, entame une méchante parade nuptiale qui consiste à bourrer de coups de pieds l’arrière-train de Blancbonnet. En voyant cette humiliation perverse, son frère éclate en sanglots .

Extrait :

« — Mais pourquoi pleures-tu, Bonnetblanc ? s’enquit notre ami, plein de sollicitude.

Mais parce que cette maudite sorcière va transformer ton postérieur en matériel de contrebande, mon pauvre ami. Que dirait notre mère si elle voyait ça ?

Oh, probablement rien. Tu sais bien que tu as toujours été son préféré.

Tu deviens monstrueux ! Je vais provoquer cette gourgandine en duel.

Tu es fou, elle est championne de tir au revolver.

Je choisis l’arme blanche ! 

Mais…»

On croit comprendre que les péripéties s’enchaînent et que les personnages prennent du bon temps. N’oublions pas que le livre a été interdit aux États-Unis pour obscénité. Les personnages s’en paient donc une bonne tranche, puis décident d’aller au restaurant.

C’est là que Bonnetblanc (ou bien Blancbonnet, je ne sais plus) se dégonfle. Ce n’est pas très facile à décrire, mais il se dégonfle sur sa chaise, comme une baudruche. Oh, il ne se dégonfle pas très vite, pas comme un ballon qui part dans tous les sens, mais plutôt comme une bouée de plastique.

Son frère (ce sera plus facile) s’approche de lui alors qu’il ne ressemble plus qu’à une vague bourse d’air.

Extrait :

« — Ô mon frère, je hisse le drapeau blanc. Réponds-moi, adjura notre héros.

… »

Beaucoup de non-dits dans « Les Blancs ».

Georgie de Saint-Maur

Interview par Louise Berg (suite)

Quels sont vos auteurs préférés ? 

Les auteurs qui m’ont vraiment marqué sont Henry Miller, Céline, Joyce, Murakami Ryu, Rabelais et Jérôme Bosch.

Ils ont en commun une écriture, une vitalité créative et une richesse qui me fascinent.

Ce que l’on sait

La question que l’on peut désormais se poser est celle-ci : peut-on sortir indemne d’un tel roman ?

La réponse est NON ! Tant l’auteur use de stratagèmes pour nous en empêcher (son fameux texte à trous!), nous contraignant ainsi à aller au bout de son voyage blanc.

Il est clair que l’auteur nous tient par les « nouilles » (dixit Lou Salomé), jubile de nous voir frémir de peur à chacun de ses virages.

Il faut dire que l’écrivain, en plus de la Forêt noire qu’il fréquentait régulièrement, davantage pour sa bière locale que pour son folklore suranné, aimait secouer les puces de ses lecteurs !

1Le chirurgien qui transforme sans cesse le visage de Jonathan « Frankenstein » Brewster (Raymond Massey), le frère psychopathe de Mortimer.

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