Les Blancs : septième épisode
Septièmes analyses
Dans le trou du temps
« — Il n’y a personne d’autre que toi et moi « enlassés » dans ce trou du temps !
— Attends, je ne suis pas prêt pour ça…
— Tu n’aimes pas le velouté de mes seins ?
— Je trouve qu’il est trop tôt pour…
— Qu’est-ce que tu peux être ampoulé parfois !
— …
— Tu ne dis plus rien ?
— …
— Pourquoi n’avons-nous ni nom, ni visage, ni rien qui nous distingue de ce magma blanchâtre qui nous entoure ?
— Parce que nous ne sommes pas nés. Nous ne sommes qu’êtres en puissance !
— Tu n’es pas drôle du tout !
— Allons nous désaltérer, Pénélope.
— Attention. Blanc sur rouge, rien ne bouge, mais rouge sur blanc, tout fout le camp !
Tous deux seront finalement blanchis des accusations de blanchiment d’argent qui pesaient sur eux. »
« Les Blancs » sont-ils un roman crypté ?
Leur parution à titre posthume suggère que leur auteur aurait eu maille à partir avec la justice, qu’il aurait parsemé son récit d’indices prouvant sa culpabilité dans un crime de lèse-majesté. Dans la mise à mort revendiquée d’un certain type de littérature.
On admirera toutefois la pureté du style.
Sans concession !
Philippe Sarr
Le mur
Sous la pierre oblongue l’eau ruisselle
Mais de ses trésors nous ne voyons rien d’autre
Que la substance amère et froide
D’un songe phalanstère d’ivoire vide et creux
Un inconnu :
— Comment, ça dé-pense ?
L’antipersonnage :
— Lâchez-moi !
Du vide et de la matière grasse
Les interrogations de Philippe Sarr, pour métaphysiques qu’elles soient, ne s’affranchissent jamais des préoccupations matérielles. C’est ce qui fait l’originalité de son œuvre : il ne dissocie pas.
C’est « qui suis-je ? », « où vais-je ? », mais en même temps « est-ce qu’il reste un truc à bouffer dans ce putain de frigo ? ».
« Les Blancs » représentent aussi bien le vide insondable que le papier fait de fibres cellulosiques où sont figés les mots. Bref, l’auteur distingue mal le monde qui l’entoure, comme nous tous, mais il le voit « comme un morceau de gruyère » (Relire attentivement « Comme un trou noir ».
Du vide, de la matière grasse ; quoi d’autre, ici-bas ?
Une bouteille de vin sous la main quand on a de la chance. (Pour bien jauger l’importance du vin dans l’œuvre, relire les analyses du deuxième épisode.)
Pas de trou noir, dans « Les Blancs », mais le trou du temps. C’est idem. Le même motif du vide aspirant.
Un des personnages masculins du roman – Blancbonnet ou Bonnetblanc, on ne sait plus bien, à ce stade du récit –, encore très amoureux de celle qui, il y a un moment déjà, l’a quitté après dix années de fièvre et de passion, ne parvient pas à oublier Pénélope dans le trou du temps, lui pour qui il avait été à l’époque si facile, au contraire, d’oublier le temps…
On a beaucoup glosé sur ce bouleversant « Pénélope », dont le personnage interpelle l’autre, qui se tient face à lui et à qui, ne sachant la nommer, il donne désespéré le nom du fantôme qui le hante.
Réminiscence d’Homère ?
Simple coïncidence ?
Volonté de tenter sa chance en misant sur un prénom statistiquement fréquent ? (« Combien de Pénélope passeront illico […] », disait déjà la chanson).
Il n’y a pas de hasard. Le texte le crie de bout en bout. Entre les lignes. Entre les blancs. Celui-là ne reverra jamais sa Pénélope, de la même façon que le roman n’en aura jamais fini d’être tissé.
Jérôme Pitriol
De l’autre coté du mur
— Mes blancs valent vos blancs, disait-il.
— A qui ?
— Aux blancs.
Les Conflidenses de Phixi
Si j’en crois les journaux, mais permettez-moi d’en douter, ladite molécule, était aussi utilisée comme régénérateur des tissus érectiles.
Les Anticonflidenses de Phixioneur
— Circons-pet !
L’enquêteur : — Pétomane qui plus est ! Stade anal… Tout pour plaire quoi. Votre génome parlera pour vous !
Le Pont des Sarr
Je relis à nouveau « Les Blancs » et me mets à douter pour la première fois de mon interprétation. Je repense aux multiples analyses que j’en ai tirées et ne m’en satisfais plus. Tout n’est au bout du compte que vacuité. L’œuvre est incomplète. Je le sens. Il y a dès le départ quelque chose qui coince. Un grain de sable dans la mécanique. Un caillou dans la chaussure. C’est inconfortable. Comme une envie d’être, sans la possibilité de se voir. De se toucher. Serait-ce le titre ?
Mes idées fusent sans se rejoindre. Mon besoin de logique remplit les vides laissés par l’auteur sans vraiment les combler. Je n’ose. Peut-être, se situe-t-elle là, la réponse. Un livre de plus de 700 pages, publié de surcroît par une prestigieuse maison, ne peut être que passionnant. Précieux. Indiscutable. Intouchable… Il en impose !
Erreur !
Nous avons en nous quantité de sentiments abandonnés, inclassables, des sortes d’orphelins de la conscience, des laissés-pour-compte du système cognitif, des restes de mental, des gueules cassées de nos incessants conflits intérieurs. Alors, la voilà l’idée du magicien, du multiple, du généreux, et ce sera ma conclusion :
L’écrivain nous invite à prendre les blancs de ses « Les Blancs » pour des « cases d’accueil », afin de venir y déposer, à découvert, sans plus se cacher, nos pupilles de la raison. Soyons-en sûrs, son esprit industrieux et mutin saura les occuper.
Finis les nids-de-poule, les ornières, les fossés infranchissables. De nos mots adoptés, il bâtira, d’où qu’il se trouve, des routes carrossables, des chemins empierrés, des passerelles. Mieux, des ponts.
Tout est plus clair à présent. Vous la voyez la Seine ?
Quel plus bel ouvrage que celui du Pont des Sarr !
Pardon, du Pont des Arts.
Serge Cazenave-Sarkis
De l’autre côté du mur
— Pas plus que les cols blancs.
— Tant mieux !
— Oui. A présent, regardons devant nous !
— Un œil derrière, quand même…
Les Conflidenses de Phixi :
Batty disait-il vrai ?
Non.
Les Anticonflidenses de Phixioneur
— Je vous haie !
L’enquêteur : — Ne maltraitez pas notre langue, je vous prie.
Del ’autre côté du mur apocryphe(attribué à Herman Melville [1])
Voyez l’ours blanc des pôles et le requin blanc des tropiques ; d’où vient l’horreur qu’ils inspirent, sinon de la lisse et floconneuse blancheur de leur robe ?
Courant de conscience
Quand j’ai vu que Les Cahiers de l’Hydre de Lerneconsacraient leur deuxième numéro aux « Blancs » de ce finaud, je me suis dit : Ah, enfin on va peut-être y voir plus clair.
« Les Blancs, » dont la majeure partie est uniquement écrite sous la forme du monologue intérieur, désarçonne et réclame une concentration maximale.
D’emblée, un problème se pose : qui parle ?
En effet notre auteur nous branche en quelque sorte sur le cerveau d’un personnage, mais il omet de préciser lequel.
Est-ce Bonnetblanc ?
Est-ce Blancbonnet ?
Ou encore plus audacieux est-ce le personnagePhilippe Sarr ?
Je vais être audacieuse et vous répondre : les trois.
Le flux de conscience, technique littéraire qui cherche à décrire le point de vue cognitif d’un individu en donnant l’équivalent écrit du processus de pensée, est ici utilisé à plein.
L’écrivain n’a pas peur de bégayer. Et c’est même ce bégaiement qui, en définitive, fait son style.
Pauvres lecteurs ?
Non, car quelque chose en nous, en notre lecture, nous permet d’y voir très clair et cette chose, c’est précisément le Blanc de Phixi et Phixioneur.
Ce Blancse caractérise par des sauts associatifs (et parfois dissociatifs) dans la syntaxe et la ponctuation, c’est pourquoi le monologue intérieur doit être distingué du monologue dramatique, où, comme ici, le locuteur s’adresse à un public.
Dans le courant de conscience, les processus de pensée du locuteur sont le plus souvent décrits comme entendus (ou adressés à soi-même) ; il s’agit principalement d’un outil de fiction.
Extrait :
« Éburnée était une fois de plus en tenue d’Ève. Autour d’elle, le désert de Gobi crachotait sa poussière mortelle.
— Tu le paieras Blancbonnet, cria-t-elle comme une damnée de l’enfer, tes os blanchiront au soleil !
Mais notre héros n’en avait cure, il suivait sa pensée comme celle d’un gourou. »
Les personnages des « Blancs » bafouillent, radotent, pérorent et se perdent en mille éclats de voix pour notre plus grand plaisir.
Lou Salomé
De l’autre côté du mur
— Tu as senti le vent tourner ?
— Je n’en sais rien !
— Gros bêta, va…
Les Conflidenses de Phixi
Ou bien était-ce moi que l’on accusait d’avoir assassiné le Tsar ?…
Les Anticonflidenses de Phixioneur
— Lapin !
L’enquêteur : — Assassin !
Parallélisme de dingue
Et là l’apothéose!
Du grand Tsar ! De l’excellentissime Tsar !
Quelle belle famille que celle des Romanov et celle des écrivains.
Que de liens se tissent entre eux. Que de clins-d’yeux, de poussées du coude, de cadeaux.
Extrait :
« Blancbonnet était si bête qu’il n’arrivait pas à articuler son propre nom.
Tout le monde se gaussait de sa stupidité.
Son frère, par contre, se sentait rabaissé et lui en voulait.
— Un petit blanc ? lui proposa Charbonnier »
Et oui, revoici les codes d’accès.
Ces codes perdus au fond des abysses et qui réapparaissent dans ce roman.
L’auteur nous souhaitait surpris, troublés, émus ?
Je suis pour ma part le cul par terre et je sanglote devant tant de beauté.
Un seul mot :
Écrit en blanc pour le petit clin d’œil.
Minily & Souris
De l’autre côté du mur
— Nous jouirons. Puis, nous périrons.
— Il en sera ainsi !
Les Conflidenses de Phixi
Personne ne connaîtra jamais le nom de cette molécule puisqu’elle est désormais interdite.
Éburnée Hurt
Mystérieuse, plastique et filiforme, Éburnée Hurt, un des rares personnages féminins sortis de l’imagination de cet écrivain, nous fascine comme une tigresse sanctifiée par l’amour.
Non, décidément, elle n’est vraiment pas comme les autres femmes.
Elle semble entièrement faite de pâte à modeler.
Mais justement, de qui est-elle le modèle ?
Nous suivons sa courbe spacieuse, son intransigeance vis-à-vis des standards masculins, son ascendant redoutable sur Blancbonnet, sa con-descendance visqueuse envers Bonnetblanc (si tant est qu’ils puissent toujours être considérés comme leshéros du livre) mais surtout, surtout son éblouissement, son ensorcellement de notre bon Philippe Sarr, en tant que personnage. Philippe, qui tourne seul, comme une star de cinéma, le film « Ulysse » de Fritz Lang [2].
Après ce deuxième Cahier, notre romancier n’a plus ou prou de secrets pour nous. Il nous l’a prouvé, c’est un diablotin farceur, un lutin démoniaque, un des sept nains.
Éburnée est un peu sa Blanche-Neige.
Quel est, en fin de compte, son rôle exact ?
Dissipatrice ?
Traîtresse à la solde de Charbonnier (salisseur de mémoire à la Francis Blanche [3]) ?
Empêcheuse de blanchir tranquillement en rond ?
Nous ne pourrons pas la cerner, la classer, la définir autrement que par son prénom ravissant.
Georgie de Saint-Maur
De l’autre côté du mur
Circulez, y’a rien à boire !
Les Conflidenses de Phixi
Les maisons blanches de Lanzarote n’ont donc pas fini de faire parler d’elles !
Le questionnaire de Louise Berg (suite)
Comment envisagez-vous la relation entre vous et vos lecteurs ?
Que souhaitez-vous que vos textes leur fassent ?
C’est une question que je ne me pose pas.
Qu’ils puissent passer un bon moment et se sentir surpris, troublés, émus, c’est déjà énorme, passer par ces nuances de blancs que ce roman « sphérique » (écrire c’est sortir de soi pour retourner à soi en passant par l’Autre), comme l’a si bien supposé Jérôme Pitriol dans sa première analyse, suggère.
Je n’ai pas pour ambition de changer le monde, de le rendre meilleur ou pire que ce qu’il est déjà.
« Ouvrez les yeux », serais-je tenté de dire à mes lecteurs.
Ou « fermez-les », et laissez-vous glisser jusqu’au vertige le long des pentes enneigées et sucrées du Carmel du haut desquelles la vue est magnifique !
Et offrez-vous une bonne peur blanche !
Oui, Lou Salomé, je suis un cascadeur.
A passenger…
Ce que nous savons
« Les Blancs » sont un roman à trous. Ils sont un révélateur. Celui de nos nuits éternelles. De l’opacité du monde où nous vivons. On peut penser que tout a été dit sur eux. Pas du tout. L’encre continue de couler. Durant notre sommeil. Mais, au réveil, plus rien ne persiste. C’est le sang et le sens même de ce cahier : résonner en nous comme un songe.
Le songe de nos nuits blanches…
[2]Cinéma dans le cinéma, « Ulysse » est le film fictif que tourne Frtiz Lang (lui-même acteur pour l’occasion), dans le film de Jean-Luc Godard : « Le Mépris ».
[3]Voir la scène mythique de la cuisine, réunissant Lino Ventura, Bernard Blier, Jean Lefèvre et Francis Blanche dans le film « Les Tontons flingueurs »