La folie des glandeurs

Le Temps est mon pire allié

« Jorch était regretteux, mais il devait la vérité à son ami.

— Ton prénom contient une promesse impossible, René.

Jamais la nature ne refait le même individu. »

L’école des jours, 1972.

Trop facile de détester Néron, universellement désigné comme un tyran impitoyable et dégénéré.

Les fidèles au dieu Chronos sentaient intuitivement que l’empereur était leur ennemi et qu’Il fallait détruire son mythe.

Comme on brûle des livres dans un autodafé.

Il n’est pas question de désobéir à la loi du Temps.

Il a fallu des siècles pour tenter de nous y adapter, comprendre les saisons, prévoir les crues ou les récoltes.

Elle permet de fragmenter la vie en instants prévisibles, pour les rendre bénéfiques ou favorables.

Néron avait une vision personnelle de l’équité.

En se prétendant le gardien de la loi, il devenait essentiel, voire provocateur.

Comme l’arbre et la semence.

Néron menait une action désintéressée.

Sa Domus Aurea[1] prouve que ses adversaires n’étaient ni les peuples ni l’amélioration de leur sort, mais les débats.

La jurisprudence peut faire évoluer la loi, mais c’est surtout son interprétation qui est déterminante.

Seuls, nous aurons uniquement le statut d’objecteurs.

Les insinuations de Néron dénoncent a minima que le temps ouvre une injustice.

En tant que solitaires nous n’en sommes que les témoins.

Un mouvement collectif engendrerait un rapport de force que le Temps criminaliserait et condamnerait.

Tant qu’il y aura un culte des horaires, il nous faudra y introduire une non-collaboration.

Néron connait assurément la superfluité d’Ozymandias[2] et les morceaux éparpillés de sa statue.

Il a conscience que les sommets et les abysses se rejoignent pour former le sol uni et plat.

Il propose donc de vivre dans un monde idéal, c’est-à-dire un monde d’idées.

Sans quoi, ce sera la guerre de tous contre tous.

« Si le monde n’a pas de sens, rien ne nous empêche de lui en donner un. » (Lewis Carroll)

Tout a commencé lorsque nous avons ouvert les yeux et se terminera lorsque nous les aurons fermés.

Nous ne verrons rien d’autre.

Parmi les options qui s’offrent à nous coexistent : chercher à obtenir un bonheur qui correspond à nos critères, ou adapter notre conception du bonheur aux circonstances.

En fin de compte, peut-être que lire mes textes pourrait se comparer à une vache qui regarde passer un train.

Elle broute et ne pense à rien.

Que soudain elle s’interroge sur la destination du train ne change absolument rien à la situation.

Sauf qu’elle n’est plus la même vache.

Mieux vaudra garder intelligemment, à ce sujet, un silence entendu et visiter le monument de la commémoration de la paix avant qu’il ne soit détruit.

Voilà cet article prend fin.

Mais, auparavant, eu égard à vos très nombreux messages personnels et aux commentaires abondants que la Folie précédente a suscités, je dois vous avouer que l’intérêt que vous portez à mes écrits m’a beaucoup touché.

C’est donc ému que je vous dis sincèrement : merci.

Une fois encore, nous nous quitterons gaiement en chansons, avec Fais-moi une place de la douce et défunte Françoise :

— Fais-moi une place ici, maintenant,

Car le temps passe à pas de géant.

À bientôt.

Prenez soin de vous.

Georgie de Saint-Maur 

[1] Avec son marbre, son ivoire et ses murs en feuilles d’or, le palais de la Domus Aurea était un complexe de 80 hectares et plus de 150 salles. Il constituait le palais le plus spectaculaire et le plus onéreux de Rome. Depuis le Forum, il disposait d’une entrée impressionnante avec des colonnades et, en son temps, une statue de Néron lui-même d’une hauteur de 35 mètres.

[2] Ozymandias représente une transcription en grec d’une partie de la titulature royale de Ramsès II, Ousir-Maât-Rê, notamment évoquée dans le cadre d’une étude sur Auguste Caquet et les isonègres.

8 réflexions sur “Le Temps est mon pire allié

  • Benoît

    Pile au moment où je me disais que je ne comprenais pas tout à ce texte philosophique que Georgie assène : “En fin de compte, peut-être que lire mes textes pourrait se comparer à une vache qui regarde passer un train.”
    Et ça c’est fort. Fort de café. Café au lait. Au lait de vache.
    Je rumine autrement à présent, ma panse pense. Plus de pis aller : je retourne lire vos mots, cher Georgie, merci à vous !

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    • Georgie de Saint-Maur

      Merci d’avoir lu, Benoit.
      Et merci d’avoir l’intention de relire.
      Pour le coup de la vache, c’est vrai que j’ai beaucoup hésité.
      Hésité à la laisser, hésité à l’enlever.
      C’est vrai que pour ceux qui ne m’aiment pas, ça peut faire prétentieux.
      Mais bon, un écrivain doit parfois prendre des risques.
      Surtout un écrivain malvoyant qui ne sait même pas lire les livres qu’il écrit.
      Bah ! Je me console en pensant que Beethoven était sourd.
      (Voilà que je me compare à Beethoven à présent. Quelle prétention ! Du pain béni pour mes détracteurs.)

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  • Alain L.

    Défendre Néron, fallait oser !…
    Ceci dit, y a une distance presque philosophique qui rend le texte a la fois énigmatique et intéressant. Quelque chose de Cioran, dans le ton et peut-être dans le fond, puisque Cioran regrette d’être né, ce qui signifie qu’il regrette le temps qui nous est imparti. Bon, tu as deux commentaires, c’est mieux que ce que j’ai d’habitude…

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  • Georgie de Saint-Maur

    Merci d’avoir lu, Alain.
    Et merci aussi d’avoir commenté en augmentant, de la sorte, la portée du texte jusqu’à la cheville de Cioran (excusez du peu).
    Je ne me gargarise pas de commentaires, mais j’aime les lire dans la tiédeur de la nuit, tandis que la chorale des rossignols exécute son répertoire avec brio (avec qui ?).
    A bientôt.

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    • Alain L.

      “Dans la tiédeur de la nuit, tandis que la chorale des rossignols”… Pas souvenance que les rossignols chantent la nuit, mais j’imagine que tu parlais de nos politicailles et autres masturbateurs de micros de milliardaires…
      Tu sais, Cioran, c’était un type comme un autre, jusqu’au moment où on lui a dit qu’il s’appelait Cioran. Et il l’a cru…

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  • Onyme

    J’ai lu avec grand plaisir ce texte à la logique élastique (et parfois un peu vache). J’apprécie ceux qui posent les bonnes questions tout en évitant de les aborder et sans la prétention de connaître les réponses.

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