Le Bestiaire équitable de Jérôme Pitriol

Le Bestiaire équitable : septième épisode

Septièmes analyses

Section 7 : les hominidés

Il est bien connu que presque tous les hominidés ont disparu. Il ne reste aujourd’hui, en passant vite sur une poignée de singes, que deux espèces, qui coexistent difficilement, et cette ultime partie du bestiaire, pour en finir, remettait chacune à sa place, selon son mérite.

La première et la plus nombreuse de ces deux espèces survivantes, Homo sapiens, faisait largement empiéter notre ouvrage sur les domaines de la science et de la philosophie, de l’art et de la vie sociale, tant l’animal se caractérise par une utilisation à plein des capacités de son cerveau, par sa curiosité, sa soif de connaissance, et son désir de vivre en bonne entente avec son semblable.

Pour la seconde espèce, Homo automobilis, ce n’est pas la même histoire. Cette section ne se voyait pas ne pas en faire état. Elle précisait, s’appuyant sur des études scientifiques sérieuses, voire fiables, qu’Homo automobilis, aussi incroyable que cela puisse paraître, partageait plus de 99 % de son code génétique avec son cousin. Incrédules pour l’occasion, nous nous interrogions longuement sur le sujet. Une étude comparative y était conduite, notamment sur les différences morphologiques des deux espèces. Les conclusions qui y étaient apportées étaient d’une rigueur et d’une justesse qui n’ont pas été démenties depuis. 

L’extrait qui suit en sera la parfaite illustration :

« Les membres postérieurs d’Homo automobilis sont légèrement plus courts que ceux d’Homo sapiens. 

Cela lui permet de gagner en sensibilité dans le contact de la pointe du pied avec les pédales de son véhicule. 

Ses membres antérieurs, en revanche, sont plus développés, plus gros que ceux d’Homo sapiens, ce qui lui permet d’exprimer physiquement, de façon claire, son mécontentement à l’individu qui vient de lui érafler sa bagnole. »

Ainsi s’achevait, sur des nuances éminemment subtiles et délicates, la noble mission du « Bestiaire équitable ».

Jérôme Pitriol

Best of

Quelques artistes, aux côtés de Jérôme Vitriol,  surtout des poètes, nous défendirent. 

D’étranges créatures dont les noms sonnaient bizarrement : Serge Casenave-Sarkis, Georgie de Saint Maur, Minily & Souris, Philippe Sarr, pour ne citer qu’eux. 

Et à qui nous comptons bien rendre hommage un jour…

 

Perte

Il m’aurait plu de me fendre d’une dernière analyse, en tout points pacifiste (j’ai pas mal à me faire pardonner), sur le dernier chapitre de cet imbuvable « Bestiaire équitable » (voyez comme il m’est difficile de ne pas être désagréable), mais le hasard, souvent bienfaiteur, en a voulu autrement.

Gloire à lui ! 

J’ai perdu l’ouvrage sans avoir eu le loisir d’en découvrir les dernières pages. 

Où ? 

Je n’en ai aucune idée. 

Dans un claque, une boîte… sur la plage… sous les cocotiers… à moins que, le confondant à un mille feuilles avarié (la crème tourne vite sous ces latitudes !) ou bien encore, un annuaire d’une année écoulée… je ne l’eus bêtement jeté dans une poubelle… 

Qui sait ? 

La canne à sucre est taquine et le rhum agricole espiègle … .

Je me console en l’imaginant brûlant sous un alambic  entouré d’hommes et de femmes  métissés à la superbe sucrée, si loin de ma personne, d’origine Norvégienne, thermafroste à deux boules au parfum « méthanié »…

Inutile donc de vous en faire des tonnes. Pour le peu que j’en sais, l’auteur de cette encyclopédie serait parti dans un délire d’éléments locomoteurs digne de figurer dans le catalogue du feu regretté Manufrance armes et cycles. 

Je quitte là cette série d’analyses, peu courtoise, j’en conviens, et me dirige en ce dernier jour de congés, le cœur cafard, vers l’avion qui, (si les éléments ne se chargent pas prématurément de me recycler), me ramènera à Paris. 

Alea jacta est !

Paris, cannibale de la France.

Serge Cazenave-Sarkis

 

L’Odeur du Bestiaire

— La mouche drosophile est réputée partager avec l’homme 70 % de son code génétique. Pourquoi dans ce cas ne pas la classer parmi les hominidés ?

— Les scientifiques avancent en général, non sans une certaine hypocrisie, des considérations d’ordre morphologique. En réalité, c’est uniquement par amour-propre.

 

La prophétie du Bestiaire.

L’écrivain, en parfait sol invictus, nous pose un lapin littéraire.

Quid des digitigrades par exemple ?

Et pourquoi les cochons ont-ils la queue en tire-bouchon ?

Et où est, en fin de compte, l’équité revendiquée ?

Sous le pas d’un cheval ?

Ce fabuliste joue à saute-mouton et s’aliène les alinéas. Il brandit sous un tonnerre d’éclairs son « Bestiaire » imbattable et, dans d’irraportables imprécations, prédit à l’humanité qu’elle finira en queue de poisson.

Georgie de Saint-Maur

 

L’Odeur du Bestiaire

— Edgar Poe a-t-il eu l’occasion d’observer les orangs-outans à Bornéo, voire d’aller vivre parmi eux quelque temps, avant d’écrire son célèbre « Double Assassinat » ?

— C’est peu probable. Aucune ligne aérienne n’existait alors entre la côte est des États-Unis et les confins de l’Océanie, et les transports par voies terrestre et maritime étaient longs et coûteux. On peut raisonnablement penser qu’il fit essentiellement appel à son imagination, d’autant qu’internet n’existait pas non plus.

 

Last but not least

Le dernier épisode du « Bestiaire » nous étourdit. 

Ce corollaire d’Homo automobilis sur le comportement d’Homo Sapiens est révélateur d’une société qui part en nouilles. La surpuissance d’Homo automobilis laisse présager que d’ici quelques dizaines d’années, Homo Sapiens aura soit évolué et développé un tarin en forme de masque à oxygène ou aura disparu ! 

Un de mes collègues disait à tout qui voulait l’entendre :

« Connais-tu ma philosophie de vie ?

   Je chante la vie, je danse la vie, je ris la vie et blablabla et blablabla »

Tout qui l’écoutait tombait, bien évidemment, endormi, le nez dans son verre de vin blanc frais. 

Tiens ça me donne l’idée que j’en boirais bien un p’tit.

Mais tout cela nous détourne du « Bestiaire » et de son dernier épisode. 

Oui, la vue de Pitriol sur l’avenir de Homo Sapiens était négative… 

L’avenir lui a-t-il donné raison ? 

Homo Sapiens a-t-il disparu ? 

Eh bien, Pitriol, à l’instar des calendriers mayas, s’était trompeté. 

Homo Sapiens est bien là et continue à participer à La Voix et à mettre des petits hashtags en commentaires de superbes émissions de téléréalité sur … eux-mêmes.

Merveilleux, non ?

Minily & Souris

 

L’Odeur du Bestiaire

— Le paresseux fait-il partie des hominidés ?

— Feignant comme il est, franchement, cela n’aurait rien d’étonnant.

 

Homo artificialis

Jérôme Pitriol achève son « Bestiaire équitable » de manière bien étrange. En convoquant homo sapiens et homo automobilis, deux espèces au demeurant pas si cousines que ça, bien qu’étant toutes deux issues de la même branche. 

En organisant ainsi son « Bestiaire », l’auteur donne l’impression de placer ces dernières au sommet de la pyramide. Comme s’il estimait qu’elles étaient une forme d’aboutissement dans l’évolution des espèces. Mais il omet (volontairement sans doute) d’y mentionner homo artificialis. Autrement dit les hommes-robots, les androïdes (si bien décrits et mis en scène par un certain Philip K.Dick), les transhumains, mais aussi les intelligences dites artificielles ! 

Alors, me direz-vous, « et Dieu dans tout ça ? », 

Celui que Darwin, dans son « Origines des espèces » relègue comme une vieille peau de chamois au fond du jardin ? 

Peut-être que notre homme, lui aussi, rêva, lorsqu’il rédigea l’ultime partie de son merveilleux bestiaire, de « moutons électriques ».  

Car, après tout, que savons-nous de nous-mêmes et de cette humanité à laquelle nous prétendons appartenir ? 

A-t-elle un avenir, et si oui lequel ? 

La question est posée…

Philippe Sarr

 

L’Odeur du Bestiaire

— Quel est l’avenir d’Homo sapiens ?

— That’s the question.

 

Le questionnaire de Louise Berg (suite)

Comment envisagez-vous la relation entre vous et vos lecteurs ? 

Que souhaitez-vous que vos textes leur fassent ?

Disons que je fais le premier pas. 

Timide comme je suis, c’est déjà beaucoup. Mes textes doivent communiquer une énergie. C’est un transfert. Il peut y avoir des pertes, je ne garantis pas l’isolation. Je suis le producteur et le fournisseur, mais le transformateur, puis l’utilisateur, c’est le lecteur.

 

Ce que nous savons

On voit ici Serge Cazenave-Sarkis rédiger une dernière critique indolente, mais toujours aussi brillante, en vacances sous un soleil tropical et inspirant, qui tendrait à laisser penser qu’il parvint à faire chanter l’auteur du « Bestiaire » comme celui-ci avait fait chanter les emplumés de la section 3 du livre. 

Georgie de Saint-Maur, tout aussi remarquable de style, se révèle aussi plus insatisfait, et conclut sa série d’analyses par une liste de questions laissées sans réponse. 

Minily & Souris, elle, se fait plus clairvoyante que jamais, si c’est possible, et concède finalement un pessimisme non résigné assez proche de celui de Pitriol, qui lui donne la force de revenir encore régulièrement du pays des elfes. 

Quant à Philippe Sarr, avec l’écriture incisive et argumentée qu’on lui connaît, il repose (après l’un de ses éminents collègues) la question fondamentale de l’ordre de la lecture des sections du bestiaire.

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