L’Attrape-mouche de Vénus
Oui, j’ai utilisé le mot « attrape-mouche » là où il suffisait d’écrire « piège » mais c’est en référence au fameux Venus flytrap[1].
Avec tous ces bruits de bottes de radis qui martèlent les médias, se pose la question : pourquoi des soldats se sacrifieraient-ils pour moi ?
Ils le feront pour leur femme, leurs enfants, leurs parents… mais pourquoi le feraient-ils pour moi ?
Les soldats n’aiment pas spécialement les artistes qui ne sont pas à leur service[2]. Ils envient quelquefois leur talent ou leur notoriété, mais jamais l’individu.
Mais commençons par rendre à César les quatre tiers qui lui appartiennent[3] :
En confessant l’incroyable séduction qu’exercent sur elle les gendarmes et les militaires, en m’expliquant que les voir défiler a sur elle le même attrait que celui ressenti par un homme lorsqu’il feuillette un magazine de charme, mon ex-femme a inféré que des individus tels que moi, étaient par trop éloignés d’une virilité qu’elle envisageait comme protectrice.
L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle faisait déjà partie des répliques de Camille Lalande[4].
Rusée, adroite, calculatrice et efficace, la gent féminine obéit à la déesse Vénus.
Bien entendu, cela a fortement entamé mon capital romantique, mais, dans un même temps, cela m’a beaucoup éclairé.
En tant que jeune témoin soixante-huitard, je n’avais pas très bien compris l’impératif (respectif mais mondial) de protéger sa population.
À cette époque, je croyais encore aux vertus de ma vision, somme toute poétique. Sensible certes, mais malheureusement étriquée.
Et ma révolte estudiantine prenait naturellement pour cible les forces de l’ordre et contestait les budgets attribués aux militaires.
Alors que maintenant, comme l’ennemi nous a clairement désignés, quelle ironie de devoir récupérer les pavés de notre jeunesse, lancés dans la gueule des C.R.S.[5], pour ériger, avec eux, les barricades qui serviront à nous défendre.
Et puis, est-ce que tout cela veut dire que les soldats ne sont pas romantiques ? Pas forcément.
Or donc, cette place marginale, que j’occupe par le créneau de ma philosophie à trois francs cinquante, n’est ni envisageable ni conciliable avec les exigences premières du clan ou de la tribu.
Évidemment, à l’instar du roi Loth d’Orcanie[6], je pourrais clamer mon désir de ne pas y participer. Mais l’isolement logique qui s’ensuivrait serait-il vraiment salutaire ?
Héros ou saint caché ? Ce sont les deux voies qui s’offrent à l’asocial.
Voyons l’héroïsme : les êtres délicats sont souvent pacifiques.
Ce pacifisme ne correspond absolument pas aux traditions élémentaires soumises à la survie.
Pour que des gens comme moi puissent exister, il faut nécessairement évoluer dans les superstructures d’une civilisation.
Un point pour l’ermite.
Mais alors comment expliquer la vision romantique qu’un homme peut avoir de la femme ?
Voilà une bonne question !
Une autre question propre à la surpasser pourrait être : comment ai-je pu aimer un être humain ?
Mais bon, là mon cas relèverait de la psychiatrie.
Avant l’internement, développons, voulez-vous ? On ne parle pas de la guerre, mais de mon divorce quand même.
La fin du 18ème siècle et le début du 19ème semblaient vouloir revenir à la sensibilité[7].
Le roman inféode donc ses lecteurs à des idéaux.
Mais sans doute ces derniers ne concernent-ils que des âmes qui, du mieux possible, concordent avec la vision romantique de la vie.
Les femmes vont rire de moi, mais même si, par nature, elles sont désobéissantes, elles cèdent parfois à des circonstances impérieuses ignorées des mâles.
Friand de risques et de néologismes, j’invoquerai chez elles l’existence d’une capacité de réactions orthopsychédéliques[8].
Une disposition naturelle qui leur permettrait un large choix d’appréhension de la vie. Un éventail qui pourrait s’étendre, par exemple, du monde barbare au monde civilisé.
Vénus n’a que faire des circonstances (bonnes ou mauvaises), seule compte la procréation. Et celle-ci passe par l’amour, son domaine de prédilection.
De même que Mars, le dieu de la guerre, ne vise qu’à l’extermination des autres « moi » par une compétition salutaire à la race.
C’est extrêmement démotivant, mais c’est comme ça. Les dieux ne sont pas des humains.
Mais, avant toute chose, et bien que cela mette en évidence ma naïveté, parlons de ce qui m’avait bizarrement échappé.
La mère est en danger.
Oh, entendons-nous bien, nous sommes tous en danger. L’humanité vit dans la menace permanente générée par les autres humains et par l’hostilité naturelle de la planète.
Mais chez la mère, la responsabilité redouble le péril.
Et la force de cet élément, même si le père peut la concevoir, il n’en prend peut-être jamais pleinement conscience.
Il est vraisemblablement condamné, par la projection défendable de son ressenti, à une illusion utile de la permanence des sentiments de sa compagne.
Voilà de quoi faire rire aux éclats un zombie.
Alors, comment peut-on croire à l’amour ? Enfin je veux dire : à la définition romantique de l’amour ?
Eh bien, tout simplement par nos lectures. Par notre culture musicale, théâtrale, cinématographique.
Par notre désir de faire mieux que la réalité.
Vous n’êtes pas obligés de me croire, mais vous conviendrez avec moi qu’une vie romantique est attirante. Et ce pour les deux sexes, je vous assure.
Mais dans le couple, l’homme, se riant des clichés comme un corbeau perd son fromage (et contrairement à la femme), ne peut (ou ne veut) faire qu’une seule chose à la fois.
Là où celle-ci s’adaptera aux changements éventuels (le passage du romantisme au réalisme par exemple), lui ne le fera pas.
Et c’est là que le piège se refermera !
Comme dans les amours singulières d’une mante religieuse, la vie va éliminer le romantisme.
Lentement, par la routine, par des reproches… ou brutalement par la ruine vésuvienne du projet matrimonial ou par la chute de l’Empire romain.
(Arriverai-je à parler un peu de Néron ? Les paris sont ouverts.)
Fort heureusement, le romantisme est incurable.
Un semblant de pragmatisme peut lui tenir la dragée haute un court instant, mais il ne sera pas un élément de stabilité suffisant.
Le naturel qui nous constitue reviendra, comme la marée sur le Pas-du-malin[9], à la vitesse d’un cheval au galop.
La seule issue sera probablement de rencontrer une compagne qui souffre du même mal.
Nous allons donc devoir reparler du hasard et des morceaux de chance.
En tout cas, aujourd’hui, nous nous quitterons avec Now and then[10].
J’ai été surpris par la technologie qui a permis aux deux survivants des Beatles de l’enregistrer. Je ne pensais pas voir ça de mon vivant.
(Voilà ce qu’il me faudrait pour nettoyer mes K7 de 1974 où je chante mes chansons, accompagné au piano par Michel.)
En soi, je concède qu’une étincelle de résurrection n’est pas fondamentalement intéressante.
Mais la vie est si brève que tout ce qui peut la prolonger est admissible. Dans l’océan du naufrage, nous nous raccrocherons instinctivement à tout ce qui flotte.
♫ I known it’s true,
It’s all because of you.
And if I make it through,
Sincèrement merci pour vos like, pour votre attention, pour vos interventions dans l’espace « commentaires », pour vos messages sur Messenger et, bien entendu, pour vos abonnements.
Georgie de Saint-Maur
[1] Venus flytrap est une plante carnivore, sans doute la plus connue et la plus emblématique. Son mécanisme de capture est suffisamment rapide que pour nous faire douter de la bêtise des plantes.
[2] Les artistes qui peignent le visage ou la maison de leurs clients.
[3] Dans Marius, le film de Marcel Pagnol, le limonadier César énumère les quatre tiers qui constituent la fameuse recette du Picon-citron-curaçao.
[4] Camille Lalande, incarnée au cinéma par Agnès Jaoui, est un des personnages du film d’Alain Resnais On connait la chanson (1997), qui s’extasie devant le défilé de la Garde républicaine à cheval.
[5] Les Compagnies Républicaines de Sécurité (C.R.S.) ont été fondées par un décret du 8 décembre 1944, pour succéder aux groupes mobiles de réserve créés par le régime de Vichy.
[6] Le roi Loth d’Orcanie, brillamment interprété par François Rollin, est un des personnages récurrents de la série télévisée humoristique et du film Kaamelott, réalisés par Alexandre Astier.
[7] Lamartine, Hugo ou encore Rousseau ont nourri le romantisme dans sa recherche spirituelle du sublime.
[8] « Orthopsychédélique » pourrait signifier une réponse psychique adaptée à chaque circonstance. À ne pas confondre avec le « polypsychisme » qui, lui, fait correspondre à chaque centre nerveux un centre psychique.
[9] Evoqué dans l’album de bande dessinée de Maurice Tillieux La Voiture immergée (1960), le Pas-du-malin est un chemin submersible, fait de pierres, qui, à marée basse, mène à la tour du Joyeux Chevalier.
[10] Now and then est un morceau recomposé à partir d‘une démo du défunt John Lennon, dont un programme d’intelligence artificielle a réussi à isoler la voix. Malgré son apparente simplicité, sa parfaite traduction n’est pas garantie, car il en existe plusieurs versions acceptables.
[11] (Vraiment + ou-)
Je sais, c’est vrai,
Vous êtes la cause de tout.
Et si j’y arrive,
C’est grâce à vous.
Bonjour,
Imaginez un instant ce que peut penser de cela toute la cohorte des LGBTQIAPN+.
On est pris d’un vertige spiralicoïdal, par la moustache de Dali !
Bien à vous
Merci d’avoir pris le temps de me lire, Marguerite.
J’ai vu deux lapins et peut-être un lévrier, le sens de ce texte n’est pas résumé par ces animaux à quatre pattes et deux oreilles, mais moi je n’ai vu que cela et je vous assure que l’état de mon cerveau en ce moment ne me permet pas plus je pense que c’est bien.
Oui, des lapins… Pâques approche.
Merci de m’avoir lu, Patricia.
Et merci d’avoir laissé un commentaire.
On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre disait ma mère. En fait, je n’ai jamais su d’où provenait cette expression qui me semble un peu louche. Qui irait mettre du vinaigre dans l’espoir d’attraper des mouches. En parlant de mouche, les Hommes n’en ont ils pas une au plafond? Je fais référence à vos mots si justes : « Oh, entendons-nous bien, nous sommes tous en danger. L’humanité vit dans la menace permanente générée par les autres humains et par l’hostilité naturelle de la planète. » En ce qui concerne les rapports de séduction et d’amour entre les hommes et les femmes, je pense que nous baignons chacun dans les nuages vaporeux de nos attentes, de nos projections, de nos manques, de nos rêves et espoirs que nous projetons sur l’Autre. Nous l’idéalisons, le façonnons et en finalité, nous nous aimons à travers lui. Mais est ce ça l’Amour ? Peut-être pourrions-nous le nommer l’attrape-miel car bien trop souvent nous nous engluons et ne savons plus qui nous avons en face de nous.
« L’Attrape-mouche de Vénus » vous a plu.
Voilà qui fait bien plaisir.
Difficile de pronostiquer si mes recherches consacrées aux « Excentriques volontaires » rencontreront le même succès.
Merci pour ce commentaire.
Mon cher Georgie, au vu de ma petite expérience, je te dirais, l’amour entre un homme et une femme est un malentendu qui peut parfois durer.
Mais de nos temps, c’est extrêmement rare.
L’amour est surtout un travail, mine de rien au fil des ans et c’est souvent cette négligence là qui l’étiole peu à peu, inéluctablement.
On pense bien sûr que tout est acquis quasi définitivement (on est tellement extraordinaire et tellement « inoubliable », si formidablement unique) mais évidemment jamais.
Mais quand la communication n’est plus à la hauteur, ça devient d’une fois très fatigant, c’est l’usure qui guette et si un des deux se dégonfle en dépit d’un ultime sursis avant l’autre, this is the end, my only friend…
Bref, en amour, c’est le premier des deux qui quitte le navire en perdition qui est sauvé.
J’en suis convaincu.
Dans chaque couple existe un Robinson Crusoé en puissance.
Mais aussi un cannibale.