ECS : Exponential Conviction Syndrome
Première partie
Cachés dans les nuages, nos parents défunts nous protègent.
Cette idée nous rassure et notre cerveau les conçoit fatalement bienveillants, puisqu’ils sont l’origine de notre présence sur terre.
Mais leur bonté est vraisemblablement un fantôme.
Ça ne veut pas dire qu’elle n’existe pas, mais combien de temps cette mémoire vivante durera-t-elle ? Une génération ? Deux ? Trois ?
À part ceux qu’on nous a racontés, avons-nous de vrais souvenirs de nos arrière-grands-parents ?
On a presque tout dit à propos des dieux et de l’espoir qu’ils suscitent.
Je mets le pluriel par respect pour le monde antique (mais peut-être forment–ils un singleton ? Ou ont-ils fondé une association sans but lucratif ?).
La plus belle citation les concernant est probablement celle de Hermann Hesse à propos de leur rire éternel.
Le livre des coïncidences de Flammarion m’avait déjà mis la puce à l’oreille, mais je commence sérieusement à penser qu’il y a quelqu’un qui s’amuse avec nous.
Beaucoup de signes qui plaident pour un hasard malicieux affluent dans notre vie, mais sommes-nous assez perspicaces pour les interpréter ?
On dirait bien que l’intelligence des créatures doit correspondre à la place qu’elles occupent dans le monde.
Un ver de terre intelligent, par exemple, n’acceptera pas ses conditions d’existence.
Difficilement en tout cas.
Il voudra fatalement un mieux ; un plus ; un cheval.
De la même façon, la subordination se concevra uniquement lorsque nous aurons besoin de nos semblables (ce qui arrive toujours).
Car sinon, théoriquement, aucun individu n’est au-dessus ou au-dessous d’un autre.
Bon, dans un premier temps, la force physique aura tôt fait de résoudre cette question et de remettre nos églises à l’heure.
Puis viendra la dépendance logique (que ce soit au travail ou pour la réalisation d’un projet).
Le contentement est, avant tout, un bonheur modeste.
D’où ces textes.
Ce mouvement d’empathie et de respect de l’autre peut étonner lorsqu’il émane de quelqu’un d’aussi individualiste que moi.
Mais il s’explique : l’individu seul n’a, bien souvent, aucune chance ; l’égocentrisme est donc, non seulement une aberration mais aussi un suicide à retardement.
Toutefois la beauté artistique d’un tel choix réside précisément dans son absurdité.
Une absurdité qui fait un pied-de-nez à celle de la vie.
Pourquoi pas ?
Bien entendu, une telle option sera sanctionnée.
Aucune abeille, par exemple ne quitte la ruche pour tenter une carrière en free-lance.
Est-ce qu’en écrivant cela je veux comparer l’être humain aux insectes ?
Non, pas forcément.
Le sacrifice (ou tout du moins la subordination) de l’individu à la communauté se retrouve ailleurs que chez les apidés.
C’est un procédé tactique de survie qui a fait ses preuves.
Il est forcément mis en pratique lors d’une guerre, par exemple, où chaque membre de la société devient subitement soldat.
Ça m’arrache la gueule, mais l’individualisme est un combat perdu d’avance.
Non seulement l’individu, en lui-même, est insignifiant, mais, même dans des milieux égotistes, rares sont les « moi » qui intéressent les autres « moi ».
Il nous est même difficile de comprendre l’obstination de certains à vouloir rester asociaux.
Cela provient, selon John Culard[1], d’une entorse mentale mieux connue sous les initiales ECS, que j’ai maladroitement traduites par : Syndrome Exponentiel de Conviction.
Mais un mot n’est pas l’autre, et lorsque j’ai évoqué la certitude au carré, j’ai induit en erreur presque tous les Liégeois (le Carré étant, dans leur ville, le nom donné au quartier des bistrots et des sorties nocturnes).
De même lorsque j’ai parlé de croyance au cube, j’ai reçu des félicitations de tous les aficionados de Braque et de Picasso.
C’est pourquoi je préfère m’expliquer un peu plus tard.
Voilà, ainsi s’achèvera donc la première partie de cette nouvelle folie ; mais prenons déjà rendez-vous pour l’épisode suivant.
Aujourd’hui, nous allons nous quitter en compagnie de Claude, dont le sillon neuf tourne comme un astre sous un saphir :
— Dansez sur moi, dansez sur moi,
Ma voix vous montre la voie.
Que la vie soit feu d’artifice
Et la mort un feu de paille.
Merci pour vos like, pour vos messages personnels et vos interventions dans l’espace réservé aux commentaires.
À bientôt.
Georgie de Saint-Maur
[1] John Culard (de son vrai nom Jean Culard) est un artiste français à qui l’on attribue notamment la paternité du Subréalisme, c’est-à-dire l’ensemble des théories qui ne modifient pas le monde visible.
joli texte, plus profond qu’il n’y parait peut-être. Si je comprends bien, l’individualisme, ok, mais seulement empathie…
Cher Onyme,
merci d’avoir pris le temps de lire et d’avoir commenté ce texte.
Toute cette société (la seule que je connaisse, disons « occidentale ») a réussi , grâce à la propagande, la publicité, le « soft power », aujourd’hui le « nunge »(?) a flatter l’individualisme de chacun, alimenter son cerveau reptilien pour mieux le ramener dans un collectif consumériste et moutonnier d’où toute solidarité est absente. Un coup de maître. Voilà mon avis, cher Georgie.
P.S; l’avantage du ver de terre, c’est qu’il ne fera pas de méningite.
Cher Jean-Luc,
merci d’avoir lu et de commenté ce texte.
Je suis heureux de vous voir évoquer le cerveau reptilien, car il dansera bientôt au son de la flute du charmeur de serments (voir « La Mour anartiste »).
Et, tant que j’en suis à faire des citations, je crois utile de recommander ici la lecture de votre livre étonnant : « Les Texticules du diable » paru aux éditions Cactus Inébranlable.
Je vous cite : « Ça ne veut pas dire qu’elle n’existe pas, mais combien de temps cette mémoire vivante durera-t-elle ? Une génération ? Deux ? Trois ? » . Elle durera le temps que le noms de nos chers défunts sera prononcé, qu’une bougie sera allumée en leur mémoire, qu’un souvenir sera évoqué, qu’une phrase, un tic langagier, un comportement sera repris lors d’une conversation ou dans la rédaction d’un texte. Aujourd’hui est un jour particulier… c’est pourquoi, il était important pour moi d’honorer la mémoire de nos proches. Qu’importe le temps où cette mémoire durera, l’important est qu’elle soit dans nos cœurs et qu’elle nous aide à aborder la vie en confiance. Merci pour votre excellent texte qui vient toucher votre lecteur dans son essence vitale.
C’était une croyance de l’Égypte antique :
« – Nous vivrons tant que l’on prononcera notre nom. »
Certaines stèles funéraires imploraient le passant de prononcer ne fut-ce qu’une fois le nom du défunt :
« – O toi qui passe, prononce encore etc… »
Mais c’est vrai, mesurer le temps du souvenir n’est pas la chose importante (si tant est qu’il y en ait une).
Ce qui compte c’est qu’il fasse partie de la vie de ceux qui se souviennent.
Aujourd’hui c’est le jour de l’anniversaire de mon père.
Je pense à lui.
Oufti quel texte! , dit la Liégeoise que je suis…reconnaissante de votre connaissance du Carré!
Texte truffé de profondeurs digressantes, de références et de sincérité, j’aime!
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire et d’écrire ce commentaire, Chantal.
Et bien content que ça vous ait plu.
Au risque de copier oufti ! D’emblée, je crie haut et fort : je suis individualiste, puis je modère par ces quelques mots : le peu qui se dit, doit se dire avec empathie et sympathie. Nous sommes quand même des êtres de communication.
Merci pour ce texte qui permet d’échanger avec empathie.
Merci d’avoir pris le temps de lire ce texte et de l’avoir commenté, Anne-Marie.
Content qu’il vous ait plu.
Je ne sais plus qui a dit ( mais en fait c’est peut-être moi) que nous avons tous en nous un petit cimetière rempli par les personnes que nous avons aimées, et je rajoute des animaux et quelquefois je pense à tout ce qui a vécu , les personnes que je n’ai pas connues mais qui ont existé sans moi. J’ai toujours en tête cette photo d’un poilu de la guerre de 14, il est avec ses camarades, au premier plan, il sourit et me regarde et je lui souhaite bonne chance à lui et aux autres, et si je regarde trop cette photo je pleure. Je ne sais pas si ce commentaire est adéquat, merci et à bientôt.
Mes yeux se sont embués aussi.
Bien évidemment, il n’avait pratiquement aucune chance, nous le savons.
Et c’est de le savoir et de lui en souhaiter qui nous émeut.
Les anges, pour être heureux, doivent être aveugles et sourds.
Dans la seconde partie de E.C.S., il y a des passages qui rejoignent étonnamment votre poignant commentaire, Patou.
Merci d’avoir lu.