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Capital, l’ouvrage

Ce n’est pas le Chapelier Fou qui me contredira, nous entrons dans une nouvelle ère de l’errance réciproque qui, d’après les spécialistes, nous mène au tournant d’une ligne droite tracée sur une courbe plate comme la littérature française ! Pour sûr, la conjoncture actuelle est très ancienne : la plainte déploie ses ailes, chacun y va de la sienne, trébuchant sur des cadavres oxycodions et d’atomiques champignons. D’après les experts, le monde ne s’est jamais aussi mal porté : le Pire s’empire, le Mal étend son territoire et brouille les cartes, la paranoïa est la nouvelle norme, le jour d’après a commencé, le carbone grignote le monde et la jeunesse se meurt en sniffant des lignes de code sur le DarkNet. Au milieu de cet enfer de câbles entremêlés, une voix s’élève… un lanceur d’alerte nous exhorte à nous méfier du vermifuge moralisateur, le ver serait dans la pomme du langage et ce depuis que le monde est monde et d’après elle, pour toujours. Ce n’est pas sans mal que nous avons pu rencontrer Rachel Adalbald, auteur de Capitule, mirage ! aux éditions BOZON2X. Et pour cause, elle vit recluse dans l’ambassade du Komikstan depuis la publication de son livre, entourée en permanence par deux gardes du corps luxembourgeois bodybuildés et anorexiques. Quand nous arrivons sur place, je l’aperçois : elle nettoie ses lunettes avec la veste de l’un, assise sur le dos de l’autre. C’est ainsi, une tarte aux pommes à la main et un verre de Champagne dans l’autre, qu’elle nous reçoit, caressant avec distinction sa coupe de cheveux à la Naruto. On me fouille pendant que je réfléchis à mes questions. L’auteur me regarde droit dans les yeux. Je tripote le petit papier dans ma poche avec des questions brouillonnes. Voilà, on me laisse entrer.

  • Venez… venez, Monsieur D’annibabal, n’ayez pas peur, approchez…

Le deuxième garde du corps se met à quatre pattes pour que je puisse m’asseoir.

  • Ne soyez pas gêné Mr Danny Bâal… Ainsi sont les mœurs du Komikstan… Vous vous habituerez… Vous vouliez donc parler de mon livre ? Une petite question : vous ne craignez pas les représailles ?
  • Je devrais… ?
  • Bah écoutez… comme vous pouvez le voir, fini de rire… le monde est morne… l’humour est un crime… si vous ne pensez pas que tout va mal… vous êtes un dissident… un lanceur d’alerte à l’envers !
  • Justement… Passons à votre livre…
  • Entendu…
  • Je dois vous dire que je n’ai rien compris… C’est un livre sur l’amitié ?
  • Bingo… Vodka et Grenadine… Tarte aux pommes et l’Esprit-Banane… l’amitié est un cocktail… une association… j’ai essayé de la raconter à travers un langage anonyme… d’avatar en avatar… c’est un cocktail commenté par des gens qui cherchent un ami… ceux qui trouvent, ceux qui cherchent… c’est structurel du rhizome humain…
  • Le rhizome humain ? Via Deleuze ?
  • Et Guatari…
  • Psychiatrie… ?
  • Oui… le rhizome… c’est la structure de mon livre… c’est donc inextricable, aussi inextricable que le réseau de langage qui nous lie et nous sépare… que ça passe par un câble, un serveur ou une quiche aux poireaux…
  • C’est filandreux le poireau… non ?
  • Oui, justement, filandreux comme des lignes de code qui tombent en lambeaux sur des cartes-mère rouillées… l’amitié aussi ça rouille… ça dérouille… j’ai essayé de dire la solitude du Gourou Dingo et l’existence comme méticuleuse application à se notifier à l’autre à tout prix… en transparence ou en apparence… avidement… mais toujours, d’une génération l’autre… par le langage, dans le langage… sous toutes ses formes…
  • Vous ne croyez pas au concept de « fossé générationnel » ?
  • Le fossé est un concept creux…
  • Mais encore…
  • Regardez comment le Pr. Cardamone voit les choses : « Le triangle du Chaos est un motif récurrent qu’il ne faut pas opposer à l’esprit Banane. » C’est très profond…
  • Expliquez-nous ces belles inepties…
  • C’est très simple…

Notre auteur mystérieux siffle comme si elle appelait un chien… un silence sur la partition et là… dans l’atmosphère de l’ambassade du Komikstan, une vague de tiédeur lascive s’empare de l’ambiance et un léger bruit de frottement se fait entendre… des tonnes de chips de crevettes commencent à pleuvoir et tous les fonctionnaires du Komikstan semblent pliés le genoux et applaudir l’arrivée d’un Dieu vivant… le bruit se fait plus proche… on dirait le bruit d’un œuf qui roulerait à grande vitesse sur du marbre…

  • Exactement Mr D’annunzio… vous pensez juste : voilà l’œuf divin… le fils du Cul de Poule Kosmique… Humpty-Dumpty… lui-même…

Toute l’ambassade lui baise les pieds… pendant que je me rends compte qu’on lit dans mes pensées. Et timidement… je dis bonjour…

  • Bonjour L’œuf…
  • Je viens au secours de votre sottise blindée…
  • L’auteur n’est pas toujours le mieux placé pour comprendre sa propre création… voilà pourquoi j’ai sifflé L’œuf savant qui sait tout sur le plein et le vide… Humpty cheri… peux-tu expliquer à ce vieux coco le sens de la phrase du Pr. Cardamone… il feint de ne pas comprendre…
  • Alors voilà… c’est très simple. Reprenons : il s’agit là de la fameuse controverse d’Anvers entre Descartes et Spinoza, sur la dialectique entre « le triangle du Chaos » et « l’Esprit Banane ». Le chaos est un motif pictural, littéraire, maçonnique mais aussi un concept de physique einsteinienne… la métrique de l’espace-temps est basée sur la dialectique entre le chaos et la courbure de la banane droite… dans une forme de dialectique où ce qui tombe vers le bas est repoussé constamment par ce qui tombe vers le haut et ainsi parait immobile… il y a donc un équilibre entre le chaos et le comique bananier… d’ailleurs le mot « Kosmos » n’est-il pas une contraction de Khaos et Komikos en grec ancien pré-dinosorus et signifie que la vitesse de la lumière se moque de nous… en gros : la lumière est le rire de Dieu… quand bien même Dieu n’existe pas, puisque c’est moi qui l’ai inventé pour divertir les graines de moutarde…
  • L’œuf sacré est un psychopathe dégénéré mais il dit vrai… il vient de résumer parfaitement mon livre… j’ai tenté de dire le chant chaotique des avatars… j’ai essayé de me mettre à la place du câble qui porte le code secret du poème, de révéler la beauté du fouillis humains… de dire le comment du comment, de montrer comment par la haine et l’amour qui sont une seule et même chose… les être parlants tentent de guérir la réalité avec des mots, des ruses et des bouts de ficelles…
  • Euh…
  • Ne cherchez pas à comprendre me retorqua l’œuf avec mépris.
  • Que dois-je faire ?
  • Lire et relire ce livre qui est le seul qui dit ce qu’il dit comme il le dit et c’est ainsi que la poésie se reconnait. Lisez ce putain de livre et coupez BlablaTV qui ne parle que du passé en cours et ne dit rien de la réalité présente. Ce livre, par contre, la dit en entier. Respirez n’est pas nécessaire, lire est nécessaire.
  • C’est tout ?
  • Et relire…
  • Encore ?
  • Et re-re-relire…
  • Sans arrêt ?
  • Oui… nous sommes ici pour lire le monde… un point c’est tout.
  • Pour l’interpréter ?
  • Surtout pas malheureux… Lire pour lire… Lire pour se fourrer du langage dans la tête… ni pour comprendre, ni pour interpréter… surtout pas… lire pour dire le rhizome humain… l’écriture n’est qu’une lecture du monde comme une autre… lire pour dire la comédie sans entracte qu’est le monde… lire pour témoigner de l’existence… lire pour semer des petits bouts de soi sur le chemin afin de préparer le fameux retour à soi radical, définitif et tragi-comique qu’on appelle la mort… lire pour mourir donc… lire pour se souvenir… et devenir de bons fantômes.

Sur ces mots étonnants, l’esprit Banane planta dans nos oreilles son rire de feu. Tout le monde s’éloigna de moi en me saluant de manière grotesque. Je pense qu’ils se moquaient de moi. À moins que… je vais donc relire ce livre et tous les autres livres. La chair n’est pas si triste, en plus.

Nunzio d’Annibale

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