Autour d’un hiver : entretien avec Serge Delaive

BOZON2X :  Le processus de création de ton nouveau livre « Autour d’un hiver » est assez singulier. En cela, il nous a touché; il nous est apparu comme un enjeu, un défi que se lancent les artistes qui ont déjà un long parcours et demeurent animés du désir de se renouveler… Pourrais-tu décrire ce processus, dire ce qui l’a motivé ?

Serge Delaive : Ce livre est particulier sur plusieurs plans. Ce qui lui donne une grande importance à mes yeux. Tout d’abord, ce qui y figure n’était pas destiné à former un livre. Car pour la première fois, bien que j’aie déjà réalisé des livres dans lesquels la photo avait de l’importance, il était avant tout destiné à être un photo book comme on dit. Résultat hasardeux d’un long hiver, d’un sale hiver, celui de 2020-2021. Avec un ami, photographe, nous nous étions fixés comme but une promenade hebdomadaire, histoire d’échapper à ce qui nous oppressait. Lui ne photographiait pas, en panne d’inspiration. Moi, je n’écrivais pas, en panne longue d’inspiration et désir. Durant ces promenades, je me suis mis à capturer des images, un peu par hasard, avec mon mauvais téléphone, puis avec un petit réflex. L’hiver passé, j’ai regardé l’ensemble, je l’ai trouvé très cohérent, tant sur le plan esthétique – tous ces gris – que sur ce que les images disaient de cet hiver merdique. Je l’ai proposé, je vous l’ai proposé. A germé l’idée de l’accompagner de textes. Je les ai donc écrits a posteriori, vite, comme des vignettes qui illustraient une autre facette de cet hiver, en évitant de commenter ou de paraphraser les images. Et en suivant ce processus, lié à la suite des événements et à la rencontre avec Bozon2x, envies partagées, le livre est né.

BOZON2X : Il y a dans ton écriture quelque chose de concis, de direct et de réflexif qui donne à ta poésie une couleur entre chaud et froid, entre le cru et le subtil, quelque chose qui surprend, renvoie à la réalité sa complexité, les sentiments paradoxaux qu’elle suscite en toi, en nous… En ce sens, cet hiver 2020 n’était-il pas une occasion particulière de déployer cette ambivalence entre ombres et lumières ?

Serge Delaive  : Oui, totalement. Pour la première fois, j’ai eu le sentiment que ce livre s’imposait à moi plutôt que de la faire naître d’un ensemble de réflexions, de désirs, de souhaits esthétiques. Ce serait un livre inconscient, et on sait tout ce que ce concept inclut. Et comme tu le notes, l’hiver a été un point de condensation externe plutôt qu’interne à une part importante de mon écriture, y compris dans les photos, cette recherche de l’ombre dans la lumière, de lumière dans l’ombre, la frange des limites.

BOZON2X :  Ton travail photographique, par la douceur de ses gris, rend à la nature et aux paysages urbains la texture qu’ils ont parfois dans nos souvenirs, dans nos rêves, ce brouillard que le temps dépose sur eux. On dirait que la nature a blêmi et que la ville a gagné en douceur… Quel était ton désir en faisant ce choix esthétique  ?

Serge Delaive : Il s’est imposé à moi. Pour être bref, j’ai pensé que la souffrance subie tout au long de ces longs mois était plus visible et dicible dans les tons ternes que dans les noirs et blancs plus habituels, contrastés, avec des noirs profonds. Il est à noter que ces photos n’ont subi aucun traitement de postproduction, hormis deux ou trois images passées de la couleur au noir et blanc.

BOZON2X : Qu’est-ce que disent les images que les mots ne parviennent pas à dire ?

Serge Delaive : Ici, images et mots sont complémentaires. Je ne pense pas qu’elles disent autre chose. Je pense qu’elles dialoguent sur d’autres plans avec le lecteur, la lectrice. Les mots parlent à l’intellect, à la raison ; les images ont un rapport plus direct avec les émotions. J’espère que les unes et les autres sont complémentaires dans ce livre. Les mots n’illustrent pas les images, les photos n’illustrent pas les mots. Assemblés, ils forment un ensemble et cet ensemble constitue le propos.   

BOZON2X : S’il en est un, quel est le livre qui a fait basculer ta vie ?

Serge Delaive : Il n’y en a pas un seul et unique. Ils sont nombreux, il y aurait ma petite galaxie intime et évolutive. Alors disons ce livre de la collection Marabout au titre oublié qu’enfant j’avais recopié de la première à la dernière ligne. J’avais écrit un livre, ça intégrait le champ du possible, même lointain. Il restait à trouver des choses à dire…. La poésie a joué très tôt un rôle essentiel. Parce qu’elle vivait autour de moi par les biais de mes parents, mécènes de l’Atelier de l’Agneau, et parce que j’en ai beaucoup lu dès l’adolescence, celle qui se construisait à cette époque comme les classiques antiques et, bien sûr, Rimbaud. Un adolescent.

BOZON2X : Quel est ton dernier coup de cœur littéraire ? 

Serge Delaive : Depuis quelques années, dans le genre romanesque, j’ai développé une passion pour Don DeLillo. Mais beaucoup d’autres livres, recueils, essais, romans, m’ont marqué ces derniers temps. Beaucoup. Dont soixante-neuf selfies flous de Karel Logist.

BOZON2X : Tu publies depuis une trentaine d’années des ouvrages de genres différents (récit, poésie, roman…) quel regard portes-tu sur le monde de l’édition ?

Serge Delaive : Mon regard est biaisé. Parce que je me suis éloigné. Bien trop éloigné, au point de disparaître des radars. Je suis admiratif de celles et ceux qui se battent pour faire exister des livres au sein de petites structures, et davantage encore quand il s’agit de livres « hors cadres ». Et je sais leurs difficultés à se frayer un chemin vers les lecteurs potentiels. 

BOZON2X : Si tu n’avais qu’un mot à dire lequel choisirais-tu ?

Serge Delaive : Merci.


Autour d’un hiver
Serge Delaive
121 pages
ISBN : 978-2-931067-09-3
20 euros
À paraître le 24/11/2021