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Tripalium Paradis : entretien avec Arnaud Guéguen

« Le roman est un art bâtard que peuvent s’approprier les inadaptés et les insatisfaits du quotidien. »

Drôle, caustique, lucide, la plume d’Arnaud Guéguen ébrèche notre époque et le monde grand-guignolesque du travail avec une jubilation contagieuse. Tripalium Paradis nous plonge dans la cervelle d’un guitariste déjanté dont la furie n’a d’égale que son désir de vivre libre entre amour et musique. À l’occasion de la publication, ce 21 mars, de Tripalium Paradis, nous avions envie de vous faire rencontrer l’homme, le musicien, le lecteur… 

Bozon2x éditions : Tripalium Paradis est-il ton premier roman ?

Arnaud : Mon premier roman publié. J’en ai écrit plusieurs auparavant. 5 ou 6. Le premier entre 19 et 22 ans. « Paradis pour paumés ». Déjà le paradis. Une tentative très maladroite. Mais pas mal de thématiques de Tripalium y figuraient déjà : le travail en tant qu’asservissement, la recherche d’un refuge à travers la création. Bref, l’opposition entre la « machine sociale » et l’idéal.

Bz2x : D’où le titre Tripalium paradis qui respire l’oxymore à plein nez, c’est une opposition très dynamique, un coup d’étincelle.

Arnaud : Oui, même si le paradis en question fait aussi référence à un phare. Le tripalium revêt également une certaine ambiguïté. C’est à la fois l’emploi, la souffrance et l’activité productive (voire créative).

Bz2x : Justement, l’art du roman est aussi l’art de l’ambiguïté. À ce propos, j’aimerais savoir comment la forme romanesque s’est imposée à toi ? Que t’a-t-elle permis que ne t’auraient permis, par exemple, la poésie ou la nouvelle ?

Arnaud : L’ambiguïté est précisément ce qui manquait à mes premières tentatives. Quant au roman… Je pense que cette forme permet d’allier le sensible et le réflexion, mais sans la lourdeur idéologique de l’essai. Un romancier capte les choses plus qu’il ne les analyse (ou, du moins, le fait-il a posteriori). De ce point de vue, le romancier se situe entre le poète, le voyant et le savant. Le roman est un art bâtard que peuvent s’approprier les inadaptés et les insatisfaits du quotidien.

Bz2x : Ton (anti)héros, Valérien Béton, est musicien, et l’on dirait que les différentes quêtes qui l’animent sont autant de lignes mélodiques qui s’entrecroisent et se superposent : reconquérir le cœur de sa nana, faire l’acquisition d’un phare, vivre de sa vie d’artiste quoi qu’il en coûte…

Arnaud : Effectivement, la structure se fonde sur des méthodes de composition : thèmes, variations, points d’orgue, changements de tempos, etc. Mais une grande place est laissée à l’improvisation à l’intérieur du cadre thématique et des grandes lignes de l’intrigue. Par ailleurs, mes techniques de contrepoints se situent à des années-lumière de la science musicale académique. Ce qui laisse place à un dilettantisme de bon aloi (car en phase avec le côté foufou du héros).

Arnaud Guéguen

Bz2x : Par ailleurs ton roman évite le réalisme sociologique et ce notamment par le ton résolument burlesque qu’il emploie.

Arnaud : Oui, j’ai beaucoup de respect pour Zola, mais j’ai du mal à supporter ses grands chevaux ! Pour ma part, je me contente de redessiner des « folies ordinaire(s) » (pour reprendre un titre de Bukowski). Mais j’exagère à peine, je crée un concentré de ce que j’ai pu observer dans le monde du travail, que ce soit dans la grande distribution, l’industrie, l’administration, etc. Évidemment, tout cela entre dans un cadre romanesque, il existe donc une vision, mais celle-ci relève plus d’une peinture vaguement tordue par le regard que d’une thèse stricto sensu.

Bz2x : Les références musicales de Valérien, son rejet viscéral et comique des « machins-phones», donnent un peu l’impression que l’héros est comme parachuté dans une époque qui n’est pas la sienne… Né trop tôt ? Trop tard ?

Arnaud : C’est un héros inactuel (ou intempestif). Sa chance et son drame tiennent à son recul. Il a lu plus d’auteurs morts que vivants, il puise ses inspirations musicales dans diverses époques et, de fait, il n’a aucune raison de trouver son époque supérieure aux précédentes. Mais il n’est pas né trop tard, car il est à parier qu’il aurait également trouvé pas mal de choses à redire s’il était né en 1960, en 1440 ou en 200 avant J.C…

Bz2x : Est-ce qu’il t’arrive de penser au devenir de Valérien et Kléa ?

Arnaud : Le roman se termine de façon douce-amère. Peut-être devrais-je me pencher sur la suite. Je ne suis pas un grand optimiste, mais je pense qu’ils sont assez intelligents pour éviter les écueils les plus caricaturaux de la vie conjugale. On peut leur souhaiter d’avoir trouvé la bonne distance entre eux (et donc de n’attendre pas de miracle de leur relation tout en mettant en place un dispositif pas trop aliénant).

Bz2x : Tu parlais de Bukowski toute à l’heure. Y a-t-il des auteurs français qui t’inspirent ou t’ont inspiré ?

Arnaud : Entre vingt et trente ans, j’avais mon Top Ten. Dans la liste on pouvait trouver les deux génies français du vingtième siècle : Céline et Proust. Mais ces deux-là sont trop monstrueux pour être de vraies influences. Plus à hauteur d’homme, je citerais Djian dont il m’est arrivé de décortiquer la science romanesque. Je trouve sa démarche honnête et pertinente. Il représente surtout le pont entre la France et l’Amérique, ou disons entre Céline et Kerouac.

Bz2x : Que penses-tu de la manière dont le cinéma influe sur la création romanesque ?

Arnaud : C’est plus généralement l’audiovisuel qui a redessiné les cartes neuronales des écrivains et de leurs lecteurs. Je n’en connais pas les conséquences exactes, mais je ne pense pas qu’à long terme nous allions vers plus de contemplation, de capacité d’abstraction et de concentration. Mais il s’agit là d’une vulgaire opinion déterminée par mon tempérament. 

Bz2x : Côté roman, tu travailles déjà sur autre chose ?

Arnaud : Oui, je travaille sur un roman de science-fiction. Je crains qu’il s’agisse d’une chose très bizarre, voire monstrueuse. L’un des thèmes est la mise en conformité des individus par une société se voulant bienveillante.

Bz2x : Avant de se quitter : la meilleure et la pire chose que tu aurais à dire de ton pays natal, la Bretagne ?

Arnaud : Ce pays n’est ni pire ni meilleur qu’un autre. J’aime son climat pluvieux et je déteste le caractère figé de sa culture.

Bz2x : Merci Arnaud !

Découvrez les premières pages de Tripalium Paradis :

TRIPALIUM PARADIS
Arnaud Guégen
292 pages
20 euros
ISBN : 978-2-9601645-7-2
Date de parution : 21/03/2019
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