La folie des glandeurs

L’éternel détour

— Georgie de Saint-Maur, Vous avez refusé de jouer dans le film To Rome with lovede Woody Allen.
— Oui, c’est vrai.
— Et vous avez également décliné un rôle important dans Gladiator de Ridley Scott.
— En effet.
— Précédemment, vous aviez déjà refusé de tourner dans La Dolce vita de Federico Fellini ainsi que dans Vacances romaines de William Wyler.
— C’est exact.
— Tout cela faisait suite à votre refus de figurer au générique de Rome ville ouverte de Roberto Rossellini.
— Tout à fait.
— Finalement, on peut dire qu’on vous connait davantage par les rôles que vous n’avez jamais incarnés que par vos réelles interprétations au cinéma. Est-ce que la ville de Rome a quelque chose à voir avec tout ça ?
— Eh bien… avant d’aller plus loin, sachez que, jadis, tous les chemins partaient de Rome.

Eh oui, s’il fallait attendre qu’il ne pleuve plus pour être heureux, les perspectives de bonheur offertes par les Hauts de France et la Belgique ne seraient pas garanties.
Ça m’arrache la gueule, mais chaque fois que je cherche des raisons de vivre, je retombe invariablement sur l’amour.

Un hasard intelligent a voulu que je ne sois pas seul : il y a ma sœur qui, courageusement, écrit avec moi.
Notre destin a fait s’entrecroiser nos pas sur des pages mallarméennes.
Je lui ai suggéré le dictaphone de Dale Cooper dans Twin peaks.

Amour ou climat, nous avons vu que le divorce engendre la méfiance.
Et que celle-ci percute le sentiment de solitude dédaléen que peut ressentir l’individu.
Mais, comme d’habitude, vous l’aviez déjà deviné, amis lecteurs : ma Folieprécédente [[1]] n’était que le prélude à la mise en évidence de ce que l’on appelle communément un paradigme ; c’est-à-dire : une façon de voir.

En un mot comme en cent, nous sommes dorénavant sur nos gardes et ne devons pas esquisser le moindre geste [[2]].

Tiens, en parlant de gestes, ma bande-annonce : « Après le cinéma muet, le cinéma immobile » posait l’impératif de distinguer le vivant animé du vivant inanimé qui, apparemment, est la catégorie la plus répandue dans l’univers.
Mais bon, qui a envie de passer pour un caillou, je vous le demande ?

C’est pourquoi, depuis l’aube des temps, les âmes font un détour face à cette entropie.
Un pas de côté éphémère, puisque toutes les créatures retournent à la poussière.
Mais éternellement répété.

Tout se résume dans le sine qua non « tant que nous bougerons ».
L’esquive éternelle semble transposer sans cesse une option « sans volonté » vers une fonction de volonté.
Quitter l’état natif d’inertie pour lui opposer ses propres figures de danse spécifiques [[3]], autrement dit : passer d’objet à sujet, représente une consommation d’énergie aussi stupéfiante que les 1,21 gigawatts du docteur Emmett Brown [[4]].
Dès lors, retenons surtout que reculs, écarts ou détours sont des mouvements, car c’est ça qui nous intéresse.

Commençons par les hiérarchiser.
À partir de l’ordonnée et de l’abscisse de l’inanimé, nous essaierons d’établir leur gradation.

– Une pierre, par exemple roule, ou parfois tombe.
Mais il ne s’agit pas, semble-t-il, d’une volonté de sa part.
La plupart du temps (avouons-le sans haine) elle ne bouge pas.

La définition est très imparfaite, mais peut-être, pour plus de facilité, pourrions-nous envisager qu’il s’agit là de l’état protozoaire de la matière.
Nous allons, dès lors, choisir le minéral comme degré zéro de l’activité consciente.

– Sortir du néant ? Refuser la cendre ?
Un pareil zigzag implique fatalement des superstructures qui nécessiteront une justification morale (la Terre tourne, oui ! mais est-ce bien ou est-ce mal ?).
Mais nous verrons que l’action choisit toujours la ligne de moindre résistance et n’a que faire de nos interrogations.
Une preuve potentielle pourrait, bien évidemment, légitimer un tel crochet par la nécessité biotique de quitter l’option du rien.
Et que, dans un temps dont nous ne mesurons pas l’extension, le Big bang pourrait être une dilatation qui reviendrait à son état d’origine.
Conséquemment, on pourrait avancer, sans forcément passer pour un gugusse, que c’est une pulsation.
Premier niveau.

– Les plantes, quant à elles, sont attachées à la terre, c’est vrai, mais elles peuvent néanmoins former des rhizomes.
De surcroît,  lorsqu’on les filme en accéléré, on les voit nettement bouger.
Le végétal est donc animé, lui aussi, bien qu’il nous semble immobile.
Pour les plantes, chacun de nos pas est un arrachement au sol, et vécu comme une sorte de miracle.

Deuxième niveau.

– Certains animaux ne sont pas paresseux, mais incroyablement lents.
Quand il y a trop d’individus par rapport au nombre de feuilles, les ays préfèrent se laisser tomber du haut de leur arbre dans la rivière qui les emmènera ailleurs.
C’est la traduction d’un incroyable optimisme par rapport aux risques encourus.
Troisième niveau.

– D’autres bestioles sont programmées pour détecter le moindre déplacement.
Un oiseau qui vient de voir le coup d’œil (pourtant ultra-rapide) qu’a risqué un chat à l’affut.
Par conséquent, on peut faire des ajustements par rapport à la vitesse des mouvements.
Nous sommes donc en présence d’un éventail : vitesse ou économie face à l’inattendu.
Plus nous allons vite, plus nous économisons du temps.
À ceci près que la vitesse n’est pas un vecteur de quiétude, pas plus qu’elle n’est pérenne, et que la tortue lui oppose sa longévité.
Quatrième niveau.

– La plupart des êtres vivants (et notamment les enfants en très bas-âge) ne disposent pas de la capacité d’avoir un recul par rapport à leur vie, ils sont dans l’immédiateté.
Ils répondent à tous les stimuli qui viennent menacer leur instinct de conservation.
C’est une implication tout à fait nécessaire.

Il faut, pour bénéficier de cette étonnante capacité de recul, une situation où on est définitivement placé hors de danger, et où tous les besoins primaires ont été satisfaits ou résolus.
Même sans crime, rien ne nous distingue plus de l’inerte que le mobile.
Et pour tous ces pauvres gens qui ont choisi l’éternel détour, il ne restera que l’option m’as-tu vu [[5]].

Zut ! j’ai complètement oublié où j’en étais dans la numérotation des différents niveaux et dans l’ordonnance des stratégies du mouvement confronté au destin antibiotique.
Mais qu’importe, puisque le but final de la P.S.F. c’est que tout s’arrange.

Par exemple, on peut dire que, pour moi, tout a réellement commencé lorsqu’enfant, j’ai découvert, sous le sapin, une petite panoplie de psychanalyste.
Maintenant, je conçois que mes recherches sont extrêmement chiantes et découragent tout le monde.
Oui, mais ce n’est pas parce qu’il nous est inaccessible qu’il faut sous-estimer le bonheur des imbéciles.

À présent que j’ai bien nivelé tous les astuces du vivant et que (tel Maquet) j’ai introduit, d’un geste auguste, l’option m’as-tu vu, j’entends déjà les commérages :
— Pour qui se prend-il ? Il se croit plus malin que les autres ?
— Même pas fichu de tourner un film !

Car, si la réponse simpliste d’un dieu imaginé par les autres ne nous convient pas, alors la mienne sera simple, elle aussi, mais au superlatif :
— Quand on l’attaque, l’empirisme contre-attaque !

Comme formulé précédemment, tous les états du minéral semblent être l’expression cosmique (différente du vide) la plus courante.
Dès le début, la vie a entamé une perpétuelle partie de cache-cache avec le néant.

Alors mettons en marche les essuie-glaces de l’aventure et validons-nous par ce constat sans appel de phares : coincés dans un embouteillage, il n’y a que notre téléphone qui restera mobile.
Et actons, de façon définitive, que les plantes carnivores ne deviendront jamais végan.

Rien n’existe en dehors de ce que nous croyons qui existe ; car nous sommes, jusqu’à preuve du contraire, les seuls résonateurs-transformateurs du système solaire.

Bon sang de bonsoir, comme cet article devient compliqué !
Je crois que je vais m’arrêter ici.
Après tout, bouger ou ne pas bouger, les lecteurs n’y verront que du feu.
Et, un jour, nous en rirons ensemble.

De même que la chanson The wall, du groupe Pink Floyd, représente un espoir pour toute l’industrie du bâtiment, de même nous nous quitterons gaiement avec Il était une fermière, une adorable ronde qui résume bien notre propos :

Trois pas en avant,

Trois pas en arrière.

Trois pas sur le côté,

Trois pas de l’autre côté.

— Aucun doute, Majesté, nous sommes en enfer !
Constatait, en 1525, Will Sommers, le bouffon d’Henri VIII.

Réceptif aux suggestions du courrier des lecteurs, je vous annonce prochainement sur votre écran et toujours aussi drôle : Le diamètre de l’ipsikiff, ou l’obligation intrinsèque pour un humain de concevoir de l’intérêt pour lui-même et pour ses semblables.

En attendant ce jour, merci de me lire.
Merci pour vos commentaires, pour vos suggestions et vos retours de lecture surMessenger ainsi que pour vos abonnements.

Content de vous savoir vivants.

Georgie de Saint-Maur

[1] L’Aporie d’Ulysse.

[2] Cette réplique de Louis, dans l’album Georges et Louis racontent de Daniel Goossens, prend tout son sens dans la solitude que peut ressentir l’individu ultramoderne.

[3] « Spécifique » est employé ici dans son sens premier.

[4] Le docteur Emmett Brown, incarné par Christopher Lloyd, est l’inventeur d’une machine à voyager dans le temps dans le film Back to the Future, réalisé en 1985 par Robert Zemeckis.

[5] L’option « m’as-tu vu » sera abordée en détails, dans une prochaine Folie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *