Le Diamètre de l’Ipsikiff
Première partie : l’Ipsikiff
Vous avez lu l’histoire de Robin des bois.
Comment il vécut, comment il est mort…
Ça vous a plu, pas vrai ? Vous en demandez encore ?
Eh bien, écoutez comment il a troué la pomme placée sur la tête de son fils…
Euh, non… Attendez…
Ça y est, amis lecteurs, je suis redevenu marrant !
Oui, oui, j’ai bien reçu, dans mon courrier, vos menaces de mort et de castration qui contrastaient avec les vives félicitations de mes confrères psychanalystes.
Mais je tiens, d’emblée de jeu, à rassurer tout le monde : dans cette rubrique, tout sera désormais clair et lumineux, plus de mots compliqués.
J’userai d’une limpidité méridionopède.
Ça commence bien, me direz-vous.
Mais je m’explique : il y a des gens qui possèdent ce qu’on appelle une boussole méridionopède.
Ça existe et ça touche une personne sur six.
Bien sûr, une telle boussole n’est pas matérielle (le pôle sud n’est pas magnétique).
Mais ces gens ont une tendance naturelle à faire le mauvais choix. À s’égarer.
Dans le cas d’une décision liée à l’orientation, par exemple, ils ont tendance à toujours aller du mauvais côté.
S’ils se rendent compte de ce handicap, il leur arrive de dompter leur orgueil et de pouvoir persuader leur cerveau :
— Ah, je veux prendre à droite, donc je dois prendre à gauche.
Ils disposent alors d’une rose des vents quasi infaillible.
Comme vous le constaterez en lisant cet exemple un peu long, tous les termes utilisés seront immédiatement clarifiés et la définition du mot « Ipsikiff » constituera le cœur même du présent article.
Cette rubrique ne nécessitera plus jamais l’emploi d’un dictionnaire.
Une écriture simple, un vocabulaire accessible et proche de nous.
J’entends déjà la clameur des mercis.
Mais venons-en au fait.
Commençons par le début, poursuivons par le milieu et terminons par la fin.
C’est quoi l’Ipsikiff ?
Il s’agit d’une pulsion préhistorique qui nous oblige à croire que nous sommes importants.
Une inhérence qui nous impose un devoir : nous occuper de notre espèce et de sa condition.
Et, par conséquent : penser que ce que nous faisons sert à quelque chose.
Prenons un exemple, ce sera beaucoup plus facile à comprendre :
Des fourmis vont chercher de la nourriture, bon, à part le fait qu’elles se mettent en danger en quittant la fourmilière, ça n’a aucune importance pour la plupart des autres animaux (les vaches dans les prés, les lions dans la savane, les poissons dans la mer).
Non, ça n’a une importance immédiate que pour les fourmis.
O.K. Jusque-là, ça va.
Maintenant, imaginons que ça n’ait pas (ou plus) d’importance pour les fourmis… on pourrait dire alors que ce ne seraient peut-être plus tout à fait des fourmis.
Toutes les espèces sont de facto assujetties à une prédilection ipsikiff.
Tout comme le naufragé perpétuel d’une Folie précédente, opposait au monde la force de son inertie, c’est-à-dire une force qui (bien contrôlée) est très puissante, la conception Ipsikiff objecte au réel une idée multicouches, multi-actes, dont les éléments composites n’ont parfois que très peu de liens communs.
Sauf la nécessité de s’admirer !
Se préoccuper, de manière exagérée, de son aspect physique est parfois considéré comme superficiel.
J’ai parmi mes connaissances une personne qui veut absolument continuer à avoir l’air jeune ou, en tout cas, juvénile.
Moi, quand je la vois, je trouve qu’elle ressemble de plus en plus à la momie de Ramsès II.
Et je pense alors qu’on dit rarement :
— Oh, comme cette momie a l’air jeune !
Alors même que la momie de Ramsès est une des mieux conservées. C’est démotivant
Oui, mais un des rouages ipsikiffiens essentiels est formel : nous devons nous trouver importants.
Aucune créature ne le fera à notre place.
Même interprété comme un signe de vanité, nous avons le devoir imprescriptible de nous intéresser à nous-mêmes.
Si, mentalement ou physiquement, nous y dérogeons, nous induisons un porte-à-faux qui pourrait se solder un jour par un indicible repentir.
Le dieu du temps se contracte et se dilate selon sa volonté.
Il peut nous faire ressentir l’espace de quelques secondes identique à la durée d’une vie entière.
Les regrets endurés alors feront couler des larmes de sang.
C’est de cette manière que Saturne gagne toujours !
Comme vous le voyez, il s’agit d’une dilection fondamentale.
Elle prend pour base cet axiome : la conscience de problèmes, anxiogènes et insolubles à notre niveau, est-elle vraiment une connaissance utile ?
Etant donné la brièveté de la vie, peut-etre vaudrait-il mieux se cantonner dans l’impéritie pour rester serein ?
Pour John Culard [1], aucun de nos actes n’est innocent.
Tous ne visent qu’à notre bonheur.
Qui mieux que lui pouvait traduire les impératifs d el’ipsikiff ?
Mieux comprendre le processus d’anéantissement ? [2]
Tout savoir sur les biocides ?
Notre individualité native est une Pangée [3] qui se fragmente au contact de nos déceptions.
Déçus par l’hostilité du monde ; déçus par notre insignifiance et notre intelligence fatalement nombriliste, nous pouvons sombrer dans le naufrage de la tristesse.
Mais il ne faut pas, nous dit John, car nous avons le devoir d’être heureux !
La cogénération, la localisation géographique, l’appartenance à un groupe, incluent la possibilité de se raccrocher à quelque chose qui, si possible, rassemble.
Mais on tombe alors dans un formatage résolument hypotypique.
Encore plus imprévisibles, puisque nous n’avons ni libre arbitre ni liberté de mouvement, les rencontres dans notre jeunesse sont fondatrices.
Celles de la crèche, celles de l’école, celles de l’armée, façonneront (ou pas) notre volonté d’être un leader d’opinion.
Une entropie démographique commence à agacer les hominidés : trop d’individus !
Et cependant, même si, à nos yeux, la moindre petite mouchette n’a pas la moindre raison plausible de vivre, elle a la volonté de vivre !
Voilà, je pense que nous avons fait un premier tour du sujet.
Il ne me reste plus qu’à élire la traditionnelle chanson finale.
Mais prudence ! Car là encore le désuet nous pend au nez.
Il suffit d’écouter le répertoire de Jean Gabin et de Mistinguett pour s’en convaincre.
Avant le rideau final de sa chanson Le Sud, il y avait Le téléson qui fond.
Dommage que Nino Ferrer se soit suicidé, il aurait pu vivre plus d’un million d’années, et toujours en Patagonie.
Mais bon, un peu grâce au courrier des lecteurs, je choisis Cole Porter :
Birds do it, bees do it,
Even educated fleas do it.
Let’s do it !
Let’s fall in love ! [4]
Merci pour votre fidélité, pour vos messages et vos commentaires.
Merci pour vos abonnements et votre incompréhensible intérêt pour mes écrits.
Rendez-vous pour la seconde partie.
Georgie de Saint-Maur
[1] John Culard (de son vrai nom Jean Culard) est un artiste français, chef de file des Intentionnistes et fondateur du subréalisme [sic].
[2] Le processus d’anéantisselent (voir également entropie peïsithanatique) s’enclenche lorsque l’empreinte écologique est parvenue à saturation.
[3] La théorie de la Pangée est un élément fondamental de la tectonique des plaques : une théorie qui explique la formation des montagnes, des océans et des continents.
[4] (+ ou -) Les oiseaux le font, les abeilles le font,
Même les puces savantes le font.
Faisons-le !
Tombons amoureux !
Bravo !!!!
Merci d’avoir lu, Jac.
Bien content que ça vous ait plu.
Je voudrais revenir sur la phrase : « Et cependant, même si, à nos yeux, la moindre petite mouchette n’a pas la moindre raison plausible de vivre, elle a la volonté de vivre ! »
La mouchette a sa raison plausible de vivre que l’on ne connaît pas. L’homme croit que tout ce qu’il étudie, calcule, découvre, invente, ressent, est la vérité. Mais la Vérité Universelle est autre et nous dépasse, nous ne sommes tous que des ouvriers en apprentissage tout au long de notre vie, même les surdoués, même les savants.
Le bonheur n’est pas continu, c’est l’alégresse d’un moment. Une vie heureuse est forcément parsemée de malheurs, sinon, comment se rendrait-on compte d’un bonheur ?
Les ipsikiffs qui se dénaturent sont des narcissiques pathétiques et ceux-là ne sont pas heureux car être heureux, c’est permettre à son karma de dépasser les peurs et anxiétés physiques.
Nous naviguons tous sur un même navire, croisière tantôt plaisance, tantôt galère
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire, Zaza.
Et merci d’avoir commenté.
Un précision : la pulsion baptisée « Ipsikiff » (se kiffer soi-même en quelque sorte) ne constitue pas un groupe d’humains narcissiques.
En psychanalyse sans frontières, elle est vue comme une inhérence à tous les êtres vivants, quelle que soit leur espèce.
Une obligation de s’aimer soi-même (ou mourir), comme une obligation de respirer, ni souhaitée, ni choisie.
De même, le bonheur n’est peut-être pas le résultat d’une comparaison, et les moments de malheur ne le font pas forcément surgir du néant.
Dès lors, on peut avancer qu’ils ne sont peut-être pas ce qui le circonscrit ou le définit.
Envisager, ou non, qu’il y ait un karma est une décision personnelle.
Je me garderai bien d’émettre une opinion tranchante à ce sujet.
Mais je ne vois vraiment pas en quoi figurer parmi les espèces vivantes (être soumis la condition « ipsikiff », donc) pourrait nuire à cette croyance ?
Car même, s’il ne semble pas y avoir de mode d’emploi à une vie qui se déroule solipsiste et linéaire, il ne semble pas y avoir davantage de répétition générale avant une hypothétique représentation de la pièce où nous imaginons tenir le rôle principal.
Pas plus qu’il n’existe un apprentissage utile qui pourrait nous servir dans un « plus tard » sans cesse procrastiné.
Toutefois, le nihilisme stoïcien des psychanalystes sans frontières n’a pas pour vocation de démotiver ceux qui pensent le contraire.
Et même si, en général, les P.S.F. ne sont pas des mystiques, leur humour ne cherche pas, envers et contre tout (je le jure sur la tête de mon parrain), à modifier des options analgésiques.
Est il possible qu’un humain qui se kiffe ou se surkiffe résiste ? À quoi me direz vous ? Mais au monde bien entendu. Au monde (incarné il va de soi). Pour ma part, j’ai une tendance naturelle à croire que c’est plutôt notre folie intrinsèque qui nous permet d’avancer dans ce monde insensé. Ou alors chaque être humain possède une boussole méridionopède (c’est-à-dire plus d’une personne sur six), ce qui expliquerait les contresens actuels que seul l’Ipsikiff pourrait contrebalancer.
Et ça c’est une réelle bonne nouvelle.
Réjouissons-nous comme nous nous faisons une fête de lire le prochain épisode.
Merci pour ce commentaire.
Le monde animé est avant tout une compétition sans pitié.
Compétition entre les espèces ; compétition entre les individus d’une même espèce ; élimination des faibles… ça ne nous plait pas forcément, mais c’est le monde tel qu’il se dévoile au naturel.
Alors, seule notre folie permettrait d’aller en contresens ?
Oui, sans doute, puisque seul ce qui est dénommé artificiel (alors même que l’humain est tout à fait naturel) permet de défier cette loi : en sauvant les malades, en aidant les chétifs, les faibles, les handicapés ; en protégeant les veuves et les orphelins d’une mort inéluctable…
Oui seule notre « folie » permet cela.
Encore merci d’avoir lu, Mini.
Nota bene
Il ressort du courrier des lecteurs et de l’espace-commentaires que, malgré des simplifications stylistiques, certaines personnes ne semblent pas tout à fait comprendre ce que j’écris.
Alors, soit j’écris très mal, (ce qui est fort possible mais contredirait plusieurs dizaines de messages élogieux), soit certains lecteurs (comme l’écrivain Dominique M. qui confond mes remerciements avec des reproches) orientent le sens de mes textes en fonction de leur façon de voir le monde (ce qui est tout à fait légitime) ou encore selon un schéma réducteur propice à un jugement.
Même si c’est moi qui en ai trouvé le nom, la fonction « Ipsikiff » est une donnée factuelle, générale, préexistante à l’être humain et indépendante de ce dernier.
C’est une obligation universelle qui va de pair avec la vie.
Si j’en parle c’est pour la mettre en lumière et avoir le plaisir (et la fatuité) de l’ajouter à mes trouvailles [1].
Les animaux s’entredévorent, est-ce bien ou est-ce mal ?
Les fleurs ne sont pas pour nous, mais rien ne nous empêche d’en profiter et de penser que les insectes sont des esthètes.
Voyez-vous, pour une araignée, rien n’est plus beau qu’une araignée.
Et pour une mouchette rien n’est plus intéressant qu’une autre mouchette (je cite beaucoup les mouchettes car je pense que leur éthylisme est empathique).
Comme je vais parler du diamètre dans le seconde partie (et que c’est encore plus compliqué) il me semblait important de faire ces précisions.
[1] Cette mise en lumière rejoint tous mes coups de projecteur sur le syndrome du lièvre de mars ; le naufrage perpétuel ; l’aporie du divorce ; les croisements décisifs ; le syndrome exponentiel de conviction ; etc. etc. qui constituent, en fait, l’essence même de la Psychanalyse Sans Frontières que j’ai inventée de toutes pièces.
J’userai d’une limpidité « méridionopède »: quel nom barbare pour expliquer le fait de poser les pieds au méridien centriste de la France. Cette installation me réserva quelques anathèmes comme par exemple « vous avez un accent psikiffien », vous savez le liégeois, très reconnaissable car le quidam ne prononce pas la fin des mots .