La folie des glandeurs

Exponential Conviction Syndrome : deuxième partie

Peut-être faut-il rendre à Jupiter ce qui appartient à César !?

Avec ses images générées par l’intelligence artificielle, la société moderne handicape tragiquement « je crois à ce que je vois », l’immortelle devise de Saint-Thomas.

Ça aura sûrement des répercussions sur notre façon d’admettre tout ce qui est imperceptible.

Tenez, tentons ensemble l’exercice d’appréhender l’invisible comme on peut aborder l’inodore.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais notre capacité olfactive est relativement peu développée (beaucoup moins que celle d’un chien, par exemple).

Par conséquent, pour pouvoir les déceler, il nous faut souvent des odeurs fortes.

Tout ce qui est par trop subtil sera versé dans la catégorie des fameux « nez » de la parfumerie ou dans l’inodore.

La musique aussi est invisible ; ce sont nos oreilles qui la reconnaissent.

C’est-à-dire un autre de nos sens.

D’aucuns prétendent (sans la moindre preuve, par ailleurs) que tous les hommes ont en commun une faculté subsidiaire qui leur permet de pressentir ce fameux monde invisible.

Sans doute s’agit-il du célébrissime sixième sens ?

Avez-vous déjà remarqué que bon nombre de gens affirment ne croire en rien, mais, paradoxalement, admettent : « il y a quelque chose ».

Que ce soit par rapport à l’astrologie basique (l’exemple le plus fréquent) ou encore par rapport à ce qu’il est convenu d’appeler : des signes du destin[1].

Je n’aime pas beaucoup pontifier dans ce domaine particulièrement glissant et, d’ordinaire, je laisse ça aux papes et aux papesses, mais voici quand même une proposition de diagnostic :

Le syndrome de la conviction exponentielle est une certitude multiforme.

Elle peut passer du bénin au dramatique.

– Inoffensive au niveau de l’individu (car elle n’engendre finalement que de l’obstination).

– Gravissime au niveau collectif (car elle génère l’unilatéralité de la religion et son dangereux prosélytisme).

Et, hop, nous voici plongés, les mains jointes, dans cette atroce espièglerie : pour décoder l’invisible, il va falloir y croire !

Et, en plus, adopter la Fides carbonaria, la foi du charbonnier.

Justement celle qui symbolise la vase immonde que j’abhorre dans toutes les religions :  le postulat d’un monde accessible uniquement après la mort et dont elles prétendent détenir, seules, les conditions d’accès.

Alors allons y pour le post-mortem :

Il y a quand même beaucoup de chances que, s’il y a un ressenti après la mort, ce ne sera probablement plus un ressenti individuel.

Pourquoi ?

Parce qu’on dirait bien qu’en mourant, l’individu disparait avec tous ses capteurs, comme une statue de sel qui entre dans la mer.

Par contre, la mer est salée.

Peut-être est-il possible alors, que « l’inconnaissable » (qui semble si souvent nous interpeller) soit composé de la somme totale des vies vécues, présentes et à venir, de tous les êtres confondus, sans exception (plantes comprises, tiens).

Et, pour simplifier toute tentative (perdue d’avance) de représentation concevable : le tout symbolisé par Aleph exposant Aleph[2].

Le nombre de choses qui n’existent pas est peut-être plus grand que le nombre de choses qui existent.

Va-t’en savoir.

En tout cas, à propos des religions, rappelons combien il est facile de triompher de fausses menaces dont on propage soi-même la rumeur.

Facile aussi de réclamer une foi aveugle, pour embourber les esprits dans des volumineux catalogues de dogmes.

D’imposer des consignes arbitraires qui, bien souvent, cherchent surtout à vérifier, socialement, si les maîtres du culte sont obéis : comme le vendredi saint, le ramadan ou le sabbat.

Bon, d’accord, j’imagine, sans aucune malignité, que tous ceux qui ont déjà une croyance sui generis qui se nourrit d’elle-même, pourraient s’amuser de mes doutes.

Mais peut-être qu’ils n’ont pas un mérite personnel de recherche et qu’on leur a appris tout ça quand ils étaient petits.

Le cerveau est si modelable dans la prime enfance.
L’éducation est parfois une telle perversion.

Moi je suis entré dans une église une première fois parce qu’il pleuvait.

Par la suite, j’y suis entré des centaines de fois pour en admirer les plafonds, les statues et les peintures.

Tiepolo, Michel-Ange et Uccello m’ont bourré de coups de poing dans la gueule.

Mais toutes ces œuvres qui étaient (dès leur conception) destinées à me convaincre, n’y sont pas parvenues, en dépit de leur facture éblouissante.

J’ai toujours gardé présent à mon saint esprit le sketch de Joseph à la messe [3].

Le syndrome de la vérité indéfiniment redoublée peut étinceler comme un stroboscope et parfois nous égarer.

Il a toute la force des mots d’enfant, vous savez : tous ces mots qui redoublent les syllabes.

Pour le psychanalyste sans frontières que je suis, les raisons profondes de la révélation qui se féconde elle-même peuvent s’expliquer par la nécessaire construction d’un barrage intérieur.

Barrage duquel découle l’impossibilité de revenir en arrière ou de se remettre en question, sans bousiller sa vie.

Eh oui, la vie : ce poison qui nous tue, tout comme l’oxygène nous ronge, avec le réalisme insupportable de Lost weekend [4]

Bon, ça rigole moins, pas vrai ?

À présent, j’entends bien votre question, pourquoi ce texte est-il moins clownesque que les précédents ?

C’est tout simple.

Au début (une fois n’est pas coutume), je voulais vous dresser un parallèle avec un empereur romain, mais… lequel choisir ?

Et puis surtout, dans une digne boucle avec le titre, je voulais vous faire part de ma conviction profonde :

La bonté n’existe qu’à travers ceux qui la font vivre.

Sans eux : pas de bonté !

On dirait bien que l’Univers s’en fout.

Et nous, quelle importance allons-nous lui donner ?

Voilà, aujourd’hui, nous nous quitterons joyeusement avec Sunday morning, un des succès de l’album Velvet underground & Nico de 1967, parce que cette chanson passait au Delhaize pendant que j’y faisais mes courses, ce dimanche matin.

Je n’ai pas été trop étonné de l’entendre, puisqu’elle succédait directement à une ballade de Neil Young.

Mais je me demande bien ce qu’aurait pensé Nico de ces circonstances ?

À quelle clientèle s’adressait exactement ce magasin ?

Vous m’objecterez que personne ne comprend les paroles, c’est vrai.

N’empêche : Lou Reed dans un des temples de la consommation, ça fait désordre (comme aurait dit Audiard) …

Sunday morning brings the dawn in

It’s just a restless feeling by my side

Early dawning, Sunday morning

It’s just the wasted years so close behind[5].

Merci pour tous vos like, pour vos messages (de plus en plus nombreux) sur Messenger et pour vos commentaires toujours intéressants.

[1] Comme Monica et Chandler lors de leur mariage, dans le feuilleton Friends.

[2] Aleph est, mathématiquement, la somme incalculable de tout ce qui existe ou, plus communément, celle de toutes les courbes rationnelles qu’on peut tracer dans l’espace.

[3] Djosef à messe est un sketch en wallon de François Renard, enregistré sur vinyle 45 tours chez Pathé ou EMI (à vérifier).

[4] The Lost weekend (Le Poison) est un film de Billy Wilder, sorti en1945, avec Ray Milland dans le rôle principal.

[5] (+ ou -) Le dimanche matin apporte l’aube

C’est juste un sentiment agité à mes côtés

Aube matinale, dimanche matin

C’est juste les années perdues si près derrière

13 réflexions sur “Exponential Conviction Syndrome : deuxième partie

  • Moi je suis entré dans une église une première fois parce qu’il pleuvait.

    magnifique. je n’ai pas eu cette chance!!

    djoseph : ai trouvé. mais rien compris…

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    • Georgie de Saint-Maur

      Merci d’avoir pris le temps de lire et de laisser un commentaire, Monsieur Thiriet.
      Il me serait facile de vous traduire « Djosef à messe » (une grande partie de ma famille parlait le wallon lorsque j’étais petit), mais cela perdrait beaucoup de sa saveur.

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      • thiriet

        bon. tant pis. si vous pouviez le traduire en alsacien, je connais des gens qui.. non. laissez tomber.

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  • Jean-Luc Dalcq

    Hello G. C’est marrant, mais je ne sais pas où tu as été péché ton texte de la chanson (sunday Morning), un truc que j’aime bien jouer à ma façon.

    En fait, je ne sais pas si il faut absolument croire en quelque chose. Le principal c’est que les fantômes croient en nous finalement.

    Je pense aussi que les hommes ont inventé « les dieux » pour échapper à la connerie de leurs semblables. Certains s’en sont évidemment bien servis pour asservir le reste. C’est toujours de la « politique » finalement. Mais avec un peu d’encens et quelques chandeliers aux entournures. Non?

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    • Georgie de Saint-Maur

      Cher Jean-Luc,
      tout d’abord…
      comme de coutume, fidèle en cela à votre livre « Ni Dieu, nichons », paru chez « Cactus inébranlable », une série de vérités indéniables ressort de votre commentaire.
      Je prends au hasard : « Les hommes ont inventé les dieux ».
      Bon, il me semble que c’est de Gainsbourg, mais, en fait, l’idée est si ancienne qu’il devait l’avoir empruntée lui-même à quelqu’un d’autre (ce n’est d’ailleurs pas l’unique emprunt de son registre. Je l’aime bien, mais on pourrait en reparler).
      Ou encore : « La religion est tout simplement de la politique, accompagnée d’encens et de chandeliers ».
      Constat avec lequel il me serait vraiment très difficile d’être en désaccord.
      Alors oui, sincèrement, tout ce que vous dites a la pertinence de votre superbe pièce jointe, qui remet les pendules au milieu du village et permet à chacun de lire ma chronique, agréablement bercé par les vraies paroles et les accords du souterrain violet.
      J’ai rétabli le texte. Un grand merci.
      Ensuite…
      Un concept vient me tirer par la barbichette.
      Un concept bien intéressant : « Le principal c’est que les fantômes croient en nous finalement. »
      Pourriez-vous le développer ?
      Cela rentrerait parfaitement dans le cadre de mon étude sur « Les Fantômes du château de sable » d’Hector Rigault.
      Sinon, quoi qu’il en soit, merci d’avoir pris le temps de lire et de laisser ce commentaire.

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    • Georgie de Saint-Maur

      Merci d’avoir pris le temps de lire et de laisser un commentaire, Numa.

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  • l’individualisme n’a pas perdu d’avance, j’aime l’idée de mon ami Serge Cazenave (discret et solitaire) qui se présente comme un libertaire aimant l’idée de société ; je suis ainsi aussi – je pense ; le reste : sorte de chroniques que j’entendrais bien à la radio où chacun pioche ou entend ce qu’il cherche à piocher ou à entendre…les abeilles sont pour la plupart des insectes solitaires, ce sont d’ailleurs ces petites abeilles solitaires qui disparaissent le plus, les insectes sociaux ne représentent que 1à3% des insectes totaux (en genre et espèces)
    terminer le 1er par Nourago et le deuxième par Reed / tout n’est donc que benef…les religions nous ont bien sûr bouffé nos enfances, plus en mal qu’en bien…On attend donc la suite et surtout :
    Surtout REFUSEZ : imitations , contrefaçons, produits similaires !
    une partie de l’avenir appartient aux écrivains !

    Anne Sexton (1928-1974), très grande poétesse qui se suicidera à 46 ans …

    lire : « Tu vis ou tu meurs » oeuvres poétiques (1960-1969)
    chez « Des femmes / Antoinette Fouque »

    Ballade de la masturbatrice solitaire (traduction E. Dupas)

    La fin de la liaison est toujours la mort.
    Elle est mon atelier. L’oeil glissant,
    hors de la tribu de moi-même, mon souffle
    découvre que tu es parti. J’horrifie
    ceux qui se tiennent là. Je suis nourrie.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

    Doigt à doigt, elle est maintenant mienne.
    Elle n’est pas trop loin. Elle est ma rencontre.
    Je la bats comme une cloche. Je m’allonge
    sous la tonnelle, là où tu la montais.
    Tu m’empruntais sur le tapis de fleurs.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

    Prends par exemple cette nuit, mon amour,
    où chacun des couples s’assemble
    dans un retournement conjoint, au dessous, au dessus,
    les deux abondants sur l’éponge ou la plume,
    s’agenouillant et poussant, tête conter tête.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

    Je me libère de mon corps de cette manière,
    d’un irritant miracle. Pourrais-je
    mettre le marché du rêve à l’encan ?
    Je suis étalée. Je crucifie.
    Ma petite prune, comme tu le disais.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

    Alors, ma rivale aux yeux noirs vint.
    La dame de l’eau, se levant sur la plage,
    un piano aux doigts, la honte
    sur les lèvres et un discours de flûte.
    Et à la place je devins le balai cagneux.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

    Elle t’as pris comme les femmes prennent
    une robe en solde au présentoir
    et je me suis brisée comme une pierre.
    Je rends tes livres et ton attirail de pêche.
    Le journal du jour annonce que vous êtes mariés.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

    Les garçons et les filles ne font qu’un ce soir.
    Ils déboutonnent les chemisiers. Ils ouvrent les braguettes.
    Ils retirent leurs chaussures. Ils éteignent la lumière.
    Les créatures luisantes sont pleines de mensonges.
    Elles s’entre-dévorent. Elles sont gavées.
    La nuit, seule, j’épouse le lit.

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    • Georgie de Saint-Maur

      Étrange…
      En fait, on se demande si vous n’êtes pas tout simplement Cazenave lui-même qui se cacherait derrière le pseudonyme de « Frenchpeterpan ».
      Mais non… il semblerait qu’il s’agisse bel et bien d’un blog abandonné pour des raisons impénétrables…
      Blog littéraire qui (par ailleurs) fait écho à quelques-unes de vos citations ci-dessus.
      Vraiment, je ne sais pas trop quoi vous dire.
      A l’exception des promotions légitimes de certains auteurs, on ne comprend pas très bien le sens exact de votre commentaire.
      Peut-être éprouverez-vous le besoin de le préciser ?
      En attendant… je vous remercie d’avoir pris le temps de lire cette « Folie ».

      Répondre
  • Beatrice Van Hoorick

    J’ai lu votre texte il y a déjà quelques jours et il m’inspire quelques réflexions
    A propos de  » notre capacité olfactive relativement peu développée » il me semble que en fait, nous sentons quand même bien les odeurs, même si nous n’en sommes pas toujours conscients. Elles influenceraient, dès la première rencontre le sentiment que nous inspire notre prochain, positif ou négatif. Je ne saurais dire d’où je tiens cela, j’ai du le lire ou l’entendre. Cela se traduit aussi dans le vocabulaire comme « celui-là je ne peux pas le sentir ». et on en apprend beaucoup sur les odeurs dans le « Parfum » de Suskind.
    Autre chose, à propos d’un monde accessible uniquement après la mort, lors du décès de ma mère, une idée m’est venue qu’à sa dernière minute de vie elle aurait réalisé que tout ce à quoi elle croyait, qu’elle reverrait mon père, sa famille, etc au paradis, n’existait pas en fait. Avoir cette pensée à ce moment là m’a beaucoup effrayé malgré que je sois moi-même persuadée qu’après la vie, il n’y a rien, c’est
    comme avant la vie.
    « Joseph à mess » amusait beaucoup ma maman. Elle comprenait tout! Mon souvenir est que finalement ils ont retrouvé le chapeau! (mais n’ont pas rendu les sous) 🙂
    J’ai un peu hésité à commenter, mais j’ai bien aimé votre texte, même si certaines notions sont un peu obscures pour moi 😉

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    • Georgie de Saint-Maur

      Vous avez très bien fait de commenter, Béatrice.
      J’y invite toutes les personnes qui prennent connaissance de mes textes.
      Les « Folies » sont , à la base, des écrits à vocation humoristique (même si les résultats peuvent toujours être envisagés comme discutables).
      Il ne faut donc pas prendre trop au sérieux certaines affirmations.
      Celles qui concernent l’odorat humain, par exemple, n’étaient absolument pas destinées à le minimiser.
      Les phéromones existent, bien entendu, et les odeurs occupent, d’une manière générale, une très grande place dans nos vies.
      Et ce, dès notre naissance.
      Pour ce qui est du décès et de la possible désillusion préalable de votre maman, vous comprendrez sans peine que ce sujet est bien trop grave pour qu’un guignol dans mon genre se permette d’avoir un avis sur la question.
      Et, « qui plus est », de l’étaler dans cet espace-commentaires.
      Par contre, pour ce qui est de « Djosef à messe », ce sketch savoureux traverseta peut-être pour la dernière fois la barrière du 21ème siècle.
      Il y a beau temps que François Renard et Henriette Brenu (Titine) nous ont dit au-revoir.
      Et que le wallon liégeois a rejoint le latin, le grec ancien, le mésopotamien et les hiéroglyphes.
      Mais vous avez raison pour le coup final du chapeau du curé retrouvé, et de l’argent (collecté pour son rachat) non remboursé aux paroissiens.
      Merci d’avoir pris le temps de lire mon texte et de l’avoir apprécié.

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  • Sunday morning dans un super marché ? pourquoi pas. comme tout fini par être banalisé édulcoré vidée de sa substance, tout est possible.
    par exemple, au détour d’un post, d’une info quelconque sur facebook, j’ai lu « la petite dans la prairie » qualifié de… culte !

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  • Lou Reed dans un des temples de la consommation, ça fait désordre (comme aurait dit Audiard)

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