Croisements décisifs
— Beckett avait raison, anglo-saxonna Jorch, c’est bien la fin de partie.
René conservait le silence et regardait le sol avec obstination.
— Je quitterai sans regret ce monde horrible. La planète était belle mais inhabitable.
L’école des jours, 1972.
J’ai réfléchi, amis lecteurs, et décidé d’abandonner le titre initial de mon article : Morceaux de chance, pour le rebaptiser : Croisements décisifs, car je sais combien vous avez besoin du réconfort des ondes positives.
Dès lors distinguons les croisements.
Nous avons besoin d’un groupe de gens que nous estimons et qui nous envoient une image avantageuse (voire flatteuse) de nous-mêmes.
Pourquoi ?
« Pour que chaque jour compte », disait Jack Dawson à bord du Titanic[1].
Pourtant, dans cette quête ultra-légitime, nous restons irrésolus et incertains.
Des erreurs bizarres se produisent.
Des tartuferies qui handicapent les croisements.
Dans la plupart des débats télévisés, par exemple, les invités commencent par annoncer qu’ils ne sont pas des spécialistes.
Pas spécialiste de ceci, ou pas spécialiste de cela.
Dès lors, pourquoi ne pas arrêter tout de duite le débat et en inviter un ?
À quoi sert de former des spécialistes si on ne leur demande jamais leur avis ?
À la télévision toujours, on invite des acteurs de cinéma au lieu d’inviter des réalisateurs.
Ce n’est pas que les comédiens n’aient pas voix au chapitre, mais c’est quand même confondre création et interprétation.
(Le chanteur Julien Clerc par exemple, n’a jamais écrit une seule ligne des paroles de ses chansons).
Mais le public s’en fout.
Il veut des livres lisibles !
Eh oui, vous me connaissez…
Vous avez deviné…
Je vais parler des éditeurs.
Comme le publiait Le Nouvel Observateur en 2012 :
Au regard du nombre de décisions prises, la principale activité d’un éditeur n’est pas de publier, mais de refuser de publier.
Les artistes sont, par excellence, tributaires d’un croisement décisif.
Vian croisa Queneau, directeur à NRF.
Noiret croisa Jean Villard.
Marais, Cocteau.
Dumas croisa Maquet.
Hemingway, Gertrude Stein.
Pauvert a remis bien en lumière la place de l’éditeur et l’importance inouïe de l’audace dans ses choix.
Il était temps, car qui évoquait encore Flammarion ?
Qui pleurait René Rougerie ?
Objectivement, cette profession (finalement assez récente dans l’histoire des hommes) ressemble assez à celle de galeriste ou d’antiquaire : Un métier où il vaut mieux connaitre beaucoup de gens riches et avoir les moyens d’attendre.
Tout comme la guerre nous apprend vite la géographie élémentaire, l’austérité éditoriale et la médiocrité d’un public qui ne décide rien nous apprennent vite à contourner le système.
Mais minute, ne lapidons pas les lecteurs : quand les choses vont bien, nous souhaitons que tout reste ainsi.
Alors que quand les choses vont mal, nous souhaitons un changement rapide.
Et pourtant, ce devrait être le noble destin des éditeurs que de discerner et de reconnaitre le talent.
Mais tout cela dépend encore de leur propre culture et de leur goût personnel.
Pour les auteurs : la lumière des allumés provient de l’intérieur.
Et puis aussi la capacité d’écrire des phrases courtes de façon très longue.
Car on ne rédige pas des romans pour rien.
Il y a toujours une raison.
Ça peut être un désir d’utopie, ou de réaliser une vie différente.
Un désir d’utopie qui nous conduit, à travers différents repaires, à la contre-culture et, partant de là, vers un déni de la cohésion, pourtant si nécessaire à cause des autres.
Une utopie qui ne peut se réaliser que si elle a lieu dans un même temps et pour tout le monde.
Faut-il se préoccuper de ce qui restera de nous quand nous ne serons plus là ?
C’est là ce que pense l’homme commun, l’homme habituel.
Par antonymie, le détachement accompagne l’homme inhabituel… l’homme exceptionnel…
Mais ce côté exceptionnel a toujours quelque chose d’héroïque.
La sentence d’Épicure : « la mort n’est rien », nous rassure-t-elle vraiment ? (Nous avons tant besoin d’être rassurés).
Épicure était très loin dans son cheminement philosophique serons-nous capables de le suivre ?
Si je trouve une caisse de résonance à mes écrits, je pourrais faire partie des millions de livres qui sont proposés aux consommateurs.
Voilà, comme d’habitude, nous terminerons cette Folie avec une chanson pleine de joie : L’Italien de Serge Reggiani.
¯Il ne me reste qu’une chance,
C’est que tu n’aies pas eu ta chance.
Mais ce n’est plus le même chien,
Et la lumière s’éteint.
Merci pour vos like, pour vos messages et vos commentaires. Bonnes vacances à tous.
Georgie de Saint-Maur
[1] Titanic est un film de James Cameron, mettant en scène le naufrage survenu en en 1912, d’un sreamer reliant l’Europe à l’Amérique.
Excellent !!! Et chapeau. D’un personnage de Beckett
Merci d’avoir pris le temps de lire, jean-Paul.
Content que cela vous ait plu.
Une réflexion riche et nuancée sur la condition humaine. Merci
C’est très gentil d’avoir lu, Christophe.
Merci.
en het is 99,9 m !
Dank u wel, Chico.
Un vrai plaisir, cette lecture!
Merci Alain.
Bien content que ça vous ait plu.
Un texte de questionnements tout en légèreté. Merci
Merci d’avoir lu ce texte, Ingrid.
Merci Georgie. Je vous découvre. J’aime le jeu avec les mots et les interrogations . En effet, aimer un texte sans mentaliser demande une ouverture de coeur et un lâcher prise. L’édition est un vrai challenge auquel il est nécessaire d’aouter le facteur de la rentabilité. Merci pour ce questionnement.
Merci pour votre commentaire Anne-Marie.
Merci pour ce partage !
Merci d’avoir pris le temps de lire, Josiane.
Une fois, je suis entré dans une galerie d’Art contemporain pour m’étonner à voix haute de mon incompréhension devant des tableaux qui ne me parlaient pas. Patiente, la galeriste m’a expliqué avec ses mots à elle comment elle les voyait. Je ne me souviens plus de ce qu’elle m’a dit, mais en ressortant, j’étais moi aussi tombé sous le charme de ces créations.
C’est donc cela, une question de rencontre entre des sensibilités et leurs capacités à se contaminer les unes les autres. Peut-être que le reste n’a pas tellement d’importance ?
Beau!
Merci d’avoir pris le temps de lire, Mehdi.
J’ai lu quelque part au-dessus « riche et nuancé » : c’est bien ça !
Venant de vous, dont j’admire le travail depuis des années, ce compliment revêt pour moi une importance particulière.
Merci Numa.
Que de questions qui restent sans réponse même si tous pensent en avoir une. Mais encore faut-il arriver à la cerner. La qualité d’un livre et son utilité au final l’une ne va probablement pas sans l’autre- se reconnaît aussi à l’envie de le relire un jour ou l’autre, parfois de suite même ou des décennies plus tard, là où il nous livre ce que nous n’avions pas vu mais seulement perçu après une première lecture. si l’on me recommande un livre juste parce qu’il se lit très vite, est rapidement évacué, digéré-encore faut-il découvrir s’il y avait une idée ou quoique cela soit d’autre à digérer entre et dans ses phrases- je ne l’ouvre même pas. A quoi bon consommer sans savourer.
En attendant Godot, j’ai eu le temps de lire et d’aimer, merci pour ces pensées et comme la mort n’est rien (dixit Epicure, parait-il) je pense terminer ce mois d’août en beauté. Bonne continuation.
Merci d’avoir pris le temps de lire, Patou.
Et content que ça vous ait plu.
Pas inintéressant, merci ! Un constat, des constats que je peux partager en partie, mais en l’espèce ou en l’absence d’espèces, nous ne sommes pas assurés et, en tant qu’auteurs, nous ne serons pas indemnisés ! Pour ma part il y a trop de spécialistes et d’experts et pas assez de cherchants et de chercheurs. Mais je dis ça, je dis rien, n’est-ce pas ?
Tout d’abord, merci d’avoir lu ma “folie”, Lorenzo.
Et merci d’avoir pris le temps d’y laisser un commentaire.
Oui, Vian déconseillait la spécialisation, et j’ai toujours aimé Vian.
Le Quatrocento faisait de même, et j’ai toujours eu du respect pour Giorgio Vasari.
Apparemment, vous la déconseillez aussi, et…
Beaucoup d’éditeurs sont devenus des épiciers, je crois. D’où l’idée comme pour les footeux de transférer dans les grandes écuries les auteurs qui ont déjà fait leurs preuves en division inférieure. Qui drainent surtout déjà un certain lectorat.
Je veux dire que la prise de risque (ce qui faisait la gloire et l’honneur des grands éditeurs dans le passé) est de plus en plus minimaliste. Sans parler de ces éditeurs ou directeurs littéraires de plus en plus hermétiques à ces auteurs, qu’on aurait qualifiés autrefois de “sulfureux” quoique talentueux voire singuliers pour lesquels, le monde actuel étant ce qu’il est, il faudrait un avocat pour prévenir, toute les cinq pages, le scandale futur, passe encore (ça pouvait-être jadis un bon prétexte de lancement) mais les procès à venir.
Je pense que comme pour le reste du monde “marchand”, la plupart des grandes maisons d’éditions, hormis peut-être un cas ou l’autre particulier, pour confirmer la règle, ne prêtent qu’aux “riches”. S’être fait remarqué déjà comme je le disais par un éditeur connu du milieu est quasi nécessaire pour monter les échelons. Ne parlons plus du manuscrit envoyé par la poste qui ressemblait vraiment à une boutanche à la mer.
Le mieux est finalement de bien s’entendre même avec , toute proportion gardée, un “petit éditeur” mais d’avoir encore la latitude de pouvoir écrire tous les délires et autres lubies possibles et inimaginables qui nous passent par la tête. Non?
Tout d’abord (politesse oblige), merci d’avoir pris le temps de lire, Jean-Luc.
Je trouve l’image de la bouteille à la mer très pertinente.
Quant à la faveur que nous fait le destin de nous permettre de rencontrer un éditeur (petit ou moyen) qui apprécie notre travail, c’est un morceau de chance.
C’est vrai, évidemment. il faut parfois mettre son ambition au frigo et accepter le rosé bien frappé qui en sort. même si on a rêvé au Chambertin un soir comme tout un chacun. Tant qu’à faire. Je déconne G, c’est pour la “beauté” de la métaphore(?).
Tu as raison, c’est un “morceau de chance” mais il y a du travail en amont et j’imagine, que toi comme moi, tu as démarché et envoyé ici et là ton lot de manuscrits (à tes frais évidemment) pour parfois peu d’écho. Donc il faut garder le “feu”, ça s’entretient aussi. J’imagine bien. Aujourd’hui, tu ne reçois même plus de lettre de refus, je crois (au bout de trois semaines sans réponses tu dois comprendre que c’est mort par toi-même) chez certaines maisons d’Editions et tu dois payer une seconde fois les frais de ports si tu veux le récupérer ton manuscrit. C’est du boulot et du goulot aussi pour garder le moral. Ahaha.
Excellent
J’ai lu avec plaisir ce texte à la logique élastique (et parfois un peu vache). J’apprécie ceux qui posent les bonnes questions tout en évitant de les aborder et sans la prétention de connaître les réponses.