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Claire Blach nous parle de son premier roman : EXuVie

BOZON2X : Je sais que l’écriture t’accompagne depuis très longtemps sous les aspects les plus différents. Pour ce premier roman, tu t’es lancée dans une forme ardue, difficile, la forme « chorale ». Comment s’est-elle imposée à toi ?

Claire Blach : La forme polyphonique émane de mon goût pour les musicalités surprenantes du quotidien. Ce que je trouve beau et intéressant chez les être humains c’est non seulement leur diversité de formes et de langages, mais aussi la capacité à rompre avec des habitudes, à contrarier le déterminisme pour rencontrer de nouvelles conditions d’existence, des enjeux inédits ou d’autres horizons. Au terme de cette écriture, il m’apparait que ces bifurcations relèvent beaucoup moins d’une volonté que d’une potentialité, d’une disponibilité qui se révèle à l’occasion de circonstances externes et internes favorables ; une plasticité mentale fascinante, commun dénominateur entre tous les personnages ; les métamorphoses se réalisent à des moments où quelque chose devient insupportable ou absolument nécessaire, une nécessité quasi organique. Une dimension vitale.

L’EXuVie, c’est la peau délestée par le serpent lors de sa mue, elle recouvre le globe oculaire de l’animal et cet aveuglement momentané fait partie de cette nouvelle naissance. Cette expérience est incontournable pour croître.

On peut naître et grandir à tout âge ; sauf circonstances extrêmes d’enfermement ou de repli, les transformations, les changements de cap sont toujours possibles à plus ou moins brèves échéances, mais à l’instar des serpents, nos mues humaines ne s’opèrent pas sans peur ou sans souffrance.

Fugue, liberté, transformation, métamorphose sont des mots qui portent en eux des complexités si grandes qu’il fallait bien un titre comme EXuVie pour ramener les rêves à la réalité de leur réalisation, échapper aux insupportables Y’a ka  ; ce qui se joue ici c’est non seulement cette énergie déployée pour se créer une Vie à la mesure de nos désirs, mais aussi la hantise de l’EX -l’ancien -le laisser derrière, ce passé qui plane sur nos plans d’évasion. J’ai voulu rendre hommage à ces gens, ces moments croisés où je les vis sauter des barrières… Des voix se sont déliées pour témoigner de la singularité de leur expérience, ainsi s’est érigée la dimension « chorale » du livre.

Lorsque je me suis lancée dans cette écriture, je n’avais pas de plan préalable, je venais de lire L’art de la joie de Sapienza et L’art du roman de Kundera. La force vitale de Modesta (l’héroïne de Sapienza), les libertés formelles décrites par Kundera, conjuguées aux encouragement de mon éditeur (;) ont caressé un désir : me lancer dans l’aventure d’un roman-miroir-d’âmes multiples traversées par la nécessité de changer de cap.

Les personnages très différents qui font vibrer ce livre ont exigé de moi ce vers quoi leur vie respective les a guidés : un basculement, un voyage entre plusieurs mondes, une immersion dans un temps et un espace qui m’a tenu en haleine de manière plus prégnante que la poésie, la chanson ou l’écriture de nouvelles et de pièces de théâtre…

“La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur”, a écrit Roland Barthes, je pense que la naissance des personnages de roman relève du même phénomène.

Taxi driver © Eric Hock

Tu as fixé l’action de ton roman dans une ville imaginaire. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Une ville imaginaire est une ville où, a priori, personne ne peut projeter ses souvenirs, elle vous invite à sa découverte. Par son nom, par des descriptions succinctes de son centre et de ses banlieues, Gzdank évoque des métropoles au nord ou à l’est de l’Europe. Quelque part, dans un futur proche vont s’opérer les fugues et métamorphoses de nos héros. Car il y a bien une forme d’héroïsme à défier les cloisonnements urbains, ses systèmes de surveillance et nos barrières intérieures.

Tous tes personnages semblent, d’une manière ou d’une autre, prisonniers de carcans dont ils cherchent à se libérer. Est-ce un sentiment que tu perçois dans le monde actuel… ?

Oui, mais est-ce seulement particulier à notre époque ? Si l’humain est potentiellement doué pour se débarrasser de ses carcans, il l’est tout autant, et l’a sans doute toujours été, pour s’en créer de nouveaux ou les reconstruire. Résultat des courses : nous avons des moyens décuplés au service de nos volontés de contrôle et de surveillance à l’échelle mondiale. Ce phénomène pèse sur les individus de manière plus ou moins déclarée. Dans mon roman, deux dames, pensionnaires d’un home de luxe, subissent une surveillance médicale hyper-performante censée les protéger ; Alex, reclus dans son loft avec un attirail informatique, est téléguidé par une voix qui parle par sa bouche ; Sam est un ado malmené par Vinciane, une mère paumée dans un monde où tout lui est offert et rien ne peut la satisfaire… Ces personnages, parmi d’autres, sont les reflets de malaises et désirs qui questionnent des cadres contraignants dans lesquels vivent beaucoup de gens, sans pouvoir les nommer comme tels, puisqu’ils sont censés habiter un pays et une époque de cocagne.

Dans EXuVie, la question des désirs est abordée de manière polymorphe (désir d’évasion, désir sexuel, désir d’amour, de liberté…). Elle traverse les âges et les catégories sociales représentés.

Il ne s’agit pas d’adhérer à la morale d’une époque ou d’une caste bien-pensante, de la provoquer ou de s’y opposer. A mon sens, ce n’est pas faire oeuvre littéraire de censurer tel ou tel type de rapport, tel ou tel type de fantasme sous prétexte qu’il serait issu d’une conception sadique, patriarcale, matriarcale, dévoyée, capitaliste, communiste, hérétique, anormale, trop banale ou que sais-je ? Seuls les militants politiques ou religieux veulent édicter, éradiquer, contrôler, modéliser les comportements comme les écrits pour les conformer à la vision du monde qu’ils pensent juste. Je m’y refuse. Au risque de décevoir une part du lectorat actuel, pour ma part, je n’ai pas de solutions ou de recettes à apporter au monde. Mes personnages ont des psychologies particulières que je veux laisser vivre, ce ne sont pas des modèles, ils ne sont pas les jouets-prétextes d’une quelconque propagande. Ils posent question. Ils vous emmènent dans des complexités parfois sombres. à différents niveaux, avec différents moyens et plus ou moins d’intelligence, ils se débattent avec la question du désir et de la liberté.

La question du Temps est une question récurrente en littérature. Tu l’abordes ici en zoomant sur des individus d’âges et de générations différents. Est-ce là encore une idée qui s’est imposée ?

Parce qu’à divers degrés, ils ont été ou sont confrontés à la mort, presque tous mes personnages, même les plus jeunes, sont habités par un sentiment de finitude, une urgence qui les porte vers des interrogations sur leur vie et une quête de qualité d’existence.

Je me souviens qu’un enfant avait demandé quel jour on était, après qu’on lui ait répondu, il s’était exclamé : Déjà demain ?! Le temps passe parfois dans cet espèce d’aveuglement dont nous nous réveillons atterrés. Peut-être est-ce à cela qu’intuitivement les personnages d’EXuVie tentent d’échapper.

Selon toi, que permet le roman que n’autoriserait pas la forme poétique à laquelle tu es attachée ?

Le roman permet de rencontrer des êtres et des situations qui nous emportent vers des contrées inattendues, la poésie s’invite dans le roman comme dans la vie, elle émane d’elle, la poésie a le souffle plus court de l’évocation, elle est nécessaire au roman. Le roman me donne la sensation d’élargir ma respiration, d’entrer dans un temps en dehors du temps qui rejoint le langage et les pensées d’autres êtres que moi-même.

Imagines-tu une suite à EXuVie ? Ou envisages-tu un tout autre roman ?

Je ne sais pas encore si il y a aura une suite à EXuVie, j’y ai pensé parce que je suis attachée à ses personnages et certains d’entre eux semblent parfois réclamer un devenir. Je ne sais pas si je vais céder, tout cela est encore trop frais pour moi. Et puis j’aime aussi ne pas tout savoir de ce qui va advenir. Par contre, il est clair que mes tiroirs regorgent de nouvelles dystopiques, de nouvelles érotiques, d’un texte biographique dédié à ma mère, d’un recueil de poésies que j’envisage enfin de proposer à la publication. L’édition d’EXuVie m’a permis de me sentir prête.

Merci à toi Raphaël Denys, à Saskia Petermann pour son travail graphique, à Serge Delaive pour ses conseils et aux lecteurs qui voudront bien se lancer dans les aventures de ce premier roman.


EXuVie
Claire Blach
203 pages
Format : 14 x 19 cm
ISBN : 978-2-931067-21-5
21 euros
À paraître le 07/05/2024

2 réflexions sur “Claire Blach nous parle de son premier roman : EXuVie

  • Ada Coti

    Magnifique ❤️. Belle description, beau regard sur le monde. Me réjouis de te lire ❤️

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    • Claire Blach

      Merci Ada ! Il sera en librairie dès le 7 mai, ou commandable via ce site ou mieux encore un petit passage dans La Galerie du Livre et de l’étrange Théâtre un de ces quatre ?

      Répondre

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