Les Paroxysmes évolutifs – 1ère partie
— À l’état pur, la vie contient deux paroxysmes, claironna René en roulant des yeux comme si sa bille en dépendait : le passage de la non-existence à l’existence et sa réciproque.
Je regardai longuement le ciel de notre adolescence.
Les nuages qui s’y amoncelaient n’étaient pas de bons signaux.
— Nous ne valons pas plus qu’une feuille morte en automne, répondis-je avec morosité. Ou, par exponentiation, qu’un grain de sable sur une plage. C’est cette insignifiance qui nous meurtrit.
— Oui, dit René en sautillant comme un cadavre, car, à proprement parler, notre cerveau n’est pas vraiment un ami. C’est plutôt un organe qui se doute de nos projets et qui, forcément, n’est pas du tout d’accord.
L’École des jours, 1972.
Eh oui, même s’il faut s’entendre sur le sens du mot[1], si on me demandait (pour de mystérieuses raisons) quel est le paroxysme des miracles accomplis par Jésus de Nazareth, je répondrais, en bon œnophile, que c’est d’avoir changé l’eau en vin.
En tout cas certainement pas d’avoir ressuscité Lazare, qui, à cause de ça, est mort deux fois, le pauvre.
« La vie est un rêve, affirmait Marc Aurèle[2]. Un rêve terrifiant ! »
Mais on fait dire tellement de choses à Marc Aurèle.
Notez que je commence avec un Romain, alors que ce seront surtout les anciens Égyptiens qui vont illustrer cette nouvelle Folie.
Passons, sans plus attendre, quelques-unes de leurs évolutions en revue :
Quand ils ont construit le tombeau de Snéfrou, à Dhachour, ils se sont rendu compte que le sol ne supporterait pas son poids, et en ont modifié l’inclinaison, créant ainsi une pyramide rhomboïde.
Cette adaptation au réel nous ressemble.
Nous aussi, face à la vie, nous modifions nos ambitions.
Bon, ce n’est pas la stratification ou la faiblesse des assises qui nous y contraignent (nous ne sommes pas des bâtiments), mais bien l’asthénie du temps qui nous reste.
Vient inéluctablement la conscience que nous n’aurons pas la possibilité de faire tout ce que nous avions prévu.
La pyramide rhomboïde symbolisera donc ici les paroxysmes évolutifs.
De la même façon, les Égyptiens toujours, qui adoraient la vie et ne pouvaient offrir pour se rassurer de sa perte que des formules magiques et un tas d’objets inutiles, ont vite compris que la guerre contre la mort était perdue.
Alors, dans un éblouissement qui impose le respect et dont l’efficacité perdure, ils ont commencé une guerre contre l’oubli.
Mais assez parlé de nos amis du Nil (il en faut un peu pour tout le monde, n’est-ce pas ?), penchons-nous, sans craindre les redites, sur la littérature.
Je sais que beaucoup parmi vous, que ce soit par l’écriture ou la lecture, en ont fait une part importante de leur vie.
Les familiers de cette chronique savent bien que ce n’est pas la première fois que j’aborde ce thème passionnant[3].
Ah ! La littérature… les romans…les nouvelles… les pièces de théâtre… les écrivains…
Leur prétention à l’immortalité n’aura guère d’importance.
Leur pérennité et sa perpétuité seront courtes.
Bornées (si on est lu) par la langue dans laquelle on s’exprime, et par la durée de son usage.
Toutefois, les lecteurs auront besoin d’y croire.
Ne serait-ce qu’en vue de justifier le temps qu’ils ont soustrait à leur propre existence pour le consacrer à feuilleter ce que d’autres en pensent.
Il faut que ce qu’ils lisent ait de l’importance, même si cela n’aura jamais servi, bon an-mal an, qu’à les distraire.
Frumieux[4] symbole, cette projection d’eux-mêmes rejoindra alors l’Art.
Là où le public consacre un artiste et où ce dernier lui fait confiance.
Je le disais d’emblée : notre vie n’a probablement pas plus d’importance que celle de quelqu’un d’autre et (par extension) pas plus d’importance que celle de n’importe quel être vivant.
Mais ça non plus les humains n’aiment pas.
Ça les blesse !
Car n’oublions jamais qu’un cheval sans selle, ce n’est pas la même chose qu’un vélo sans selle.
C’est l’instinct de l’Ipsikiff qui exige d’eux une volonté d’être importants[5].
Évidemment, vous allez me dire que ça permet de tester s’il y en a qui suivent.
Mais quand même, trois autocitations en l’espace de dix lignes…
Que je sois damné si ce n’est pas être un peu imbu de sa personne !
Mais parler de soi-même est parfois un tremplin qui permet de partager le pinacle des autres.
À cheval sur les années 1976 et 1977, dans son restaurant roturier l’annexe 13, Jaja[6], alors barbu comme un patriarche, faisait miroiter un étalage conceptuel qui nous proposait des reflets dont il était absent.
Dans ce geste rusé, sommeillait déjà ce qui restera vraisemblablement l’apogée du Cirque Divers[7] : la théâtralisation du quotidien.
Concept qui aujourd’hui, dans une vertigineuse mise en abyme, est devenu lui-même sujet d’exposition.
Les summums ne sont pas figés.
Il nous appartient d’en faire des records.
Voilà.
Je vous sens soudain terriblement friands de chansons et j’ai le plaisir de vous annoncer que nous nous quitterons cette fois avec Freddy et ses champions du monde.
Ils me font vaguement penser à la mythique réplique de Bogart dans Le Faucon maltais : « L’étoffe dont sont faits les rêves. »
You brought me fame and fortune
And everything that goes with it
I thank you all
‘Cause we are the champions of the World.[8]
Et puis non, attendez ! la première partie de cet article est de mauvaise qualité, mal écrite.
Je n’y ai pas du tout reconnu l’espoir eurythmique circulaire.
Oh, c’est trop dur ! Je ne veux plus retourner au 20ème siècle.
Je n’y reviendrai plus… jamais !
Merci d’avoir pris le temps de me lire.
Merci pour vos like, vos messages et vos commentaires.
À bientôt et prenez soin de vous.
Georgie de Saint-Maur
[1] Un paroxysme est le plus haut degré d’une sensation, le sentiment le plus intense.
[2] Marc Aurèle est un empereur romain (qui a régné de 161 à 180), réputé philosophe.
[3] Voir les articles À méditer du 15/01/2016 et Encore à méditer du 26/01/2016.
[4] « Frumieux » est un adjectif qualificatif inventé par Lewis Carroll pour son poème Jabberwocky. Il est employé ici uniquement pour faire le malin.
[5] Voir l’article en deux parties Le Diamètre de l’Ipsikiff respectivement datées du 24/05/2025 et 23/06/2025.
[6] « Jaja » était le diminutif donné à Jacques Jaminon, un des fondateurs du Cirque Divers.
[7] Le Cirque divers était un cabaret liégeois, fondé en 1977. Il est possible d’en savoir davantage à son sujet, notamment à travers la lecture du Jardin du Paradoxe, paru chez Yellow Now, à Liège.
[8] (+ ou -) Vous m’avez apporté la célébrité et la fortune
Et tout ce qui va avec
Je vous remercie tous
Car nous sommes les champions du Monde

À la veille de célébrer les morts (ou anciens vivants), vous abordez le temps qui passe, le combat contre ce fléau et le souvenir pour ne pas sombrer… Mais nous n’avons pas tous la même conception du sablier. Certains trouvent la vie longue, n’ont pas de projets précis, pas d’envies ou de passion. Ils errent sans but. Qu’en est il de ceux là ? Les mots qu’ils soient sous forme d’une nouvelle, d’un poème, d’un roman ou d’un simple post it prennent du temps à l’auteur et au lecteur (réf: merci d’avoir pris le temps de me lire). Ils touchent l’âme et ils transforment. Vous sortez de vos lectures plus heureux, plus intelligents, plus amoureux des mots.
Merci l’artiste, merci pour vos mots et vos notes de bas de page.
Voilà un beau commentaire.
Merci beaucoup.
Superbe…Oui les égiptiens on pensés pour durer pas comme les chinois.
j’aime cette lecture pleines de vérité et de bon sens… Merci Georgie de Saint-Maur…
Daniel Fery
Merci d’avoir lu, Daniel.
Très content que ça vous ait plu.
Bien content que ça plaise à tout le monde.
Merci d’avoir lu et d’avoir laissé ce commentaire Daniel.
Bonjour Georgie, J’ai vu ce matin à travers mon brouillard habituel que j’allais vous lire, et sachant ça, cela m’a rendu un rendez-vous désagréable agréable.
Je me perds avec délice dans votre écrit.
Je fais le tour des mots : rhomboïde, asthénie…
Je veux relire l’ipsikiff et je « tombe » sur Humpty Dumpty. (J’ai une connaissance qui prononce empty, quelque part entre « Humpty » et « empathy », à tous les coups j’en ai une hausse de tension.)
Je vous laisse car je retourne vous lire :’0D Johanna
Un beau commentaire, Johanna.
Oui Humpty Dumpty est forcément « empty », puisque Carroll a imaginé ce personnage au départ de cette vielle blague que l’on fait aux enfants : après avoir dégusté un œuf à la coque, on le retourne dans son coquetier de manière à faire croire qu’il n’a pas encore été ouvert. Et on le propose à l’enfant.
Humpty Dumpty pourrait donc se traduire par « coquille vide », belle ironie pour quelqu’un qui prétend connaître et dominer le sens de toute chose.
Merci de me lire.
« Trois autocitations en l’espace de dix lignes », ça m’a bien eu au détour de la réflexion du moment !
Joli travail !
Toujours fier d’être lu par vous, Numa.
Toujours content que ça vous plaise.
Merci.
Cher Géorgie, merci pour votre communication sur nos pensées volatiles et oublieuses. Je vous ai lu. Ceci demande à être approfondi par les parties à suivre. J’ai aimé votre humour comme toujours. Merci.
Philippe G. Brahy.
merci d’avoir pris le temps de lire et de faire ce commentaire, Philippe.
Drôle mais pas que…
Donc plus que drôle.
Très fier également d’être lu par vous, Eric.
Je suis très flatté par la nature de mes lecteurs.
Toujours des pointures !
Merci.
Oh merci.
Et réciproquement.
Merci infiniment !
Ce parcours plongé dans les bacchanales d’une ivresse christique, ce détour retour en ronde bosse et circonvolutions à l’appel du tombeau et du déclin de la terre, ce penchant de l’existentiel au mortel m’auront-ils remise sur pieds et à pied d’œuvre ?
Tout aussi absurde que le désespoir, l’enthousiasme futile et fragile talonne du chef avec cette petite remise en beauté mentale et matinale : au réveil les mots (miens que je voulais effacer) avec les vôtres sont des remèdes (comme des poisons) !
Mais ici on savoure.
Double remerciement pour cette envol intelligent d’une pensée créatrice répondant à l’autre, ce petit moi, à cet Autre inconnu.
L’art, la vie, la mort et l’écrit tentent depuis des décennies de faire d’autres pliages et plages de ce monde (et je m’y colle les doigts et les fois !): cette merveille « alicéenne » comme vous se joue à tout : la vie est un jeu ; amusant et douloureux : une illusion incarnée de notre folie non perdue à perdurer !
J’en réclame une seconde : tant à faire avant de disparaitre ! Oui ce n’est plus suffisant ce temps compté !
Et puis nous sommes seuls : sale affaire, à faire défaire encore le nœud de Moebius : à retourner relire en tout sens et non sens le livre de notre vie.
Et ses archives ! Grands dieux ; comment ranger dans notre pyramide avant départ ?
Session rattrapage contrôlé : vous étiez là : à l’article de ce silence atterré mien.
Triple saut et triple merci : le plongeon dans le vide n’aura pas encore lieu! Le cirque divers peut briller : art sauveur ! Heureusement que tu étais là dès le départ de ma petite vie ! Vous dites ce que l’on ressent.
Quadruple merci JE VOUS LIRAI VITE !
Vos articles et vos livres Bozon2x c’est vraiment très bien ! Rachel une amie est avec vous : à broyer aboyer nos silences Ah l’âme belge.
Dernier merci. EM !………..
Connaissez-vous le VPPB ? C’est le « vertige positionnel paroxystique bénin » Vrai : j’en suis atteinte de temps en temps ! Histoire d’oreille interne : ce qui se dit en dedans
Bref. Pour votre lien et votre signe.
Voilà un commentaire qui est lui-même un texte, Élisabeth.
Je vous en remercie.
Je suis bien content de vous compter au nombre de mes lecteurs.
Toujours ce bel humour et cette réflexion en arrière plan un texte fort bien rédigé merci et au plaisir de.
Merci d’avoir pris le temps de rédiger ce commentaire, Jean-Paul.
Tout ça fait bien plaisir, évidemment.
Au plaisir de.
Pas mal du tout.
Je retiens surtout « si on me demandait quel est le paroxysme des miracles accomplis par Jésus de Nazareth, je répondrais, en bon œnophile, que c’est d’avoir changé l’eau en vin » !!! Et j’approuve 🙂 !!!
Merci d’avoir fait ce clin d’œil, Jac.
Content de vous avoir parmi mes lecteurs.
Merci Georgie d’avoir illuminé mon réveil 😊
Je lis vos textes le sourire aux lèvres mais en me concentrant, tant ils foisonnent de références, de bons mots, d’humour et d’intelligence !
Merci encore, bonne journée à vous.
Bigre.
Merci Myriam.
Très content que ça vous ait plu.
Humour, bons mots, intelligence… J’suis un mec comme ça, moi… faut m’prendre comme je suis !
Blague dans le coin : encore merci Myriam d’avoir pris le temps de me lire.
Vous êtes atypique, et l’évolution du temps est une ellipse géographique dans l’élaboration de votre discours. Sachez rester inspiré, mais surtout ne retournons pas au 20 iéme siècle !
Merci d’avoir pris le temps de me lire et de laisser ce commentaire, Elisabeth.
Je me disais en vous lisant cher Georgie, et en repensant à l' »Ipskiff » ou ce que j’en ai compris ce qui n’est peut-être pas la même chose, que nous étions un peu semblables.
Je pense que toute votre vie, à votre façon, vous avez lorgné vers une certaine reconnaissance sur un plan artistique. Pas tant pour passer à la postérité (en tout cas au début), je crois, que pour justifier une activité sérieuse dans un monde qui ne l’était pas mais qui cependant demande à chaque artiste potentiel cet « ausweis » qui aurait pu engendrer à une autre époque un certain « mécenat ».
Et finalement, quoi de plus tentant que d’envoyer, un peu comme un marteau corse, son ambition naissante et bien excitée tout le long du périple, le plus loin possible. Au delà des mers et des terres et du temps (tant qu’à faire). Selon bien sûr d’où nous venons et d’où nous nous époumonons à vide bien souvent.
Car tout est évidemment relatif ici bas.
Enfin, je vous donne raison. Autant joindre le futile (ou non) à l’agréable et le pousser au delà des âges et du raisonnable évidemment.
Et toute cette légère digression me renvoie à moi même. Un truc du style;
« pourquoi tout « créatif » veut-il laisser des traces?
Pour ne pas se perdre tout simplement. »
Bien à vous.
JLD
Cher Jean-Luc,
laisser des traces pour ne pas se perdre… Tous les artistes seraient, en somme, des « petit Poucet ».
L’idée est très séduisante et donne envie de relire vos ouvrages.
Je rappelle d’ailleurs, à toute fin utile, qu’ils sont parus chez Cactus Inébranlable.
C’est une coïncidence heureuse que vous abordiez la reconnaissance des autres, car elle fait l’objet de ma nouvelle « Le Tabernacle de Zeuxis » (parue tout récemment dans le n°18 de la revue L’Ampoule), où figurent toutes les réponses à vos questions pertinentes.
https://www.editionsdelabatjour.com/