Le rempart schizophrénique
Je fais partie (vous le savez tous à présent) des fameux psychanalystes sans frontières.
Je n’en tire aucune vanité, mais je suis relativement réputé pour mes découvertes de nouveaux syndromes et leur traitement.
Les longues promenades dans les marécages ou dans les sables mouvants (préconisées par certains confrères) sont passées de mode et sont, finalement, à exclure.
Elles ne servent qu’à enfoncer davantage le patient dans sa forme d’autisme.
Mes travaux personnels s’inspirent notamment de ceux de Joseph Bertron (interné à Bicêtre en 1977), qui préconisait de se déplacer uniquement en sautant, de manière à bien rendre compte de notre différence et de l’assumer face à la société.
Mais l’énergie déployée pour ce type de thérapie a finalement conduit à son abandon.
Mes articles ont abordé sans fard, vous l’avez constaté : la trahison, le divorce et le célibat.
Ils se sont tous, en quelque sorte, focalisés sur la solitude.
Mais aujourd’hui, tout change !
Nous allons ausculter ensemble les rencontres.
Je parle évidemment de celles qui ont des conséquences.
Ce qu’il est convenu d’appeler : les belles rencontres.
Tant mieux parce que j’en avais un peu marre de jouer tout seul à « coucou qui c’est ? ».
À noter que, même à deux, ce jeu ne devient pas forcément plus passionnant (au contraire du ping-pong ou du poker menteur).
Une jeune et jolie femme est tombée sous le charme de mes écrits.
Eh bien, pour une fois qu’ils servent à quelque chose…
Pas étonnant que cela m’inspire cette petite bafouille d’été.
Alors : se laisser tenter ?
La victime est si gaie, comme dans les fables de Philippe Lafontaine.
Car un homme qui écrit, c’est un peu comme une pute qui s’avance vers la foule.
Elle va rencontrer beaucoup d’imbéciles.
Parfois, la tristesse s’invite par la fenêtre en compagnie du temps qui passe.
En jetant des bouteilles à la mer, l’espoir peut ressurgir du passé.
Plus dangereuses que les compagnons de Baal ou ceux de Jéhu, les Trois cloches des compagnons de la chanson ont traumatisé nos méfiances.
Le destin peut parfois donner l’impression de faire du sur-place ou de patiner dans l’ornière.
Ça trouve son explication dans la richesse des éléments qui sont en train de s’installer.
Or nous avons tous, en nous, un rempart ; une muraille ; une enceinte qui nous préserve d’être quelqu’un d’autre.
Heureusement d’ailleurs, sinon nous serions tous susceptibles de devenir n’importe qui.
C’est une sorte d’instinct de conservation psychique, si vous préférez (oui, je crois que vous préférez).
Cette barrière schizophrénique nous garantit des intrusions assoiffées d’influence (les emmerdeurs), et solidifie notre originalité.
La balle est sous nos pieds et la raquette est dans notre camp.
Nous avons tous une personnalité complexe, édifiée patiemment (entre autres) au gré de nos expériences.
Mais aussi à travers des héros dont la bravoure nous a modelés et dont nous ne devrons jamais nous laisser détourner.
C’est ainsi que je songe au nombre incalculable de fois où je me suis identifié à Cadet Rousselle.
Je galopais comme un damné le long de la falaise, le vent balayé par mes cheveux…
Trois maisons ?
Quel défi lancé au marché immobilier actuel !
Si une des stratégies de la séduction consiste à mettre nos qualités en évidence, ce n’est pas grave parce qu’elles nous appartiennent.
Le tout est de ne pas se limiter à leur seule expression.
Personne n’est comme ça.
Ça n’existe pas !
Sentimentalement, une attitude est Inspirée par celle d’Hamlet face à Claudius [1].
En P.S.F. nous l’appelons plus communément : « La porte de Tchéou Sin [2]»).
Elle consiste à inquiéter l’autre sur notre état de santé mentale, afin qu’il nous croie capable de faire n’importe quoi.
Une bien étrange stratégie pour répondre à une tendre « menace » émotionnelle.
Celle de s’attacher.
Dans notre mode amoureux, vient déteindre, comme un slip rouge dans une machine de blancs, Die Ewige Wiederkunft de Nietzsche, pour rester dans la référence savante, qui semble être mon péché mignon ou un de mes pires défauts (veuillez cocher la case qui vous semble adéquate).
Des gens qu’on a aimés et qui réapparaissent miraculeusement.
Si on me le demande, je ne pourrais pas vraiment certifier que de tels prodiges arrivent à tout le monde ; tout simplement parce que je ne connais pas tout le monde.
Mais c’est peut-être fort répandu (va-t’en savoir).
Pour les anciennes amours, les facteurs aggravants de leur déformation (bien souvent sans lien avec la réalité) en font des poupées de cristal dans la vitrine de notre mémoire.
Des figurines auxquelles nous n’osons pas trop toucher car nous ignorons tout de leur utilité.
Nous méconnaissons la garantie qu’elles nous procurent.
Et, finalement, si nous avons peur de les briser, nous ne pouvons pas vraiment expliquer pourquoi.
Si la machine à voyager dans le temps existait, tous les gens venant du passé nous offriraient un même profil désuet et un peu stupide ; car ils ne connaîtraient aucune des inventions modernes. Tout leur échapperait.
Ils seraient pétris de concepts qui ne font plus partie du monde.
Souvent, on ne veut pas revoir les amours du passé ; c’est peut-être parce qu’on ne veut pas devenir, soi-même, un fantôme.
On veut rester reconstruit par nos nouveaux acquis, avec notre richesse actuelle ; et sans avoir besoin de l’expliquer à des personnes qui nous imaginent différents.
Car beaucoup d’autres vont nous penser différents.
C’est aussi une attaque massive contre notre personnalité.
Mais qu’en est-il d’une nouvelle rencontre ?
D’un souffle nouveau d’aventure qui n’a rien à voir avec les momies habituelles ?
D’une vraie personne, vivante, tout à coup devenue presque semblable à nous ?
Comparable à un électrochoc.
À un écho à notre quête de sens.
Aurons-nous l’audace de nos trois maisons, de nos trois chapeaux, de nos trois manteaux et du plus malin des trois petits cochons ?
Attention ! Notre désir de ne plus être seul peut nous amener à accepter d’être quelqu’un d’autre.
Pour plaire, on peut être tenté de paraitre différent.
Par exemple dans un couple il n’est pas rare qu’il y ait des compromissions, des transactions. Comme dans L’arrangement où Kirk Douglass fait ce qu’il ne veut pas faire [3].
C’est la raison pour laquelle, bien sûr, nous allons droit dans le mur ; dans la muraille du rempart schizophrénique.
Déjà, dans notre entourage, nous ne connaissons, en réalité, que des théories d’amis.
Je parle de relations suivies avec des amis véritables, qui font partie de notre vie.
Eh bien, dans l’intervalle, court ou long, qui peut parfois nous séparer (une semaine, un an ou davantage), peuvent se produire, sans que nous le sachions, des évènements qui vont radicalement les transformer.
Ils ne seront plus les mêmes.
Nous ne posséderons d’eux qu’une image obsolète [4].
Alors combien plus pour de nouvelles amours ?
Ne nous leurrons pas et admettons-le : nous ne connaitrons jamais personne.
Dès lors, au nom de quoi refuser la main tendue ?
Evidemment, la prudence empirique devrait réfréner la partie romantique, (je devrais dire « romanesque ») de ma personnalité [5].
Mais, sans même le chantage d’une lampe de flic dans la gueule, il me faut bien avouer qu’une nouvelle rencontre, ça vaut le coup !
Beaucoup d’artistes ont traité de ce thème : Terry Gilliam dans Twelve monkeys, Hitchcock dans Vertigo, Oswald Wiertz et sa Belle Rosine, sans oublier le célèbre Hat/coat de John Culard [6].
Pourquoi les humains se croisent-ils (et surtout ironiquement tardivement) ?
Je repense parfois à cette femme qui m’avait dragué lors d’une fête et qui reculait d’une chaise à chaque maladie que je lui confessais.
Dans la perspective d’un succès, ce genre d’annonces est à éviter.
Notez que si ça doit arriver, ça arrivera !
Mais il n’est pas interdit de donner un coup de main.
Qu’il n’y ait pas de hasard tantôt nous rassure tantôt nous effraie.
Nous voici arrivés à destination, amis lecteurs.
Comme je n’avais rien prévu, puisque j’écris cette Folie au débotté (et en période de vacances), nous nous quitterons, pour des raisons qui demeureront impénétrables, avec ce plaisantin de Georges Brassens :
« Et, dans le cœur de la pauvre Hélène,
Moi j’ai trouvé l’amour d’une reine
Et moi je l’ai gardé. »
Voilà, je vous rappelle le programme : un prochain article à la rentrée ; enfin, si mes éditeurs sont toujours d’accord (ils ont reçu des lettres de menaces).
Merci pour vos partages, pour vos très nombreux messages sur Messenger et merci d’utiliser parfois l’espace commentaires.
J’essaie toujours d’y répondre.
Merci aussi pour vos courageux abonnements.
Vous qui passez en ces lieux, ayez une pensée pour Georgie, le bouton noir de la famille de Saint-Maur.
[1] Hamlet semble incapable d’agir et, devant l’étrangeté de son comportement, l’on en vient à se demander dans quelle mesure il a conservé la raison.
[2] La comparaison est tirée de la situation de la Chine au temps du roi Wen. Il se trouvait à la cour du tyran Tchéou Sin. L’heure des grandes actions n’était pas encore venue. Il pouvait seulement tenir jusqu’à un certain point le tyran en bride par des suggestions empreintes de bonté.
[3] L’arrangement est un film réalisé par Elia Kazan en 1969, où le publicitaire Eddie Arness (incarné par Kirk Douglass), travaille à la promotion de cigarettes, alors qu’il sait pertinemment qu’elles peuvent provoquer le cancer.
[4] Cette notion ectoplasmique est largement développée dans mon étude sur Les Fantômes du château de sable du romancier Hector Rigault, à paraitre, fin 2025, aux éditions Sans Crispation à Paris.
[5] Romanesque, oui, mais peut-on vraiment en faire le grief à un romancier ?
[6] John Culard (chef de file du mouvement Intentionniste), pour symboliser la rencontre, avait placé des manteaux surmontés d’un chapeau sur des cintres qui glissaient, de façon aléatoire, le long de câbles tendus dans tout son espace d’exposition.
Merci pour ces lumières, docteur ! (Je vous dois combien ?)
Merci pour votre humour, Wilfried.
Et merci d’avoir pris le temps de lire et de laisser ce commentaire.
Vraiment, ça fait du bien.
👍
Merci Michel.
Cher Géorgie,
Une vrai bouffer d’oxygène, j’ai largement préféré ce texte au précédent. Très vrai, Beaucoup d’humour, et pourtant…
Bravo et a la prochaine lecture
Amicalement Rémi
Merci d’avoir pris le temps de lire, Remi.
Et surtout, ravi que ça vous ait plu.
Si je m’en réfère aux courriers que je reçois sur « Messenger », vous êtes effectivement nombreux à avoir apprécié cet épisode.
Je m’en réjouis.
Dès demain, je serai dans les bureaux de Bozon2x pour une révision des contrats en ma faveur.
En espérant que cette augmentation substantielle ne dépendra pas de la signature de monsieur Demesmaeker…
Encore merci d’avoir laissé un commentaire.
Cher Georgie de Saint-Maur
Je salue votre article comme on salue une vieille connaissance rencontrée dans une salle d’attente de l’inconscient avec stupeur, tendresse… et un soupçon de vertige. Prose d’une cartographie subtile des plis et replis du moi qui m’invite à l’Aventure.
Pour cela, mon transfert vous est acquis.
Puisse votre plume continuer à forer nos murailles avec grâce, et à jeter sur nos névroses cette lumière oblique que seuls les vrais cliniciens du verbe savent manier.
Avec admiration et gratitude,
Nathalie Roudil Paolucci
Bigre…
Très touché, Nathalie.
Et très content que le texte vous ait plu.
Bien entendu… Je ne vais pas cracher sur de tels compliments.
Je suis un gentleman.
En espérant vraiment en rester digne.
Encore merci.
Merci pour votre texte.
C’est moi qui vous remercie, Eric.
Merci d’avoir pris le temps de le lire.
« Car un homme qui écrit, c’est un peu comme une pute qui s’avance vers la foule.
Elle va rencontrer beaucoup d’imbéciles. » Là, j’ai fait un copié/collé de cette phrase embusquée dans votre texte. C’est elle ( la phrase, pas la pute ) qui m’a fait sursauter. Pourquoi ? Parce que j’ m’attendais bêtement à ce que vous confessiez qu’un homme ( ou une femme ) qui écrit fait bien souvent la pute. Alors que là, vous voyez des imbéciles dans la foule qui ont l’outrecuidance de ne pas comprendre ou apprécier votre prose. Ou alors, il y a là une inversion volontaire de points de vue, comme dans ces autres phrases copiées/collées : « La balle est sous nos pieds et la raquette est dans notre camp. » « Je galopais comme un damné le long de la falaise, le vent balayé par mes cheveux. »
Au final, tout cela est de l’humour, je n’en doute pas.
» Une jeune et jolie femme est tombée sous le charme de mes écrits. » (copié/collé). Et alors ? Et alors ? s’époumonerait le regretté Henri Salvador ( qui a peut-être connu Philippe Lafontaine ou alors, c’est le contraire ).
Belle fin d’été.
Merci pour ce commentaire percutant, Marguerite.
Et pour votre évocation de ce brave Henri, qui s’est finalement endormi pour toujours dans son jardin d’hiver non sans un dernier salut à travers le chapeau-claque du magicien qu’il était.
Vian et ses amis ‘pataphysiciens l’avaient décoré de l’ordre de la grande Gidouille, quand même ; ça n’arrive pas à tout le monde.
Quant à mon texte où Zéro est arrivé, je suis content que son humour vous ait plu (c’est quand même un peu le but, au bout du compte).
Nul doute que mes éditeurs soient ravis de vous compter au nombre des lecteurs de leur site « Bozon2x ».
Blague dans le coin, encore merci.
Bonjour Georgie,
J’ai pris plaisir à lire ce que vous avez écrit. La lecture était plaisante et drôle à la fois. J’ai été séduite par le remède de Joseph Berthon: se déplacer en sautant et l’assumer pleinement. De plus, les apparitions étonnantes et divertissantes de Cadet Rousselle, les fables de Philippe Lafontaine, les compagnons de la chanson, Hamlet, la dynastie Zhou chine, tout ce petit mode rentre en scène très naturellement avec humour.
Je soutien entièrement, la mise en garde dans votre texte « N’acceptez surtout pas d’être quelqu’un d’autre car vous avez été divertissant.
Bonne continuation…
Jacqueline
J’ai écrit ce commentaire sur le site web Bozon2x.be.
Je ne l’ai pas vu apparaître.?
Je vous l’envoie en MP .
Merci d’avoir pris le temps de lire, Jacqueline.
Et merci d’avoir laissé ce gentil commentaire.
Cet espace-commentaire a parfois des ratés, effectivement. Lorsque cela arrive, je préviens toujours l’éditeur et nous cherchons ensemble une solution.
Permettez-moi de vous présenter toutes mes excuses ; d’autant plus que laisser un commentaire est une démarche assez rare et qui mérite d’être encouragée.
pour en revenir à cet épisode de ma chronique mensuelle, je suis ravi qu’il vous ait plu.
Il y a, en effet, tout un petit monde drolatique que je m’efforce de mettre en scène.
Ce dernier se conjugue avec des citations (dont on me reproche souvent la complexité) et des mots de vocabulaire peu usités.
C’est ma marque de fabrique.
Je vous suis reconnaissant de l’apprécier et de faire partie de mes lectrices.
Bien à vous.