Le Bestiaire équitable : deuxième épisode
Deuxièmes analyses
Section 2 : les animaux aquatiques et amphibies
Cette section était la moins fournie du livre. Volontairement.
Un parti pris qui entendait refléter le fait que, si la vie sous l’eau est extrêmement diversifiée, elle demeure évidemment de peu d’importance, puisqu’on ne la voit pas. (Ou si peu).
Cela étant dit, une place de choix y était réservée aux poissons. On dit trop rarement, en effet, que ceux-ci assurent l’essentiel de l’animation dans toutes les eaux du globe, lesquelles sans ces inlassables nageurs seraient bien austères. Tristes comme un aquarium à tourteaux.
Les requins, si malfamés, y étaient défendus avec éloquence. Si souvent traités de mangeurs d’hommes, il était rappelé à cet égard que la réciproque est vraie aussi. Il était même affirmé, preuve à l’appui, que des communautés entières étaient décimées pour une tonne ou deux d’aileron, quand les requins, de leur côté, n’emportaient la plupart du temps qu’un morceau de planche de surf, parfois une jambe avec, mais rien de bien méchant.
Enfin, un vibrant hommage était rendu à la talentueuse corporation des poissons bricoleurs, qui accomplissent au quotidien, et sans faire de vague (ni même aucun bruit), un travail remarquable, pour peu que nous prenions le temps de descendre à 100 ou 200 mètres sous la surface. Il était révélé à un public peu averti comment, par exemple, le requin-marteau et le poisson-scie, qui travaillent la taule comme personne, vous retapent un sous-marin échoué en 6 semaines pour en faire un hôtel étape ou un restaurant de fruits de mer. Le tout en tenant les délais et en sous-traitant un minimum de tâches (pour l’essentiel le serrage de la visserie, confié au crabe à pince multiprise).
Aucun vestige de cette section n’est à ce jour remonté à la surface.
Jérôme Pitriol
L’Odeur du Bestiaire (Philippe Sarr)
Le mensonge donne des fleurs mais pas de poissons !
Un homme seul
L’homme doit vivre seul. Par goût. Doit se coucher tôt. Aimer se tartiner des sardines à l’huile en rentrant du boulot. Peut-être est-il aussi amateur de vins bio. Rouge. Je l’imagine sentant des pieds. Sentir ses chaussettes après les avoir retirées doit aussi être dans ses habitudes. Il ne s’en rend plus compte, c’est devenu chez lui un geste automatique. D’ailleurs, à part ses délires d’éthologiste de comptoir, tout chez cet homme est automatique. Je le vois travaillant à la Poste, ou dans une perception… fonctionnaire.
Lorsque j’ai entamé la lecture du chapitre traitant des animaux amphibies, j’ai tout de suite pensé que j’allais devoir me farcir la description de la lente évolution des Tétrapodes, ou de celle du Périophtalmus barbarus, plus connu sous le nom de poisson grenouille… ce ne fut pas le cas ! Nenni. Rien non plus sur les tortues, les reptiles, crocodiles et autres caïmans… Ni sur les hippopotames, pas plus que sur la multitude de rongeurs, castors, ragondins… qui peuplent les eaux douces de la planète. Rien de tout cela. Rien ! Les seuls amphibiens à la connaissance de ce naturaliste auto proclamé se trouvent être : Les poissons !
Oui, les poissons. Ne riez pas !
Si riez… et pas n’importe lesquels, uniquement ceux qui vivent dans la mer. Quelle importance me direz-vous, qu’ils vivent dans l’océan ou dans nos rivières, les poissons, animaux vertébrés aquatiques à branchies, pourvus de nageoires et dont le corps est le plus souvent couvert d’écailles ne sont aucunement des animaux amphibiens. Mais, notre homme est bien au-dessus de ça, muni de son crayon à hydrofoils, il vogue au dessus des vagues. Rien ne peut l’arrêter, et surtout pas ce genre de considérations éclairées que je viens d’exprimer. Non, lui, son encyclopédie, ses connaissances, il va les chercher dans les contes d’Andersen. Tenez, je le vois, là, vêtu dans son petit pyjama constellé d’étoiles de mer rêvant qu’il… (Ceci peut être lu? Ok d’accord…) qu’il dort dans les bras de la Petite Sirène…
Serge Cazenave-Sarkis
L’Odeur du Bestiaire
— Quel saumon choisir ? Écosse ou Norvège ?
— Il y a deux écoles. Il y a ceux qui pensent que les antibiotiques, ce n’est pas obligatoire, et il y a les autres, qui préfèrent assurer le coup.
Chacun fera son choix en fonction de sa sensibilité.
Best of
Certains animaux ne posent jamais de questions ni ne font aucune critique. Mais ce ne sont pas ceux que l’on croit !
(Attribué à un certain Eliot)
Non mais allô quoi !
Le fabuliste nous livre ici matière à réflexion.
« La vie sous l’eau est en revanche de peu d’importance, bien évidemment, puisqu’on ne la voit pas (ou si peu) »
En vérité, Pitriol a vu s’insurger toute la littérature marine intra et extra muros. Le courroux était tel que pendant quelques années, il a dû se retirer en Auvergne où, dit-on, il se serait laissé glisser au fond d’une mare afin d’y voir plus clair.
Et pourtant, …
Le lecteur averti ne s’était pas mépris. Est-il primordial de voir ?
Toute la richesse n’est-elle pas dans le non-voir, le rien, le vide, l’abyssal, le néant, le blanc (et là permettez-moi de faire un clin d’œil littéraire à l’œuvre de Sarr (« les Blancs ») qui aura su, dans un trait de génie absolu, comprendre l’incompréhensible de son ami et contemporain.
Je lui tire mon béret basque en guise de chapeau.
Minily & Souris
L’Odeur du Bestiaire
— La grenouille est-elle la femelle du crapaud ?
— Il s’agit de leur vie privée. Soyons respectueux.
Best of
Le chemin qui mène à l’amour des hommes passerait désormais par l’amour des animaux.
Illustré de miniatures
Bien après le Physiologos, (que l’on date généralement du IIème siècle), le « Bestiaire équitable » reflète par ses magnifiques enluminures contempo-raines que la Terre est le livre dans lequel Dieu a maladroitement griffonné.
Les animaux sont ainsi mis en relation complexe avec la divinité. Dont acte.
Extrait :
« Beaucent, le sanglier, grogna comme une pétrolette :
— Crois-moi, Belin, une fois que je serai passé par ce champ, même Attila aura l’air d’un désherbant proscrit.»
Mais le « Bestiaire équitable » se démarque toutefois notablement des bestiaires médiévaux par l’introduction d’une intrigue amoureuse.
Un héros, habilement caché dans les taillis touffus des paragraphes, est follement épris d’une princesse victime d’un sortilège, mais ignore quelle forme elle a bien pu prendre. (Nous, nous savons que c’est la forme d’une superbe licorne, mais pas lui). Seul un baiser sincère pourra lui rendre son aspect originel (bêrk).
Or, il se trouve que notre protagoniste semble convaincu qu’il doit orienter ses recherches vers les hippopotames (voir section 6). Nous savons qu’il est dans l’erreur, mais comment lui faire savoir ?
C’est, sous cette intrigue-prétexte, que notre fabuliste nous entraîne dans le questionnement antédiluvien de l’influence du lecteur sur les personnages d’un livre.
Ce bestiaire, de toute beauté, voyage de zoo en zoo comme un vibrant hommage à la station de Berlin où Lou Reed [1]attendait sa drogue. L’auteur y est sans concession : soit son héros se débrouille tout seul, soit il n’achève pas la rédaction du bestiaire (punition terrible pour nous, ses lecteurs, qui avons déjà beaucoup donné à cette lecture chronophage).
Ce bestiaire est, en quelque sorte, le tonneau d’un Diogène [2]transformé en danaïde ! Il plie, mais ne se rompt pas. Tel un lancier perdu donnant héroïquement l’assaut aux troupes polonaises, le « Bestiaire équitable » remplit notre existence de réponses espérées.
Non, nous ne verrons plus les amphibiens du même œil torpide. Non, nous ne mangerons plus de sauterelles sans songer au goût exquis du saumon fumé, avec de la crème aigre et des rouelles d’échalotes. Finies les parties interminables de Monopoly où on se demande bien pourquoi on a accepté de jouer.
Notre romancier a franchi avec nous, d’un pas de géant, la reconnaissance d’une œuvre nationale dans sa pleine et entière territorialité.
Georgie de Saint-Maur
L’Odeur du Bestiaire
— J’ai entendu dire qu’il existait des points communs entre une seiche et un auteur. Est-ce exact ?
— C’est bien le cas. Quoiqu’assez dissemblables sur le plan morpholo-gique, ils ont en commun d’être assez méprisés de leur vivant, puis très prisés ensuite pour la décoration d’intérieur, la première pour son os lisse et blanc, le second pour un livre en dix volumes correctement reliés, qui sont du plus bel effet, bien mis en valeur sur une archelle. Par ailleurs, l’un comme l’autre utilise leur encre pour échapper à une agression, même si le style de la seiche est souvent beaucoup plus fluide.
Les poissons solubles
Tout le monde connaît-il Arc-en-ciel, le plus beau poisson des océans, créé par l’écrivain suisse Marcus Pfister [3] ?
Arc-en-ciel, que ses congénères boudaient tant ils lui enviaient sa délicieuse beauté, sa parure étincelante faite d’écailles lumineuses ??? Tant et si bien que, jalousé et se retrouvant seul, Arc-en-ciel dut, sous les conseils avisés d’une pieuvre et d’une étoile de mer, faire don de ses attributs (ses écailles) afin de retrouver une vie sociale digne de ce nom.
On peut supposer que l’auteur, d’une grande curiosité, connut celui que l’on surnommait le poisson perdu. Et qu’à travers cet épisode marin il ait cherché à rendre hommage aux animaux aquatiques qu’un sort bien étrange semble avoir consignés dans les profondeurs aquatiques.
Par jalousie donc.
Une forme de discrimination intolérable pour l’auteur du bestiaire équitable, le chantre de l’égalité pour tous, le contempteur de toutes formes de discriminations. Les mythes et légendes ne manquent pas de nous rappeler ce que furent en des temps immémoriaux les sirènes, méduses et autres naïades. Ni que Vénus, la déesse aux yeux doux, jaillit de l’écume sur un coquillage lui tenant lieu d’abri et d’embarcation.
La mer, principe femelle, recueillit, dit-on, les organes génitaux d’Ouranos. Facile dés lors d’imaginer ce que les créatures qui l’animent représentent dans notre inconscient collectif. Mais encore la méfiance qu’ils suscitent.
J’eus cette chance, jadis, de collaborer avec notre auteur amphibien (certaines rumeurs en font un nageur hors pair) dans un cadavre exquis intitulé « Deux vies hollywoodiennes ». Il aurait pu s’agir de poissons solubles, ce qui ne fut pas le cas. Il y était davantage question de gros poissons. De comédiens. Dont un certain Fatty Arbuckle [4].
Philippe Sarr
Best of
Poisson échaudé ne craindrait plus l’eau froide
2èmerésumé du « Bestiaire équitable »
Cet ouvrage est une révolution. Un classement scientifique inédit, organisé et motivé par des critères objectifs de la vie animale. Mes principaux détracteurs – mes collègues universitaires les plus jaloux – ont voulu n’y voir qu’un catalogue empilant généralités, approximations et lieux communs, sans plan véritable. L’un d’eux, le plus spirituel du lot, crut bon de déclarer : « Un livre à ranger dans la catégorie des invertébrés ». Ignare.
Plus grave encore, on a accusé mon travail d’être traversé de bout en bout par un scandaleux parti-pris. Ma classification – qu’aucun de mes collègues ne se risque à suivre de peur, c’est évident, d’être marginalisé avec moi par la communauté scientifique –, n’aurait d’autre raison d’être que de discréditer certaines espèces, pour mieux en valoriser d’autres. Je commencerais donc par les insectes, à éradiquer de toute urgence ; ferais suivre les animaux aquatiques, trop dégénérés pour avoir leur place sur terre ; puis les oiseaux, tout juste bons pour accompagner pommes de terre et légumes verts au déjeuner ; les mammifères quelconques, à la chair un peu plus relevée ; les meilleurs amis de l’homme, tolérés pour leur qualité d’écoute ; les poids lourds du règne animal, qui présenteraient un intérêt touristique ou médiatique certain ; et les hominidés, pour finir, qui se retrouveraient tout en haut de la pyramide, pour signifier sans ambiguïté le règne de l’intelligence.
Voilà comment on a résumé le travail de toute une vie. En réalité, c’est le contraire. Mais je ne m’abaisserai pas à disputer avec les esprits obtus. Les amoureux de vérité et de rigueur scientifique jugeront.
Jérôme Pitriol
L’Odeur du Bestiare
— Est-ce mal d’ébouillanter son homard vivant ?
— Si c’est votre animal de compagnie, oui. Assurément. Si c’est pour le dîner, les avis sont partagés. Il est normal en tout cas que vous ayez des scrupules : vous avez de l’empathie, vous vous mettez à sa place. Le mieux est de tuer votre homard avant de le plonger au court-bouillon. Vous pouvez par exemple commencer par lui sectionner les pinces à l’ouvre-boîte, pour éviter toutes représailles, puis lui cisailler les yeux et les antennes à l’aide d’un coupe-ongle ordinaire. Vous finaliserez ensuite au mieux votre travail en laissant parler votre intuition.
Le questionnaire de Louise Berg (suite)
Comment définiriez-vous votre rapport à l’écriture ?
Depuis quand écrivez-vous ?
Écrire est à la fois un devoir et un plaisir.
Je crois qu’on peut parler de vocation.
Pas de souffrance chez moi, dans l’acte d’écrire (je sais, c’est un peu décevant, en ces temps d’apitoiement feint), rarement même l’angoisse de la page blanche, car, en réalité, je m’arrange pour écrire peu, pour ensuite faire ce que j’aime vraiment : réécrire.
J’ai commencé à écrire très jeune. À 32 ans. C’est-à-dire dès que la volonté a été plus forte que la crainte d’ennuyer.
Ce que nous savons
Serge Cazenave-Sarkis poursuit ici patiemment son entreprise de démolition de l’œuvre, qu’il sait très approximative, et refuse de s’émouvoir devant quelques signes de bonne volonté.
Minily & Souris révèle à tous que l’auteur s’est glissé au fond d’une mare pour y voir plus clair, sans pour autant citer ses sources.
Tandis que Philippe Sarr, au contraire, surestime grandement les talents de nageur de l’auteur.
Quant à Georgie de Saint-Maur, il a bien compris l’allusion à un rock’n’roll animal aux écailles électriques et ne se prive pas de le dire.
[1]Lou Reed est un rocker, surnommé le fantôme du rock, fondateur du Velvetunderground.
[2]Diogène était un philosophe de l’antiquité grecque qui vivait dans un complet dénuement.