Incursion
Je reviens encore une fois sur l’édition. Je surfe puisque vous êtes, en majorité, portés vers les Belles-Lettres.
C’est vrai que l’écrivain est un optimiste. Vous avez rencontré un éditeur. Vous vous êtes fait confiance. Vous vous dites : — C’est génial, ce type est avec moi.
Eh bien non. Pas du tout. Il faut recommencer à chaque fois comme si c’était la première fois. Il a juste un tout petit a priori positif sur votre style. C’est tout.
Moi je viens de me voir refuser un texte. Un texte court pourtant. Très court. Pour une revue féministe.
Bon, vous allez me dire : qu’est-ce que je foutais avec des féministes ? Je ne sais pas, je suis gynophile de formation. Mais je me doutais bien que j’allais me faire jeter because je suis trop en avance. Trop bon. (confer ma précédente Folie).
Alors je me suis détendu avec un verre de bon vin et une idée audacieuse a percuté ma glande pinéale. Ce qui est bon pour l’oie est bon pour le jars, pourquoi ne pas invoquer le jugement de Salomon ?
Donner à mes lecteurs l’occasion de donner raison à cette revue féministe, l’occasion de me huer, de me vilipender ? Bonne idée, non ?
Voici le texte. Il s’appelle Incursion.
« — Hé le laineux, t’aurais pas une cigarette ?
Je me retournai : un visage patibulaire et une odeur de vomi frappèrent mes sens. Je regardai fixement ses triquebilles rouler dans son froc. Il se lâchait le salopard. Je voyais le jus souiller sa braguette. J’ai pris mon pied, mon gros pied autour duquel était lacée une bonne chaussure ferré et je lui ai… »
— Un instant, monsieur, ce magazine est avant tout réservé aux femmes.
— Aux femmes ? Mais, je…
— Oui, monsieur c’est un tout nouveau magazine féministe féminin.
— Mais, heu… écoutez : je suis moi-même un peu comme une femme ; d’ailleurs je ne me suis jamais senti aussi femme qu’aujourd’hui.
— Hum, non, monsieur je regrette, je…
— Mais voyons, je ressemble à une femme comme cochon qui s’en dédit.
— Ce ne sera malheureusement pas possible, monsieur, votre style contient beaucoup trop de testostérone, trop de poils…
— Un jour, je vous montrerai que vous aviez raison et que j’avais tort sur toute la ligne, et ce jour-là je veux que vous me voyiez ramper comme une serpillière[1] et… Heu, non, attendez, je crois que je me trompe, là. Ce n’est pas du tout ça que je voulais dire en fait…
— De toute façon tout cela est inutile, monsieur, regardez votre manuscrit.
— Eh bien quoi, mon manuscrit ?
— Il porte une moustache.
— Aah, et c’est ça qui vous gêne ? Aah, et c’est ça qui vous dérange ? Mais il fallait le dire tout de suite. Passez-moi mon rasoir…
— Ça ne suffira pas, monsieur, regardez, on voit sa pomme d’Adam proéminente.
— Aah, et c’est ça qui vous défrise ? Aah, et c’est ça qui vous agace ? Passez-moi mon foulard…
— Croyez-bien que je regrette, monsieur.
— M’avez-vous déjà vu en bas résilles ? Ma mère ne jure que par moi.
— Ça ne marchera pas, monsieur, notre public attend de vraies auteures.
— Et si j’accepte de danser en tutu : « On m’appelle Georges le pingouin[2] » ?
— Non.
— Eh bien, zut alors, vous avez raison, vous n’êtes vraiment qu’une bonne femme !
— Georgie ?
— Oui m’man ?
— Arrête de faire l’imbécile et rentre à la maison.
— Oui, m’man.
— Veuillez l’excuser, madame, tout petit déjà il était tout le temps fourré dans mes jupes…
Voilà. Et on m’a refusé ce chef-d’œuvre. Incroyable, hein ? Qu’en pensez-vous ?
Aujourd’hui, je n’ai plus qu’à citer Le Grand Jojo, en 1982.
« I’ n’portait pas d’falzar
Pour qu’on voie ses belles jambes.
Ses jolies jambes.
Des jambes de superstar. »
C’est tout les ami(e)s
[1] Hommage à Combats de Daniel Goossens
[2] Idem.
Eh bien Georgie, se pourrait-il que cette téméraire incursion, destinée à faire dans la dentelle sans vouloir y faire le moine, puisque l’habit n’aide pas, ait enfin contribué à débusquer l’irréductible féminin?
Dans un monde matériel et individualiste comme le nôtre, se faire remarquer à tout prix semble être la règle numéro un de tous ces gugusses qui trouvent un écho dans ces magazines qu’on leur tend en miroir. Bref, hommes et femmes doivent sans cesse faire de leur genre, quitte à se les échanger, histoire de recueillir plus de suffrages encore.
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