La folie des glandeurs

Non mais, allô, quoi ?

— Et pour quoi es-tu né ?

— Pour une autre carrière. Je suis sûr que j’ai un don.

— Si tu possèdes quelque chose, c’est certainement un don. Parce qu’avec l’argent que tu as gagné tu n’as pas pu t’acheter grand-chose.

 

Connaissez-vous, vous aussi, des gens qui ne comprennent rien, mais alors là absolument rien, à ce que vous faites ?

A l’époque où j’étais une espèce d’artiste-peintre[1], à défaut d’être ma muse, mon ex-femme était un peu ma boussole. Une boussole précieuse qui m’indiquait toujours le sud.

Quand, devant un de mes tableaux, elle s’exclamait :

— Tu perds vraiment ton temps.

Ou encore :

— Tu n’as pas autre chose à faire ?

Je savais. J’étais sûr que ce tableau allait se vendre très rapidement au cours du vernissage. Ça ne ratait jamais !

Du coup, je faisais très attention à l’avis qu’elle portait sur ma production.

Son jugement était très persistant car, même lorsque je rapportais l’argent du tableau pour les besoins du ménage[2], elle demeurait inflexible :

— Je me demande bien qui a pu acheter ça ?

Ou encore :

— Il y a vraiment des gens qui ont de l’argent à jeter par les fenêtres.

Évidemment ce n’était pas très gai de se voir ainsi dévalorisé et traîné dans la boue, d’autant qu’au niveau culturel elle frisait le zéro absolu, mais bon, j’étais faible et manquais probablement de confiance en moi pour vivre seul.

Évidemment, cette période où mon talent pictural était, comme on le voit, sans cesse encouragé est, comme dirait Dave dans son très discutable Vanina, loin, loin, loin, loin, loin de moi[3].

De surcroît aujourd’hui je ne peins plus, j’écris.

Mais heureusement le destin généreux a mis sur ma route un « lecteur-boussole. »

Quoi que je lui propose à lire, il me répond :

— un texte difficile.

— Il faudrait que je relise.

— C’est fort embrouillé.

— Je n’ai pas tout compris.

— J’ai un problème avec tes textes.

— Ce n’est pas ton meilleur.

À chaque fois, mes textes trouvent leurs lecteurs.

À chaque fois, l’éditeur (enthousiaste) me félicite.

Brave « lecteur-boussole ». Grâce à lui, je sais immédiatement si je suis dans la bonne direction, et je dois dire que je redoute sincèrement le jour où il m’encensera.

Mais finalement, vous savez, puisque nous en sommes aux confidences, tout avait déjà commencé avec ma mère…

— Tu ne vas pas t’habiller comme ça ?

— Qu’est-ce que c’est que cette musique ?

— Tu ne veux pas venir voir ton parrain ?

Et même avec mon père tiens…

— Cheveux longs, idées courtes !

— Que rapporteras-tu à ta femme plus tard, des guitares ?

— Vous, les jeunes, vous êtes des décadents…

Et cætera…

Mes parents sont passés à côté de Woodstock comme Dick Rowe de chez Decca était passé à côté des Beatles.

Je peux encore citer ce jeune prof de Saint-Luc, que je trouvais assez sympathique  pour lui prêter mon livre C’est assez dire, un entretien apocryphe avec un artiste contemporain[4], et qui me l’a rendu avec un contestable :

— C’est fort décousu.

Ceux qui ont lu ce livre mesureront l’ampleur comique de cette affirmation.

Ou encore cette extraordinaire « directrice de collection » aux défuntes (mais pas du tout regrettées) éditions Kirographaires qui voulait publier mes Curiœusités[5] :

— J’ai fouillé toutes les banques de données et je ne trouve aucune trace des auteurs dont vous parlez. Est-ce normal ?

C’est vrai que l’humour fou et absurde ou, beaucoup plus simplement, le second degré ne font pas rire tout le monde, j’en conviens. Et c’est vrai que nul n’est prophète en son pays. Mais croyez-moi, on se sent bien seul.

Alors, un bon souvenir, à brûle-pourpoint, dans la marmelade de conseilleurs/pas payeurs ? Oui, l’Académie des beaux-arts en 1974.

Suite à une grève estudiantine contre l’introduction des cours généraux, qui grignotaient toutes nos heures de cours de dessin, le prof de maths, teint terne et petit costume pied-de-poule, nous toisait :

— Les professeurs de mathématiques gagnent toujours !

Hélas pour lui, c’était sans compter sur le directeur de l’Académie de l’époque, qui renonça, pour cette année-là, à l’intronisation des humanités artistiques[6]. Du coup, dès le premier trimestre, hop, viré l’intrépide prof de maths invaincu.

J’adore cette anecdote.

Aujourd’hui, comme Albert camus (et bien d’autres), avec ce tyrannique retrait social qui me paralyse dans ma tour magique[7], je ne cherche plus que la compagnie de gens bienveillants.

Les autres, je m’en fous un peu.

Et c’est pourquoi je terminerai donc avec cette savoureuse citation de Pauline Carton :

« Je n’ai jamais pu faire un concours de beauté : on me colle toujours dans le jury. »

A bientôt les amis

Coco-coco
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[1] Plutôt dessinateur que peintre, mais bon j’utilisais quand même des gouaches acryliques.

[2] Eh oui, on mangeait mes croûtes.

[3] Nous nous sommes quittés (avec bonheur) au siècle dernier.

[4] http://www.ruedespromenades.com/livre.php?livre=19&media=papier

[5] Curiœusités est un essai de littérature comparée traitant d’œuvres fictives écrites par des auteurs fictifs. À paraître bientôt chez Bozon2x.

[6] Comme à Saint-Luc, pour recevoir des subsides.

[7] Pas d’ivoire car il faut laisser les éléphants tranquilles.

2 réflexions sur “Non mais, allô, quoi ?

  • Ces confidences, péripéties douloureuses parfois j’imagine, t’honorent car tu n’es bien sûr pas seul a essuyer ce parcours du combattant. La démangeaison obsessionnelle mais néanmoins vitale du scorpion. Si on veut.

    “Ce qu’on te reproche, cultive le, car c’est toi!”

    Jean COCTEAU

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  • Solidaire : Viré successivement de St Luc et de l’Aca en 1983-1984.
    Empathique : Maintenant je fais de la radio.
    Admiratif : La confiance en toi semble t’être bien revenue.
    Conclusif : Rien ne change.

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